- Les États-Unis ont approuvé une formulation à action prolongée de la prophylaxie pré-exposition (PrEP)
- Les options à action prolongée pourraient augmenter les taux d’utilisation et d’observance de la PrEP
- Une simulation expérimentale a révélé que la PrEP à action prolongée réduirait les nouvelles infections par le VIH jusqu’à 54 %
Depuis une décennie, la prophylaxie pré-exposition au VIH (PrEP), qui consiste à prendre des médicaments anti-VIH spécifiques avant et après les relations sexuelles pour réduire le risque de contracter le VIH, est utilisée de plus en plus dans de nombreux pays à revenu élevé. Les soins associés à l’usage de la PrEP incluent des rendez-vous médicaux et des tests de laboratoire réguliers.
Lorsqu’elle est utilisée comme il se doit, notamment par des hommes gais, bisexuels et d’autres hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (hommes gbHARSAH), la PrEP se révèle très efficace, autant dans les essais cliniques qu’au sein de la communauté. Dans la plupart des pays à revenu élevé, la version la plus utilisée de la PrEP est une association de deux médicaments pris sous forme de comprimés, soit le ténofovir et la FTC.
La PrEP injectable au cabotégravir
L’année dernière, les options en matière de PrEP se sont élargies aux États-Unis grâce à l’approbation d’une formulation injectable à action prolongée d’un médicament appelé cabotégravir (vendu sous la marque Apretude). À la suite de doses d’induction, ce médicament est injecté profondément dans les muscles du fessier une fois tous les deux mois. Apretude n’est pas approuvé au Canada, dans l’Union européenne, au Royaume-Uni ou dans d’autres pays à revenu élevé. Notons à cet égard que, au moment de la publication de ce bulletin, le fabricant d’Apretude, Viiv Healthcare, n’avait pas soumis de dossier sur son médicament aux autorités de ces pays, et ce, pour des raisons non dévoilées.
Lénacapavir à titre de PrEP à action prolongée
Une autre compagnie pharmaceutique, Gilead Sciences, met actuellement à l’épreuve le médicament anti-VIH expérimental lécanapavir chez diverses populations, à savoir des personnes non infectées par le VIH à titre de traitement préventif, ainsi que chez des personnes séropositives à titre d’ingrédient de schémas thérapeutiques contre le VIH. Plus tôt cette année, on a suspendu des essais cliniques du lénacapavir en raison de problèmes liés aux fioles de verre dans lesquelles le médicament était contenu. Ces problèmes ont été résolus, et les essais cliniques ont repris. Au Canada, on s’attend à ce que l’usage du lénacapavir dans les schémas thérapeutiques contre le VIH soit approuvé vers la fin de 2022. Cependant, il est improbable que l’approbation à titre de prophylaxie ait lieu avant au moins deux ans, car les essais cliniques sur la prévention se poursuivent. Le lénacapavir suscite également un intérêt croissant parce que, après les doses d’induction orales initiales, il suffit d’injecter ce médicament une fois tous les six mois pour en maintenir des concentrations efficaces dans le corps. Le lénacapavir, qui est injecté légèrement en dessous de la peau, appartient à une classe de médicaments appelés inhibiteurs de la capside. La compagnie ViiV en est aux stades précoces de la mise au point d’un inhibiteur de la capside.
Islatravir et composés apparentés
Une troisième compagnie pharmaceutique, Merck, s’est vue obligée de suspendre initialement quelques essais cliniques de son médicament anti-VIH expérimental islatravir. Des analyses provisoires avaient révélé que l’exposition à ce dernier réduisait les taux d’un groupe de globules blancs appelés lymphocytes chez certaines personnes inscrites aux essais. Merck a repris ses essais cliniques en utilisant des doses moins fortes de l’islatravir. L’intérêt suscité par l’islatravir reposait partiellement sur le fait que, en théorie, il offrait la possibilité d’un schéma posologique comportant des prises de comprimés peu fréquentes. Merck a récemment annoncé qu’elle mettait au point un autre médicament anti-VIH portant le nom de code MK-8527. Un schéma posologique avec prises peu fréquentes pourrait être une possibilité avec ce dernier aussi. Pour le moment, cependant, la recherche vise à déterminer l’innocuité de ce médicament.
Profits et santé
Il semble donc possible qu’au moins une option de PrEP à action prolongée soit disponible d’ici 2025. À l’époque actuelle, les médecines destinées à préserver la santé des humains, des animaux et des plantes (agriculture industrielle) sont mises au point principalement par des corporations à but lucratif. Dans la médecine humaine, cela est notamment le cas dans les domaines du cancer et du VIH dans les pays à revenu élevé. Ainsi, un facteur majeur motivant toute décision d’investir dans la mise au point de médicaments est le potentiel de profits (suivant l’approbation du produit par les autorités de réglementation). Or, les conditions du marché peuvent changer, et même si les essais cliniques d’un médicament pour lequel il existe un besoin insatisfait réussissent, la compagnie commanditaire peut choisir ne pas demander l’approbation réglementaire si ses calculs indiquent un niveau de profitabilité insuffisant.
Prévoir le changement
Une équipe de recherche de l’Université Johns Hopkins à Baltimore a créé des modèles mathématiques et effectué des simulations informatiques de l’évolution de l’épidémie du VIH aux États-Unis. L’équipe s’est intéressée à évaluer l’impact potentiel des formulations injectables de la PrEP à action prolongée sur la trajectoire de l’épidémie dans ce pays. Elle a fondé son modèle sur des données statistiques américaines sur l’épidémie du VIH. L’équipe s’est intéressée à la période allant de 2020 à 2030.
Selon l’équipe de recherche, si l’utilisation de la PrEP orale se poursuivait au rythme actuel, les taux de nouvelles infections par le VIH baisseraient de près de 20 % d’ici 2030. Cependant, si, en plus de la PrEP orale, 10 % des personnes admissibles à la PrEP (mais pas sous traitement) en adoptaient la version injectable à action prolongée, les taux de nouvelles infections par le VIH pourraient chuter d’ici 2030 de 36 %.
Dans une autre simulation, 25 % des personnes admissibles à la PrEP (mais pas sous traitement) adopteraient la version injectable à action prolongée, alors que la proportion utilisant la PrEP orale resterait la même. Dans ce scénario, les taux de nouvelles infections par le VIH chuteraient d’ici 2030 de 54 %.
Détails de l’étude
Bien qu’une explication détaillée des équations utilisées aux fins de ces simulations dépasse la portée de cet article, nous avons inclus quelques données que l’équipe de recherche a incorporées dans son modèle, que voici :
- En 2019, environ 1,2 million de personnes vivaient avec le VIH.
- En 2019, il s’est produit 36 000 nouvelles infections par le VIH.
- En 2019, les deux tiers des nouvelles infections par le VIH concernaient des hommes gais, bisexuels et d’autres HARSAH.
- En 2017, les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) des États-Unis ont estimé à 1,1 million le nombre de personnes admissibles à la PrEP, mais seulement 100 000 l’utilisaient.
- 44 % des personnes qui ont commencé une PrEP orale l’ont discontinuée après un an.
L’équipe de recherche a effectué de nombreuses simulations sur l’impact de la PrEP sous forme orale ou injectable. Pour ce faire, elle s’est concentrée sur 32 villes où les taux de nouvelles infections par le VIH étaient relativement élevés.
Résultats
Les simulations ont donné des résultats différents selon la situation en question, comme suit :
- Si tout le monde changeait : Si toutes les personnes suivant une PrEP orale à l’heure actuelle remplaçaient celle-ci par une PrEP injectable à action prolongée seulement, la simulation ne prévoyait qu’une réduction modeste (4 %) des nouvelles infections par le VIH d’ici 2030.
- Si le taux d’utilisation de la PrEP orale augmentait de 10 % : Si 10 % des personnes admissibles à la PrEP, mais pas sous traitement commençaient à suivre une PrEP orale, la simulation prévoyait une réduction de 36 % des nouvelles infections par le VIH d’ici 2030.
- Si le taux d’utilisation de la PrEP orale augmentait de 25 % : Si 25 % des personnes admissibles à la PrEP, mais pas sous traitement commençaient à suivre une PrEP orale, la simulation prévoyait une réduction de 50 % des nouvelles infections par le VIH d’ici 2030.
- Si le taux d’utilisation de la PrEP injectable à action prolongée augmentait de 10 % : Si les personnes suivant une PrEP orale à l’heure actuelle continuaient de l’utiliser et que 10 % des personnes admissibles à la PrEP, mais pas sous traitement commençaient une PrEP injectable à action prolongée, la simulation prévoyait une réduction de 36 % des nouvelles infections par le VIH d’ici 2030.
- Si le taux d’utilisation de la PrEP injectable à action prolongée augmentait de 25 % : Si les personnes suivant une PrEP orale à l’heure actuelle continuaient de l’utiliser et que 25 % des personnes admissibles à la PrEP, mais pas sous traitement commençaient une PrEP injectable à action prolongée, la simulation prévoyait une réduction de 54 % des nouvelles infections par le VIH d’ici 2030.
À retenir
Les résultats de ces simulations sont intéressants. Parmi les résultats saillants, notons le fait que les personnes utilisant la PrEP injectable à action prolongée ont suivi leur prophylaxie pendant plus longtemps que les personnes sous PrEP orale. L’ère de la PrEP injectable à action prolongée vient à peine de commencer et il reste beaucoup de choses à éclairer par rapport à son déploiement, au taux de discontinuation éventuel et à d’autres questions connexes. Par conséquent, il sera peut-être nécessaire de peaufiner ces simulations à l’avenir à mesure que les données se rapportant aux personnes utilisant cette forme de PrEP s’accumuleront.
À en croire ces simulations, si les bureaux de santé publique, les prestataires de soins et les organismes communautaires parvenaient à accroître considérablement le nombre de personnes utilisant la PrEP, on pourrait connaître des gains importants quant à la prévention du VIH au fil du temps, et ce, peu importe la forme de PrEP utilisée (orale ou injectable, quotidienne ou à action prolongée).
Enjeux additionnels
Malgré le potentiel certain de la PrEP injectable à action prolongée, cette approche ne peut résoudre tous les problèmes. Selon l’équipe de recherche, la PrEP injectable « a peu de chances de corriger les disparités raciales de l’incidence du VIH, à moins qu’on en fasse spécifiquement la promotion auprès des groupes raciaux sévèrement touchés par le VIH ». Il existe sans doute d’autres enjeux aussi, telle la question de l’accès subventionné à la PrEP.
Un bon pas en avant
Aucune simulation informatique ne peut refléter parfaitement la réalité. Il n’empêche que la présente étude constitue un bon pas en avant, car elle permet d’envisager l’évolution possible du domaine de la prévention du VIH aux États-Unis. Pour peaufiner ces simulations, on devra tenir compte d’enjeux comme l’incidence de la pandémie du coronavirus et de l’éclosion actuelle de variole simienne. Les équipes de recherche devront également incorporer des données indiquant que le diagnostic de VIH est susceptible d’avoir lieu plus tôt dans le cours de l’infection qu’auparavant, du moins depuis une décennie. Elles devront également tenir compte de la rapidité relative de la mise sous traitement (TAR) des personnes une fois le diagnostic de VIH posé. Le rôle du TAR est également significatif, puisque des essais cliniques randomisés ont révélé que les personnes sous TAR qui atteignaient et maintenaient une charge virale indétectable grâce à l’utilisation continue du traitement ne transmettaient pas le virus à leurs partenaires sexuel·le·s.
Cette étude devrait inspirer d’autres équipes de recherche à envisager l’usage de simulations informatiques de l’épidémie du VIH aux États-Unis et confirmer ainsi les résultats de l’équipe de Johns Hopkins. De plus, des équipes du Canada et d’autres pays à revenu élevé pourraient effectuer des simulations incluant différentes populations vulnérables au VIH afin que le potentiel de la PrEP à action prolongée et d’autres interventions visant la prévention du VIH puisse être compris à plus grande échelle.
—Sean R. Hosein
Ressources
Prophylaxie pré-exposition (PrEP) – CATIE
Les complications de la prophylaxie pré-exposition au VIH (PrEP), une rareté, selon une étude de grande envergure – Nouvelles CATIE
Une équipe de médecins explore des moyens d’accroître le nombre de prescripteurs de la PrEP en Ontario – Nouvelles CATIE
Une équipe de Boston trouve Biktarvy efficace pour la prophylaxie post-exposition (PPE) au VIH – Nouvelles CATIE
La prophylaxie préexposition au virus de l’immunodéficience humaine : Guide pour les professionnels de la santé du Québec (2019) – Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec
Lignes directrices canadiennes sur les prophylaxies pré-exposition et post-exposition non professionnelle au VIH – Groupe de travail sur la prévention biomédicale du Réseau canadien pour les essais VIH des IRSC
Alberta HIV pre-exposure prophylaxis (PrEP) guidelines (2021) – Alberta Health Services
Guidance for the use of pre-exposure prophylaxis (PrEP) for the prevention of HIV acquisition in British Columbia (2020) – Centre d’excellence sur le VIH/sida de la Colombie-Britannique
Pre-exposure prophylaxis: Guideline review for primary care practitioners in Saskatchewan (2019) – Saskatchewan HIV Collaborative
RÉFÉRENCES :
- Balasubramanian R, Kasaie P, Schnure M et al. Projected impact of long-acting injectable PrEP use among men who have sex with men on local HIV epidemics. JAIDS. 2022 Oct 1;91(2):144-150.
- Merck. Merck to Initiate New Phase 3 Clinical Program with Lower Dose of Daily Oral Islatravir in Combination with Doravirine for Treatment of People with HIV-1 Infection. Communiqué de presse. 20 septembre 2022.