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  • Des scientifiques suisses ont suivi 15 000 personnes séropositives pour déterminer combien d’entre elles interrompaient leurs soins
  • 19 % ont interrompu leurs soins et un grand nombre avaient un système immunitaire affaibli lors de la reprise de ces soins
  • Le nombre d’interruptions a baissé au cours de l’étude, coïncidant avec l’arrivée de médicaments contre le VIH plus tolérables

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Le Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida (ONUSIDA) a encouragé les villes, les pays et les régions du monde à s’efforcer d’atteindre les cibles suivantes en 2025 :

  • 95 % des personnes séropositives savent qu’elles sont infectées
  • 95 % des personnes séropositives suivent un traitement contre le VIH (traitement antirétroviral ou TAR)
  • 95 % des personnes séropositives sous TAR ont une charge virale indétectable dans leur sang

Ces objectifs sont importants parce que l’atteinte d’une charge virale indétectable grâce à l’observance fidèle d’un TAR entraîne une amélioration de la santé des personnes séropositives. Les études portent en effet à croire que de nombreuses personnes sous TAR ont une espérance de vie quasi normale. De plus, des essais cliniques ont révélé que les personnes dont la charge virale est indétectable grâce au TAR ne peuvent transmettre le virus à leurs partenaires sexuel·le·s. Ainsi, lorsqu’il est utilisé comme il se doit, le TAR procure à la fois des bienfaits thérapeutiques et préventifs. 

Les cibles fixées par l’ONUSIDA pour 2025 concernent de larges populations de villes, de pays ou de régions. Cependant, à l’échelon des cliniques, il est également important de suivre les patient·e·s individuellement afin de reconnaître tout problème éventuel et d’offrir conseils et assistance si les gens ont de la difficulté à suivre leur TAR comme il se doit.

Étude suisse

Un groupe de scientifiques a établi l’Étude suisse de cohorte VIH, une base de données détaillée dans laquelle on amasse des informations se rapportant à la santé de personnes séropositives depuis le milieu des années 1990. On y trouve des données recueillies auprès de 70 % des personnes vivant avec le VIH en Suisse. La base de données est mise à jour et analysée périodiquement afin de produire des rapports utiles traitant de diverses questions se rapportant à la santé des personnes séropositives. 

Lors de son analyse la plus récente, une équipe de recherche suisse a fouillé sa base de données pour trouver des personnes qui ont commencé un TAR après le 1er janvier 1996 et qui ont interrompu subséquemment leur traitement. L’analyse des données s’est poursuivie jusqu’en juillet 2020 dans certains cas. L’équipe a trouvé les dossiers de presque 15 000 personnes dont le suivi avait duré au moins 10 ans. Parmi celles-ci, environ 19 % (2 768) ont interrompu leurs soins. Sur ces 2 768 personnes, 1 384 ont recommencé plus tard à recevoir des soins, mais les autres non. 

Sur les 1 384 personnes qui ont fini par reprendre les soins, 552 semblaient avoir continué à suivre leur TAR pendant qu’elles ne fréquentaient plus une clinique de l’étude. L’équipe de recherche a déduit que ces 552 personnes avaient poursuivi leur TAR, puisque leur charge virale était très faible lors de la reprise des soins. Le fait de ne pas fréquenter les cliniques de l’étude tout en maintenant une charge virale indétectable pourrait sembler contradictoire, mais une explication suivra. Il semble évident que les autres personnes qui ont cessé de fréquenter les cliniques de l’étude ont arrêté également de suivre leur TAR parce que leur charge virale n’était pas indétectable lors de la reprise des soins.

Risques liés à l’interruption du traitement

Parmi les personnes qui ont interrompu leur TAR puis l’ont repris subséquemment, le compte de CD4+ moyen est passé de 374 cellules/mm3 avant l’interruption à 250 cellules/mm3 14 mois plus tard lors de la reprise des soins. 

Certaines personnes ont mis encore plus de temps à reprendre les soins, soit plus de 60 mois. Leur compte de CD4+ au moment de la reprise des soins était de 185 cellules/mm3. Un compte de CD4+ aussi faible indique un affaiblissement du système immunitaire, ce qui expose la personne touchée à un risque accru d’infections potentiellement mortelles. 

En guise de contraste, notons que les personnes qui ont continué de recevoir des soins et de suivre leur TAR voyaient leur compte de CD4+ augmenter encore pour atteindre une moyenne de 600 cellules/mm3.

L’interruption du TAR fait également augmenter le risque de transmission du VIH parce que la charge virale n’est plus indétectable. La charge virale moyenne lors de la reprise des soins s’élevait à près de 40 000 copies/ml.

L’équipe de recherche a constaté que près de 12 % des personnes qui ont interrompu leur TAR avaient une nouvelle infection liée au sida lorsqu’elles sont revenues aux cliniques de l’étude. Les infections qui se produisaient le plus souvent durant l’interruption du TAR incluaient les suivantes : 

  • pneumonie à Pneumocystis (PPC, PPJ)
  • grave infection fongique de la gorge et de la bouche (candidose œsophagienne)
  • sarcome de Kaposi (SK)
  • toxoplasmose

Plus la période sans TAR durait, plus le risque d’infections potentiellement mortelles augmentait. À titre d’exemple, notons que les personnes qui ont interrompu le TAR pendant 14 mois couraient un risque de complications potentiellement mortelles de 7 %. Ce chiffre montait jusqu’à 17 % chez les personnes qui ont cessé de prendre leur traitement pendant 60 mois.

Au fil du temps, le risque de mettre fin aux visites aux cliniques ou d’interrompre le TAR a baissé et est resté plus faible entre 2005 et 2009 (par rapport à la période de 1996 à 1999). Le risque n’a pas continué de baisser après 2009. 

Pourquoi les interruptions des soins et du traitement ont-elles eu lieu?

Notons que le taux d’abandon du TAR était relativement élevé au début de l’étude, mais a baissé ensuite et est resté stable au cours de celle-ci. Au fil des années, les options en matière de TAR sont devenues plus simples (une seule prise de comprimés par jour) et beaucoup plus tolérables que les traitements qui existaient dans les années 1990. Cela a facilité l’observance thérapeutique et réduit le nombre d’effets secondaires, ce qui explique sans doute le déclin de la cessation du TAR. 

Des études menées dans d’autres pays ont révélé que plusieurs facteurs jouaient un rôle dans l’interruption des soins, notamment les problèmes socioéconomiques, la perception d’un manque de bienfaits du TAR, la difficulté à vivre avec un diagnostic de VIH et les effets secondaires des médicaments. Cette équipe de recherche soutient qu’il est peu probable que ces facteurs aient joué un rôle dans son étude. De plus, l’équipe suisse (qui se compose de médecins d’expérience) a attribué certaines interruptions des soins aux raisons possibles suivantes : 

  • Séjours temporaires à l’extérieur du pays : Les personnes qui sont parties temporairement ont été en mesure d’obtenir des soins pour le VIH pendant qu’elles résidaient à l’extérieur de la Suisse. Certaines personnes qui ont interrompu les soins en Suisse étaient nées en Afrique subsaharienne, ce qui pourrait expliquer pourquoi certaines personnes qui ont cessé de fréquenter les cliniques suisses ont réussi à rester sous TAR;
  • Problèmes liés à l’usage de substances : Environ 38 % des personnes qui ont interrompu leur TAR faisaient usage de substances. Il est possible que certaines personnes dans cette catégorie n’aient pas reçu le soutien nécessaire pour continuer à suivre fidèlement leur traitement. 

Absence d’entrevues

Une lacune importante de cette étude (et de nombreuses études sur l’observance) réside dans le fait que l’équipe de recherche n’a pas été en mesure d’interroger les participant·e·s sur les raisons pour avoir abandonné les soins ou le TAR. De telles études coûtent cher et prennent beaucoup de temps. Qui plus est, la compétition pour obtenir des fonds de recherche est féroce, et il existe de nombreux enjeux médicaux pressants qui méritent aussi d’être examinés dans des études. Enfin, les agences qui financent la recherche scientifique ont tendance à ne pas prioriser les études de grande envergure qui incluent des entrevues auprès des participant·e·s. 

Malgré ces bémols, cette équipe suisse a analysé une grande base de données et constaté que l’interruption des soins et du traitement du VIH avait bel et bien lieu. Les résultats de cette étude justifient alors une surveillance des bases de données cliniques et l’envoi d’alertes au personnel des cliniques lorsque des patient·e·s ne reçoivent plus de soins depuis une certaine période (cela peut varier d’une personne à l’autre et pourrait se situer entre quatre et six mois). Selon l’équipe de recherche, d’autres études indiquent que le personnel clinique serait alors en mesure d’intervenir par le biais de « coups de téléphone, lettres envoyées par la poste ou courriel ou visites à domicile effectuées par des équipes spécialisées en interventions de proximité ». Toujours selon l’équipe de recherche, des études menées aux États-Unis ont révélé que les interventions suivantes aidaient certain·e·s patient·e·s à reprendre contact avec des prestataires de soins de santé :

  • intervenant·e·s pivot
  • aide à la prise de rendez-vous et alertes
  • soutien psychosocial
  • accompagnement par un membre de la communauté lors des rendez-vous 

L’étude suisse souligne le fait qu’il existe des sous-groupes de personnes qui interrompent leurs soins ou leur TAR. Si les pays et les régions du monde espèrent atteindre et dépasser les cibles de l’ONUSIDA, il est essentiel que les études futures incluent des entrevues auprès de personnes qui abandonnent les soins et le traitement. 

Au Canada

Des scientifiques du Canada ont examiné des bases de données pharmaceutiques pour analyser des informations anonymisées se rapportant aux habitudes de renouvellement d’ordonnances de quelque 19 000 personnes vivant avec le VIH. Sur une période de 10 ans (2010 à 2020), l’équipe a constaté que près de 45 % des participant·e·s faisaient preuve d’une observance sous-optimale du TAR. Elle a fondé cette conclusion sur la chronologie des renouvellements d’ordonnances, notamment en calculant le nombre de jours où les participant·e·s n’avaient plus de médicaments, c’est-à-dire le nombre de jours où il leur était impossible de maintenir une bonne observance thérapeutique. Dans l’étude canadienne, la non-observance concernait généralement des personnes qui étaient aux prises avec plusieurs problèmes de santé concomitants; notons aussi que celles-ci avaient tendance à être plus jeunes. 

Aux États-Unis

Lors d’une étude américaine, une équipe de recherche a analysé des données anonymisées recueillies auprès de 200 000 personnes vivant avec le VIH, en se concentrant sur la période entre juillet 2017 et septembre 2018. Les participant·e·s provenaient de chaque État de l’Union. L’équipe a également examiné les dossiers de renouvellement d’ordonnances et constaté que plus de 60 % des participant·e·s faisaient preuve d’un taux d’observance de moins de 90 %. Ces personnes ne semblaient pas renouveler leurs ordonnances à la date prévue et passaient donc des périodes sans traitement contre le VIH. 

Lors d’une autre étude américaine, une équipe a exploré la question de l’observance thérapeutique et le risque que le VIH acquière une résistance partielle ou intégrale au traitement. Elle a trouvé que les taux de résistance variaient entre 20 % et 54 %, selon l’État. De plus, l’équipe a constaté que les États affichant les plus hauts taux de résistance aux médicaments contre le VIH avaient tendance à compter une population séropositive présentant un faible taux d’observance thérapeutique.

À retenir

Ces études menées en Suisse, au Canada et aux États-Unis portent à croire que l’observance thérapeutique est un problème pour certaines personnes séropositives, voire pour un grand nombre d’entre elles. Les traitements à longue durée d’action comme Cabenuva (cabotégravir + rilpivirine sous forme injectable), lesquels sont injectés une fois tous les deux mois après une période d’induction, sont une solution potentielle pour certaines personnes. Cependant, même avec Cabenuva, des consultations en clinique et en laboratoire sont nécessaires. Les cliniques ont besoin de fonds additionnels pour mener des études sur l’observance et trouver des moyens de soutenir les patient·e·s afin que les bienfaits impressionnants du TAR pour la longévité puissent être maintenus.

—Sean R. Hosein

Ressource

Cibles 2025 de l’ONUSIDA en matière de sidaONUSIDA (en anglais seulement) 

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