- Des médecins de Barcelone ont rendu compte des cas de cinq patients séropositifs atteints de COVID-19
- Ces patients représentaient 1 % de tous les patients hospitalisés ayant reçu un diagnostic de coronavirus
- Quatre patients se sont rétablis, et leurs cas pourraient servir de guide aux cliniciens
Des médecins de l’Université de Barcelone, en Espagne, ont publié un rapport détaillé sur cinq personnes séropositives ayant contracté la co-infection au SRAS-CoV-2, le virus qui cause la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19). Toutes ces personnes avaient moins de 50 ans, et quatre d’entre elles s’étaient rétablies de la COVID-19 au moment de la publication. Ce rapport de Barcelone rend compte d’une petite série de cas, et il est impossible d’en tirer des conclusions solides par rapport à l’efficacité de traitements potentiels contre le SRAS-CoV-2.
Détails des cas
Selon les médecins espagnols, au 9 mars 2020, la clinique hospitalière de l’université avait admis 543 personnes ayant fait l’objet d’un diagnostic d’infection au SRAS-CoV-2. Cinq d’entre elles (environ 1 %) étaient séropositives, dont trois hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HARSAH) et deux personnes trans. Ces cinq personnes ont consulté parce qu’elles faisaient de la fièvre et toussaient et éprouvaient d’autres symptômes dans certains cas, notamment un manque d’énergie, de l’essoufflement et des maux de tête. Des affections médicales sous-jacentes étaient présentes chez deux personnes seulement, soit un homme atteint d’hypothyroïdie (taux d’hormones thyroïdiennes inférieurs à la normale) et un autre souffrant d’asthme.
Toutes les personnes atteintes de COVID-19 ont subi une radiographie thoracique. Dans deux cas de COVID-19 légère, les images radiographiques étaient claires. Chez les trois autres personnes, les images laissaient soupçonner une infection ou une pneumonie. Dans ces trois cas, la COVID-19 a été qualifiée de grave (deux personnes) ou de modérée (une personne).
Quatre personnes sur les cinq suivaient déjà un traitement du VIH avant d’être admises à l’hôpital. Elles avaient un compte de CD4+ supérieur à 400 cellules/mm3 et une charge virale indétectable (moins de 50 copies/ml). La cinquième personne a reçu son diagnostic de VIH durant l’hospitalisation, et elle avait un compte de CD4+ de 13 cellules/mm3 et une charge virale de 45 500 copies/ml.
Les traitements du VIH (TAR) en cours avant l’hospitalisation des patients étaient les suivants :
- darunavir + cobicistat + TAF + FTC : deux personnes
- dolutégravir + abacavir + 3 TC : deux personnes
Retour sur Kaletra
À l’heure actuelle, aucun traitement (ni aucune combinaison de traitements) n’est approuvé au Canada ou dans d’autres pays à revenu élevé pour combattre l’infection au SRAS-CoV-2. Cependant, face à l’urgence actuelle, il arrive que certains médecins prescrivent des combinaisons de médicaments inhabituelles dans l’espoir de sauver la vie des personnes atteintes de COVID-19, surtout celles souffrant de symptômes graves.
En théorie, la classe de médicaments anti-VIH plus anciens appelés inhibiteurs de la protéase pourraient inhiber une enzyme utilisée par le SRAS-CoV-2. Un inhibiteur de la protéase du VIH porte le nom de lopinavir. Offert en formulation à doses fixes, le lopinavir est associé à une faible dose d’un deuxième médicament appelé ritonavir. Ce dernier a pour rôle de faire augmenter le taux de lopinavir afin qu’il soit possible de le prendre une ou deux fois par jour. Cette faible dose de ritonavir ne possède aucune activité antivirale. Le lopinavir-ritonavir se vend sous le nom de marque Kaletra, ainsi qu’en versions génériques. On utilisait couramment Kaletra autrefois dans le cadre des combinaisons de traitements anti-VIH au Canada et dans les autres pays à revenu élevé. Cependant, il s’est fait remplacer par des médicaments plus puissants et mieux tolérés au cours des 15 dernières années.
Un essai clinique de Kaletra a récemment révélé qu’il ne procurait aucun bienfait clinique significatif aux personnes souffrant de symptômes graves de la COVID-19. Il n’empêche que d’autres essais cliniques de Kaletra pour la COVID-19 se poursuivent.
Certains ont attribué une activité anti-SRAS-CoV-2 à un autre inhibiteur de la protéase appelé darunavir, mais son fabricant, la compagnie pharmaceutique Janssen, a effectué des expériences de laboratoire sur des cellules et ce virus qui n’ont révélé aucun effet significatif.
Quelques changements dans les régimes
La personne qui éprouvait des symptômes modérés de la COVID-19 a continué de recevoir le régime à base de darunavir qu’il suivait avant l’hospitalisation et n’a pas fait l’objet d’interventions additionnelles (voir ci-dessous). La personne dont le diagnostic de VIH a été posé à l’hôpital s’est fait prescrire un TAR à base de darunavir parce qu’elle avait un compte de CD4+ extrêmement faible et souffrait d’une pneumonie potentiellement mortelle caractéristique du sida (pneumonie à pneumocystis, ou PPC). En ce qui concerne les trois autres personnes, les médecins ont expliqué qu’ils comptaient changer leur régime anti-VIH pour un traitement à base de Kaletra parce que ce dernier aurait « peut-être » une activité antivirale contre le SRAS-CoV-2. Lorsque ces personnes seraient guéries de la COVID-19, les médecins leur prescriraient à nouveau leur régime anti-VIH précédent. Les médecins ont prescrit le nouveau régime suivant conçu pour combattre la COVID-19 et le VIH :
- Kaletra + Truvada
Truvada a été ajouté pour aider à maintenir la suppression du VIH.
Interventions additionnelles
Dans le cadre du régime anti-SRAS-CoV-2, certaines personnes ont reçu des traitements additionnels :
- Deux personnes ont reçu des injections d’interféron bêta-1b à raison de 8 millions d’unités toutes les 48 heures pendant plusieurs jours.
- Quatre personnes ont reçu de l’hydroxychloroquine à raison de deux doses de 400 mg le premier jour, suivies de 200 mg deux fois par jour pendant quatre jours.
- Trois personnes ont reçu l’antibiotique azithromycine à raison de 500 mg le premier jour, puis 250 mg par jour pendant quatre jours consécutifs.
Aucune de ces interventions ne s’est révélée efficace contre le SRAS-CoV-2, mais elles semblent prometteuses dans les expériences de laboratoire sur des cellules et le virus, ainsi que lors d’études de petite envergure menées chez des humains. Ces médicaments font l’objet d’essais cliniques et/ou ont été largement utilisés par des médecins en Chine vers le début de la pandémie.
La personne atteinte de PPC a reçu des antibiotiques additionnels pour combattre cette pneumonie, soit la combinaison triméthoprime-sulfaméthoxazole pendant 21 jours.
Chez une des personnes atteintes d’un cas grave de COVID-19, on a administré une seule injection de 400 mg du puissant anti-inflammatoire tocilizumab. Utilisé pour le traitement de l’arthrite, ce médicament agit en supprimant un signal chimique appelé IL-6 (interleukine-6) qui déclenche l’inflammation. Certains chercheurs se doutent que les lésions pulmonaires graves observées dans certains cas de COVID-19 seraient causées en partie par la libération de signaux chimiques inflammatoires par le système immunitaire.
Résultats
Une évaluation subséquente a déterminé que quatre personnes étaient guéries du SRAS-CoV-2 et pouvaient quitter l’hôpital.
Notons cependant qu’une personne qui suivait un traitement du VIH avant d’être hospitalisée se trouve encore dans le service des soins intensifs de l’hôpital parce que ses poumons sont gravement endommagés et ne fonctionnent pas correctement. Pour cette raison, les médecins doivent faire passer son sang par un appareil externe afin de l’enrichir en oxygène et d’enlever le dioxyde de carbone. Le sang est ensuite réintroduit dans le système sanguin de la personne. On appelle ce processus d’oxygénation externe l’ECMO (acronyme anglais correspondant à oxygénation par membrane extracorporelle). L’ECMO est utilisée partout dans le monde contre les cas graves de lésions pulmonaires associées à la COVID-19.
À retenir
Les médecins de Barcelone ont souligné les points suivants à propos des cinq personnes dont ils prennent soin :
- Jusqu’à présent, les personnes séropositives représentent à peu près 1 % des personnes hospitalisées pour la COVID-19 dans leur établissement.
- Toutes les personnes avaient moins de 50 ans.
- Comme la plupart des personnes figurant dans cette série de cas étaient soit trans soit des HARSAH, les médecins souhaitent la tenue de recherches auprès d’autres populations atteintes du VIH et de COVID-19, notamment les HARSAH plus âgés, les consommateurs de substances, les femmes et les hommes hétérosexuels.
- Selon les médecins, deux personnes figurant dans cette série de cas étaient des « travailleurs du sexe », et une autre avait participé à un party de chemsex six jours avant son admission à l’hôpital. Durant cette pandémie, la mise sur pied de programmes d’éducation sanitaire est très importante pour [aider à] expliquer que de telles activités risquent de causer des grappes de transmission du SRAS-CoV-2 ».
- Il est possible que des personnes souffrant d’une infection au VIH non diagnostiquée contractent la COVID-19 et présentent une pneumonie liée au sida à l’avenir. Les médecins de Barcelone encouragent les autres cliniciens à rester vigilants par rapport à une telle éventualité.
–Sean R. Hosein
Ressources
Kaletra déçoit chez les personnes gravement malades de la COVID-19 – Nouvelles CATIE
Maladie à coronavirus (COVID-19) : Mise à jour sur l’éclosion – Agence de la santé publique du Canada
Having sex and staying safe during the COVID-19 pandemic – Health Initiative for Men (en anglais seulement)
Coronavirus COVID-19 – Terrence Higgins Trust (en anglais seulement)
COVID-19: What people with HIV should know – Centers for Disease Control and Prevention (CDC) (en anglais seulement)
Interim Guidance for COVID-19 and Persons with HIV – U.S. Department of Health and Human Services (en anglais seulement)
RÉFÉRENCE :
Blanco JL, Ambrosioni J, Garcia F, et al. COVID-19 in patients with HIV: Clinical case series. Lancet HIV. 2020; en voie d’impression.