Dépistage de l’hépatite C au point de service par des travailleurs communautaires pairs
Toronto, Ontario
2020
Dans le cadre de ce programme, mis en œuvre à Toronto, en Ontario, des travailleurs communautaires pairs ont fait passer un test de dépistage aux personnes qui s’injectent des drogues en vue de leur faciliter l’accès aux soins contre l’hépatite C. Les travailleurs communautaires pairs étaient d’anciens ou d’actuels bénéficiaires d’un programme communautaire ayant une expérience concrète de l’hépatite C et de la consommation de drogues. Ils ont fait passer des tests de détection des anticorps de l’hépatite C au point de service aux membres de groupes marginalisés qui se heurtent à des obstacles en matière d’accès aux services de santé classiques et qui, malgré un risque élevé d’infection par l’hépatite C, ne connaissent pas leur état sérologique ou ne reçoivent pas de soins.
Les résultats de l’étude ont révélé que le dépistage par les travailleurs communautaires pairs et la connaissance par les individus de leur état sérologique quant aux anticorps n’amélioraient pas les niveaux d’accès aux soins contre l’hépatite C. Néanmoins, cette étude a permis d’établir que le dépistage par des personnes ayant une expérience concrète en la matière sont une solution de rechange possible aux tests effectués en clinique par les fournisseurs de soins, et qu’ils permettent de mieux servir des groupes plus marginalisés. Cette approche contribue à élargir l’accès au dépistage pour les populations marginalisées et à leur faire connaître leur état sérologique quant aux anticorps dirigés contre l’hépatite C.
Description du programme
L’objectif de ce programme consistait à ce que des travailleurs communautaires pairs fassent passer des tests de détection des anticorps contre l’hépatite C au point de service à des populations marginalisées, et à déterminer si un test au point de service serait un outil utile pour inciter les personnes concernées à recevoir des soins contre l’hépatite C. Les populations visées comprenaient les personnes confrontées à des taux élevés de pauvreté, d’instabilité des conditions de logement et de consommation de drogues injectables, qui n’ont généralement pas accès aux services sociaux et de santé classiques. Le programme a été mis en place dans le cadre d’une étude de recherche menée par le Programme communautaire sur l’hépatite C de Toronto.
Onze travailleurs communautaires ayant une expérience concrète de l’hépatite C et de la consommation de drogues, ou actuellement aux prises avec ces problèmes, ont été embauchés, formés et soutenus en vue de dispenser de l’information sur l’hépatite C et d’effectuer des tests de dépistage au point de service. Tous les travailleurs étaient d’anciens clients ayant suivi un traitement dispensé par le Programme communautaire sur l’hépatite C de Toronto. Les travailleurs communautaires pairs ont été formés en vue de faire passer des tests de dépistage au point de service (et de prodiguer des conseils avant et après le test) et de fournir de l’information sur l’hépatite C. Des réunions hebdomadaires ont eu lieu afin d’apporter un soutien aux travailleurs communautaires.
Des personnes ayant de longs antécédents de consommation de drogues injectables et qui ne savaient pas si elles étaient atteintes de l’hépatite C ont été invitées à passer un test de dépistage. Il s’agissait de personnes faisant partie des réseaux personnels de chaque travailleur communautaire pair et de personnes rencontrées dans des cadres autres que ceux des soins de santé (centres d’accueil communautaires, lieux publics, domiciles privés, etc.). En plus d’effectuer des tests de dépistage, les travailleurs communautaires pairs ont dispensé de l’information sur l’hépatite C.
Les tests de dépistage ont été effectués au point de service sur du sang prélevé au moyen d’une piqûre au doigt. Toute cette opération durait environ 30 minutes, incluant les conseils prodigués avant et après les tests. Les participants dont les résultats étaient positifs ont été informés de l’horaire d’accueil des infirmières du programme et ont été orientés en vue d’autres examens de suivi.
Résultats
L’étude reposait sur un modèle d’essai contrôlé à répartition aléatoire : la moitié des personnes abordées sur le terrain ont passé un test au point de service et l’autre moitié ont été orientées vers une infirmière du programme afin qu’elles passent le test selon les modalités habituelles. L’étude visait à évaluer si les participants ont consulté l’infirmière du programme dans les six mois qui ont suivi le test effectué au point de service par le travailleur communautaire pair, et s’ils ont pris connaissance de leur état sérologique quant aux anticorps. Ces résultats ont été comparés avec ceux obtenus dans le groupe ayant reçu les « soins habituels » et qui avaient été orientés vers une infirmière du programme par des travailleurs communautaires.
L’étude s’est déroulée entre novembre 2018 et février 2019. Pour y être admissibles, les personnes devaient être âgées de 18 ans ou plus, avoir des antécédents de consommation de drogues injectables et ne pas avoir connaissance de leur état sérologique quant à l’hépatite C. En l’espace de 14 semaines, 920 personnes ont été invitées à y participer. Au total, 380 personnes ont rempli les critères d’admissibilité de l’étude et y ont participé. Parmi elles, 195 ont passé le test de dépistage au point de service et 185 ont fait partie du groupe des « soins habituels ».
Les participants des deux groupes ont principalement été abordés dans le cadre d’activités d’intervention dans des espaces publics (66 %) et la majorité d’entre eux étaient jusque-là inconnus des travailleurs communautaires (72 %). Soixante-six pour cent des personnes à qui on a fait passer un test de dépistage ont déclaré avoir consommé des drogues injectables au cours des 30 derniers jours. Cependant, 61 % d’entre elles n’avaient jamais passé de test de dépistage de l’hépatite C.
Le taux de résultats positifs était élevé dans le groupe des participants ayant passé un test au point de service, soit 39 % (77/195) de résultats positifs pour les anticorps dirigés contre l’hépatite C. Cependant, seuls 3 % d’entre eux (6/195) ont effectué au moins une visite de suivi chez une infirmière du programme de traitement de l’hépatite C. Dans le groupe des « soins habituels », 3 % (5/185) des participants ont effectué une visite chez une infirmière du programme de traitement de l’hépatite C. On ne dispose pas de données sur l’état sérologique quant aux anticorps dirigés contre l’hépatite C des participants du groupe des « soins habituels ».
En comparant les deux groupes, on n’a pas constaté de différence significative quant au nombre de personnes qui se sont présentées à un rendez-vous chez une infirmière traitante. D’après les auteurs, le nombre de personnes ayant fait l’objet d’un suivi était trop faible dans les deux groupes pour permettre aux chercheurs de déterminer valablement l’incidence du programme sur le recours aux soins contre l’hépatite C. Bien qu’ils n’en aient pas fait mention dans leur analyse, les auteurs ont indiqué dans un échange personnel qu’il était prévisible que les personnes ayant obtenu un résultat négatif au test de dépistage au point de service soient moins enclines à se présenter à un rendez-vous chez une infirmière.
Qu’est-ce que cela signifie pour les fournisseurs de services?
Les résultats de cette étude montrent que le dépistage par des travailleurs communautaires sans formation clinique, qui peuvent aussi fournir des conseils avant et après les tests, est une option réalisable et efficace. Cette approche est susceptible d’étendre la diffusion du dépistage de l’hépatite C en le sortant du domaine des soins de santé pour le faire entrer dans le milieu communautaire. C’est un moyen d’aider les fournisseurs de services à toucher les populations marginalisées exposées à un risque élevé de contracter l’hépatite C, comme en témoignent les taux élevés de résultats positifs aux tests de dépistage au point de service observés dans le cadre de cette étude.
Toutefois, cette étude a permis de montrer que le dépistage par des travailleurs communautaires et la connaissance par les personnes concernées de leur état sérologique quant aux anticorps n’amélioraient pas le niveau d’accès aux soins. Cet état de fait peut être lié à d’autres obstacles de la recherche de soins, notamment la stigmatisation, la méfiance à l’égard des fournisseurs de soins et le conflit des priorités en matière de pauvreté et de crise des surdoses. Cela peut aussi indiquer que des mesures de soutien supplémentaires, telles que les interventions pivots auprès des patients ou les soins infirmiers itinérants, sont nécessaires pour mieux faire participer les populations marginalisées à leurs soins. Néanmoins, le dépistage par des travailleurs communautaires a permis de faire connaître leur état sérologique quant à l’hépatite C à un grand nombre de personnes qui, autrement, n’auraient sans doute pas passé de test.
Le dépistage par les travailleurs communautaires pairs permet également de mobiliser et d’employer plus efficacement les personnes ayant déjà bénéficié d’un programme de lutte contre l’hépatite C. Ceux qui font partie de réseaux de consommateurs de drogues et qui ont personnellement été touchés par l’hépatite C sont mieux à même de faire participer les gens du fait de leur connaissance particulière de ce milieu et parce qu’ils partagent la façon de penser des clients potentiels.
Ressources connexes
Élargir le dépistage et le traitement de l’hépatite C par l’entremise de la délégation des tâches (CATIE)
Le transfert des tâches dans les services de dépistage du VIH (CATIE)
Référence
Broad J, Mason K, Guyton M et al. Peer outreach point-of-care testing as a bridge to hepatitis C care for people who inject drugs in Toronto, Canada. International Journal of Drug Policy. 2020;80.