- La classe de médicaments anti-VIH appelés inhibiteurs de l’intégrase est généralement sûre et très efficace
- Une étude a toutefois permis de constater un risque accru de maladies cardiovasculaires lié à cette classe
- Ce problème a touché 2,5 % des personnes figurant dans l’étude, et cette association doit être confirmée par d’autres recherches
La classe de médicaments anti-VIH appelés inhibiteurs de l’intégrase joue un rôle crucial dans les schémas thérapeutiques utilisés de nos jours contre le VIH. Des essais cliniques menés au cours des 17 dernières années ont révélé que les traitements fondés sur des inhibiteurs de l’intégrase étaient généralement sûrs et très efficaces. Un autre facteur qui joue en faveur des inhibiteurs de l’intégrase tient au fait qu’ils ont tendance à interagir moins souvent avec d’autres médicaments, comparativement aux classes de médicaments anti-VIH plus anciennes.
Le premier inhibiteur de l’intégrase, le raltégravir (Isentress), est arrivé en 2007, puis d’autres ont vu le jour subséquemment, tel l’elvitégravir. Ce dernier est associé à d’autres médicaments anti-VIH dans un seul comprimé et commercialisé sous les noms de Stribild et Genvoya.
De nos jours, les principales lignes directrices cliniques ne recommandent plus l’usage de raltégravir et d’elvitégravir. À leur place, les inhibiteurs de l’intégrase suivants sont recommandés et utilisés largement :
- bictégravir : commercialisé en association avec d’autres médicaments anti-VIH dans un comprimé sous la marque Biktarvy
- dolutégravir : commercialisé seul dans un comprimé sous la marque Tivicay, et en association avec d’autres médicaments anti-VIH dans des comprimés sous les marques Dovato, Juluca et Triumeq
La cohorte Respond
Respond est le nom d’une grande base de données se rapportant principalement à des patient·e·s d’Europe mais aussi d’Argentine, d’Australie et du Royaume-Uni. Respond a son site principal à Copenhague et compte quelque 30 000 participant·e·s vivant avec le VIH. L’équipe de recherche affiliée à l’étude Respond analyse périodiquement ses données et produit des rapports.
Analyse de Respond
Dans son rapport le plus récent (sous presse dans la revue Lancet HIV), l’équipe de recherche de Respond a analysé des données recueillies auprès de 29 340 personnes. L’équipe a constaté une association surprenante : une très faible proportion (2,5 %) des participant·e·s ont présenté une maladie cardiovasculaire après avoir commencé un schéma thérapeutique fondé sur un inhibiteur de l’intégrase. Les personnes traitées par inhibiteurs de l’intégrase étaient environ deux fois plus susceptibles de présenter des maladies cardiovasculaires (crise cardiaque, AVC, état nécessitant une chirurgie cardiovasculaire) que les personnes n’utilisant pas cette classe de médicaments.
Ce résultat est étrange en soi, car ce problème n’a jamais été signalé auparavant bien que les inhibiteurs de l’intégrase soient utilisés depuis longtemps, mais il y a plus : le risque de maladies cardiovasculaires était le plus élevé pendant les six premiers mois de l’usage d’inhibiteurs de l’intégrase. Après cette période, le risque a diminué pour se situer à nouveau au même niveau que celui associé aux traitements ne contenant pas cette classe de médicaments après 24 mois. Cette augmentation et cette diminution du risque se sont produites pendant que les participant·e·s continuaient à utiliser des schémas thérapeutiques fondés sur un inhibiteur de l’intégrase.
Ces résultats signalés par l’équipe de Respond sont déconcertants, et beaucoup de travail reste à faire pour expliquer l’augmentation puis la diminution subséquente du risque de maladies cardiovasculaires chez des personnes utilisant des inhibiteurs de l’intégrase.
Détails de l’étude
Les participant·e·s avaient le profil moyen suivant lors de leur admission à cette étude :
- 74 % d’hommes, 26 % de femmes; 44 personnes transgenres ont participé à l’étude, mais aucune d’entre elles n’a présenté de maladie cardiovasculaire
- âge : 44 ans
- principaux groupes ethnoraciaux : Blanc·he·s – 70 %; Noir·e·s – 10 %
- populations importantes : hommes gais et bisexuels – 45 %; hétérosexuel·le·s – 35 %; personnes qui utilisent des drogues – 14 %
- compte de cellules CD4+ : 524 cellules/mm3; 41 % avaient eu un compte de CD4+ sous le seuil des 200 cellules/mm3 dans le passé, ce qui est signe d’un état d’immunodéficience grave
- statut par rapport au tabagisme : n’ont jamais fumé – 28 %; fumaient encore – 28 %; ont fumé dans le passé – 8 %; statut inconnu – 36 %
- durée de la participation à l’étude : six ans; l’analyse a commencé en janvier 2012 et s’est terminée en janvier 2019
Résultats
Des maladies cardiovasculaires sont survenues dans les proportions suivantes :
- crise cardiaque : 40 %
- AVC : 30 %
- interventions cardiovasculaires effractives : 30 %
Associations
Lorsque l’équipe de recherche a pris en compte de nombreux facteurs – compte de CD4+, sexe/genre, indice de masse corporelle (IMC), hypertension, taux de cholestérol anormaux, diabète et autres –, elle a constaté que l’association entre les inhibiteurs de l’intégrase et les maladies cardiovasculaires était semblable, peu importe si le risque estimé de maladies cardiovasculaires était élevé ou faible. Un résultat semblable a été constaté par rapport à l’âge, c’est-à-dire que les personnes utilisant des inhibiteurs de l’intégrase étaient plus à risque de maladie cardiovasculaire, peu importe si elles étaient jeunes ou âgées. Cependant, comme nous l’avons mentionné, le risque accru de maladies cardiovasculaires a baissé relativement rapidement après six mois.
L’équipe de recherche n’a pas été en mesure d’associer un inhibiteur de l’intégrase particulier à l’augmentation temporaire du risque de maladies cardiovasculaires. Notons à cet égard que le dolutégravir a été approuvé par l’Union européenne en janvier 2014, alors que ce problème avait été signalé auparavant et de façon continue par la suite (communiqué personnel, Bastian Neesgaard, M.D., Ph. D.).
De façon semblable, le bictégravir (ingrédient de Biktarvy) a été approuvé en juin 2018 par l’Union européenne, alors que le risque de maladies cardiovasculaires avait été signalé auparavant et de façon continue par la suite.
Points à considérer
Mise en contexte
Bien que les nouvelles de l’étude Respond soient inquiétantes, il importe de souligner que seule une faible proportion de personnes étaient touchées, soit 2,5 %. De plus, la période où le risque était le plus élevé n’a duré que les six premiers mois de l’usage d’inhibiteurs de l’intégrase, puis a baissé par la suite, de sorte qu’il est devenu graduellement semblable à celui observé chez les personnes séropositives utilisant d’autres genres de schémas thérapeutiques.
Indices provenant d’une autre étude sur l’elvitégravir
Les résultats de l’étude Respond sont surprenants car, jusqu’à présent, aucune étude d’envergure sur les inhibiteurs de l’intégrase n’avait découvert d’association entre ceux-ci et un risque accru de maladies cardiovasculaires. Notons cependant que l’équipe d’une étude espagnole de faible envergure (36 personnes) avait trouvé que l’elvitagrévir, un inhibiteur de l’intégrase plus ancien se trouvant dans Stribild et Genvoya, était associé à une augmentation des mesures de l’inflammation. Comme l’inflammation accrue est associée à un plus grand risque de maladies cardiovasculaires, il est possible que l’usage d’elvitégravir ait augmenté le risque de maladies cardiovasculaires chez des personnes vulnérables inscrites à l’étude Respond.
En analysant les données de l’étude Respond, l’équipe de recherche n’a pas encore réussi à déterminer l’effet exercé par des inhibiteurs de l’intégrase particuliers et leur lien éventuel avec les maladies cardiovasculaires. La complexité des investigations futures sera augmentée par le fait que l’infection au VIH elle-même est bien connue pour sa capacité de déclencher et d’accélérer le cours des maladies cardiovasculaires, sans doute à cause de ses effets inflammatoires.
Complexité
L’équipe de recherche de l’étude Respond reconnaît la possibilité qu’elle n’ait pas mesuré des facteurs de risque de maladies cardiovasculaires qui étaient présents chez des personnes utilisant des inhibiteurs de l’intégrase.
Problèmes de conception
Il importe de souligner que Respond, une étude d’observation, a été conçue d’une manière problématique qui doit être prise en considération. Aucune étude d’observation ne pourrait prouver que l’usage d’inhibiteurs de l’intégrase a causé les problèmes cardiovasculaires sérieux observés chez certain·e·s participant·e·s. Comme les maladies cardiovasculaires étaient relativement rares, il faudrait mener un essai clinique randomisé de très grande envergure et de très longue durée pour répondre de manière concluante aux questions soulevées par l’étude Respond. Notons toutefois qu’un tel essai se déroulerait sur plusieurs années et coûterait très cher.
Conseils de scientifiques non affilié·e·s à l’étude Respond
Rappelons que les participant·e·s à l’étude Respond provenaient de cliniques VIH importantes situées en Europe et ailleurs. Les résultats sont réels dans la mesure où les maladies cardiovasculaires analysées se sont bel et bien produites. La question à poser est pourquoi? Une équipe de scientifiques de l’Université du Witwatersrand à Johannesburg, en Afrique du Sud, a examiné les résultats de l’étude Respond et les a mis en contexte pour les clinicien·ne·s et les patient·e·s : « Heureusement, les données recueillies avant [la plus récente analyse de l’étude Respond] laissent croire au niveau élevé d’innocuité et d’efficacité [du dolutégravir et du bictégravir], alors une surveillance prudente est appropriée pour le moment. Mais la nécessité de confirmer ou d’infirmer [les résultats de Respond] par d’autres études est devenue pressante ».
Consciente de ces enjeux, l’équipe de l’étude Respond invite les responsables « d’autres études d’envergure à faire des analyses pour vérifier nos résultats et explorer les mécanismes sous-jacents potentiels ».
—Sean R. Hosein
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