- Des chercheurs américains ont étudié les fonctions motrices de 354 survivants atteints du VIH
- 69 % des participants avaient des problèmes de mouvement, comme pour la coordination musculaire
- 29 % des cas étaient qualifiés de « graves », mais la dysfonction motrice était majoritairement légère
Au début des années 1980, au constat de l’existence d’une pandémie du VIH, les médecins n’ont pas tardé à documenter l’impact de ce virus sur le cerveau. Comme nous l’avons expliqué dans notre dernier bulletin de Nouvelles CATIE, le VIH peut compromettre des fonctions cérébrales importantes comme la mémoire et la capacité de penser clairement (les changements de ce genre font partie d’un ensemble de problèmes regroupés sous le terme de trouble neurocognitif lié au VIH ou HAND [acronyme du nom anglais]). De nos jours, cependant, grâce au traitement efficace du VIH (TAR), ces problèmes n’ont habituellement que des conséquences minimes chez la personne séropositive moyenne au Canada et dans les autres pays à revenu élevé.
Le VIH peut également avoir un impact sur ce que les chercheurs appellent les fonctions motrices, c’est-à-dire la coordination musculaire, les réflexes et la force musculaire. Les effets du virus peuvent nuire à la capacité de mouvement des gens, y compris leur capacité à marcher. À l’époque actuelle, pour explorer le lien entre les fonctions motrices et le VIH, les chercheurs de plusieurs centres américains ont collaboré à une étude menée auprès de 354 personnes qui vivaient avec l’infection au VIH depuis très longtemps. De telles études sont importantes parce qu'à mesure que les personnes séropositives vieillissent elles connaissent vraisemblablement une accumulation ou une superposition de facteurs, telles les maladies cardiovasculaires et les affections métaboliques, qui risquent de nuire à leur santé cérébrale.
Les chercheurs ont trouvé que près de 70 % des participants éprouvaient un certain degré de dysfonction motrice qui chez la plupart était léger. Il n’empêche que chez près de 30 % des participants souffrant de dysfonction motrice, les chercheurs ont classé le problème comme étant « grave ». Les problèmes comme les maladies cardiovasculaires et les antécédents de complications cérébrales liées au sida ont été associés à un risque accru de dysfonction motrice. L’équipe a constaté une association moins importante entre les problèmes neurocognitifs tels le trouble HAND et la dysfonction motrice.
Cette étude est importante parce qu’elle ouvre la voie à d’autres études où les personnes séropositives seront suivies à long terme afin que l’on puisse élucider les causes de la dysfonction motrice et déterminer si des interventions peuvent la stabiliser ou en inverser le cours.
Détails de l’étude
Les participants ont été recrutés dans quatre cliniques situées dans les villes suivantes :
- Galveston
- Los Angeles
- New York
- San Diego
Les participants ont été soumis à des évaluations approfondies se rapportant principalement aux fonctions neurocognitives et motrices. Les chercheurs ont également passé au crible les dossiers médicaux des participants pour déterminer s’ils avaient éprouvé antérieurement des complications liées au sida susceptibles de nuire au système nerveux central ou SNC (il s’agit du cerveau et de la moelle épinière). En voici une liste partielle :
- lymphome du SNC
- toxoplasmose du SNC
- tuberculose du SNC
- méningite cryptococcique
- encéphalite au CMV (cytomégalovirus)
- neurosyphilis
- LMP (leucoencéphalopathie multifocale progressive)
Les antécédents de maladies cardiovasculaires des participants ont également été examinés puisque ces affections peuvent nuire à la santé cérébrale.
Les participants avaient le profil moyen suivant lors de leur admission à l’étude :
- âge : 60 ans
- 73 % d’hommes, 27 % de femmes
- compte de CD4+ actuel : 538 cellules/mm3
- durée de l’infection au VIH : 24 ans
- répartition des mesures de la charge virale : indétectable (moins de 50 copies/ml) – 82 %; entre 51 et 999 copies/ml – 10 %; supérieure à 1 000 copies/ml – 7 % (la somme des pourcentages n’est pas 100 parce qu’ils ont été arrondis)
Les chercheurs ont décrit les participants à cette étude comme « médicalement complexes ».
Résultats
Lors de leur analyse, les chercheurs ont constaté que la dysfonction motrice était « courante », car elle touchait 69 % des participants. Les chercheurs ont cependant souligné que le problème était léger chez la plupart de ces personnes; 29 % des diagnostics de dysfonction motrice ont été qualifiés de « graves ».
Les cas de dysfonction motrice se répartissaient dans les catégories suivantes :
- anomalies de la démarche : 54 %
- coordination anormale des muscles : 39 %
- réduction de la force : 25 %
- réflexes anormaux : 24 %
La dysfonction motrice liée à la démarche était causée en partie par des lésions nerveuses dans les pieds et les jambes, une affection appelée neuropathie périphérique.
HAND
Certaines évaluations effectuées dans le cadre de l’étude portaient sur les déficits neurocognitifs. Les chercheurs ont trouvé la répartition suivante des cas de déficit neurocognitif :
- déficit neurocognitif sans symptômes (asymptomatique) : 16 %
- déficit neurocognitif avec symptômes : 46 %
Au total, 8 % des participants souffraient de démence liée au VIH, et 7 % d’entre eux avaient vécu au moins un épisode antérieur de complications du VIH touchant le SNC.
Intersection avec les maladies cardiovasculaires
Les maladies cardiovasculaires peuvent nuire à la santé du cerveau. Les artères approvisionnent le cerveau en sang oxygéné et en nutriments. Si le flot de sang diminue à cause d’une maladie cardiovasculaire, la santé du cerveau peut se détériorer.
Les chercheurs ont trouvé que les participants présentant une fonction neurocognitive normale ou un déficit neurocognitif asymptomatique avaient tendance à afficher des taux de maladies cardiovasculaires plus faibles, soit entre 21 % et 25 %. En revanche, les participants qui éprouvaient des symptômes de déficit neurocognitif avaient tendance à afficher des taux de maladies cardiovasculaires plus élevés, soit entre 30 % et 39 %.
Selon les chercheurs, « les variables démographiques, les problèmes musculosquelettiques, de consommation d’alcool et d’autres variables immunovirologiques n’ont pas été associés à la [dysfonction motrice liée au VIH] ».
À retenir
- Dans ce groupe de personnes médicalement complexes, les chercheurs ont trouvé que la dysfonction motrice était courante. Ce problème se manifestait le plus fréquemment dans la démarche, suivie de la coordination musculaire puis de la force musculaire.
- La dysfonction motrice était associée aux maladies cardiovasculaires et aux antécédents de complications du SNC liées à l’infection au VIH.
- Les chercheurs croient que les lésions cérébrales causées par les maladies cardiovasculaires chroniques ajoutent une couche de déficience motrice de plus à celle causée par le VIH. Ils ont affirmé qu’« il existe un précédent pour ce genre de superposition des maladies du SNC dans d’autres affections neurodégénératives [telles que la maladie d’Alzheimer et la démence vasculaire] ».
- Les chercheurs ont souligné que leurs résultats ne s’appliquaient pas aux personnes séropositives plus jeunes.
À propos de la conception de cette étude
Les chercheurs ont recueilli des données auprès de chaque participant à un seul moment. On appelle ce genre de recherche une étude transversale. Les études transversales sont utiles pour trouver des associations, mais leurs limitations inhérentes font en sorte qu’elles ne peuvent jamais prouver de lien de « cause à effet ». Autrement dit, les études transversales ne permettent jamais de déterminer la cause d’un problème. Il reste que ce genre d’étude peut trouver des associations entre une maladie et des causes éventuelles. On peut ensuite concevoir et entreprendre des études plus rigoureuses afin de découvrir la cause d’un problème et d’évaluer les moyens de le régler. Les études transversales sont un bon point de départ pour mieux comprendre un enjeu biomédical et elles coûtent moins cher que plusieurs autres genres d’études.
À l’avenir
Il faut faire plus de recherches sur la dysfonction motrice liée au VIH. Les chercheurs responsables de la présente étude croient que ce problème « pourrait être le résultat final de la multimorbidité neurologique, [qui est] comparable à la multimorbidité systémique qui est devenue une caractéristique de plus en plus reconnue de [l’infection au VIH chronique à l’époque actuelle] ». De telles recherches pourraient mener à la détermination précoce des causes de la dysfonction motrice liée au VIH et à des façons de prévenir, de stabiliser ou d’inverser le cours des problèmes musculaires.
Ressources
Étude sur l’incidence du vieillissement sur le cerveau des personnes séropositives et des personnes séronégatives – Nouvelles CATIE
Le VIH et la maladie cardiovasculaire – Feuillet d’information
—Sean R. Hosein
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