- Une équipe de l’Université McGill a créé un robot conversationnel pour fournir de l’information aux personnes séropositives
- Selon les participant·e·s, le robot donnait des réponses plus fiables que les moteurs de recherche
- Les avantages incluaient une perception de non-jugement, de confidentialité et de vitesse
Pour de nombreuses personnes vivant au Canada et dans d’autres pays à revenu élevé, l’infection par le VIH est une maladie traitable avec laquelle on vit généralement bien. Pour certaines personnes, le traitement du VIH (traitement antirétroviral ou TAR) consiste en la prise d’un seul comprimé une fois par jour ou encore en des injections régulières. Lorsqu’il est utilisé comme il se doit, le TAR réduit d’ordinaire la quantité de VIH dans le sang jusqu’à un niveau indétectable et la maintient ainsi. Cela permet au système immunitaire de se réparer largement, et le risque d’infections et de cancers liés au sida devient extrêmement faible. Des études indiquent par conséquent que de nombreuses personnes sous TAR ont une espérance de vie quasi normale.
Il importe de noter que les bienfaits du TAR ne se réalisent que lorsque le traitement est utilisé en suivant les consignes à la lettre. Les personnes sous traitement doivent respecter leurs rendez-vous en clinique et passer régulièrement des tests de laboratoire et d’autres évaluations afin que leur médecin reste au courant de tout changement. Il est également important que les personnes sous TAR acquièrent des connaissances afin qu’elles soient capables de prendre leur maladie en main et de gérer leurs médicaments.
Certaines personnes séropositives font malheureusement face à des problèmes qui rendent difficile la prise de médicaments, y compris les suivants :
- mauvaise compréhension de la nécessité de bonnes habitudes en matière de prise de médicaments
- peur des effets secondaires éventuels du traitement
- perturbations de sa routine causées par des circonstances de vie difficiles (p. ex., ennuis financiers)
- problèmes de santé mentale comme la dépression et les dépendances
- inquiétude à l’idée que la présence de médicaments ne dévoile accidentellement son statut VIH à d’autres personnes
- problèmes de communication avec les prestataires de soins
Solutions technologiques
Des études ont révélé que les services de counseling en ligne pouvaient aider les gens à suivre fidèlement leur TAR et à composer avec des effets secondaires non compliqués. Lors d’une étude menée en Colombie-Britannique, on a constaté que l’envoi de messages textes une fois par semaine aidait les gens à maintenir une bonne observance thérapeutique du TAR et une charge virale indétectable.
Nombre de scientifiques sont d’avis que les programmes conversationnels générés par intelligence artificielle (IA) peuvent être utiles aux personnes vivant avec un problème médical. À l’heure actuelle, on met à l’épreuve l’usage de robots conversationnels (chatbots) pour fournir des renseignements limités touchant la santé dans plusieurs domaines, dont le cancer, le diabète et la santé mentale.
Des scientifiques d’Afrique du Sud ont constaté que les robots conversationnels s’avéraient utiles à des personnes ayant recours à un autotest de dépistage rapide du VIH. En Malaisie, une autre étude a révélé que les utilisateur·trice·s considéraient les robots conversationnels comme un moyen acceptable d’obtenir de l’information sur l’autodépistage du VIH et la prophylaxie pré-exposition (PrEP).
Arrivée de Marvin à Montréal
Une équipe de recherche de l’Université McGill à Montréal a collaboré avec des patient·e·s et d’autres parties prenantes pour créer un robot conversationnel nommé Marvin. Ce robot peut converser par messagerie texte, en français et en anglais, et offrir des conseils et de l’information sur les sujets suivants :
- prise du TAR : gestion du temps, posologies, rangement des médicaments, interactions médicamenteuses courantes, identification des médicaments
- gestion du TAR lors des voyages : conseils sur les restrictions à l’immigration fondées sur le statut VIH dans certains pays, vaccinations requises, ajustement de l’horaire de prise de médicaments selon le fuseau horaire, transport sécuritaire du TAR
- sujets généraux liés au VIH : le robot conversationnel consulte des bases de connaissances pour pouvoir parler des symptômes courants liés au VIH, des modes de transmission, de la prévention et des vaccinations de routine recommandées
- rappels des prises de médicaments : à la demande de l’utilisateur·trice, le robot peut envoyer des messages quotidiens lui rappelant de prendre ses médicaments; les rappels peuvent être personnalisés, modifiés ou effacés à tout moment; l’utilisateur·trice peut demander au robot d’envoyer un message comme « C’est l’heure de ta promenade » afin que son statut VIH ne soit pas dévoilé
Étude sur le robot conversationnel
Après avoir créé Marvin, l’équipe de Montréal a mené une étude pour évaluer son utilité. Elle a invité les participant·e·s à tenir 20 « conversations » avec Marvin à propos des sujets suivants :
- conseils sur la prise du TAR
- conseils sur le TAR et les voyages
- recommandations sur les vaccins pour les personnes atteintes du VIH
Les participant·e·s ont interagi avec Marvin sur Facebook Messenger. Cette appli gratuite était accessible par téléphone intelligent, tablette ou d’autres appareils. Les données de l’étude et le robot conversationnel étaient stockés sur les serveurs informatiques de l’Université McGill.
Après les 20 conversations, les participant·e·s ont rempli des questionnaires, et quelques personnes ont pris part à des groupes de discussion sur la plateforme Zoom. Quelques-unes d’entre elles ont également été interviewées personnellement. En tout, 28 personnes ont participé à l’étude, dont 23 hommes et cinq femmes.
Résultats
Selon l’équipe de recherche, les participant·e·s ont trouvé que Marvin était « une source fiable de connaissances et d’informations médicales, et il était validé par des professionnel·le·s de la santé expert·e·s. Les utilisateur·trice·s trouvaient les réponses fiables et plus dignes de confiance que ce que l’on trouvait normalement dans les moteurs de recherche courantes [d’Internet] ».
Pour la plupart des participant·e·s, Marvin était facile à utiliser et aidait à éliminer « la nécessité d’attendre leur prochain rendez-vous en clinique » pour poser des questions à leur prestataire de soins de santé.
Marvin donnait les réponses instantanément, ce qui était utile aux utilisateur·trice·s, surtout lorsqu’il leur fallait une réponse rapide. Selon l’équipe de recherche, « certain·e·s participant·e·s appréciaient particulièrement le contenu se rapportant aux voyages parce qu’ils ou elles n’avaient pas l’habitude de voir leur médecin avant de partir en voyage ».
Comme Marvin n’était pas humain, l’équipe de recherche a affirmé que les utilisateur·trice·s le trouvaient « émotionnellement sécuritaire ». C’est-à-dire que Marvin les mettait à l’aise, et les participant·e·s pouvaient lui confier des renseignements personnels. De plus, comme Marvin ne portait pas de jugement, cela les encourageait à poser des questions qu’ils ou elles ne seraient peut-être pas enclin·e·s à poser à leur prestataire de soins de santé.
De nombreux·ses utilisateur·trice·s ont apprécié les caractéristiques confidentielles du service offert par le robot conversationnel.
La plupart des participant·e·s ont trouvé Marvin simple d’utilisation. Selon l’équipe de recherche, plusieurs personnes ont affirmé que « utiliser Marvin était comme jaser avec un·e ami·e ». Les créateur·trice·s de Marvin ont inclus dans leur programme des « éléments emphatiques », tel l’« émoji souriant », ainsi que des expressions et des mots encourageants.
Progrès à faire
Même si les participant·e·s étaient satisfait·e·s du robot conversationnel, l’équipe a affirmé que nombre d’entre eux et elles trouvaient que les conversations avec Marvin « étaient superficielles et les réponses formulées d’une manière peu utile ». Les participant·e·s souhaitaient que le robot soit capable de discuter d’une gamme plus large de sujets liés à la santé, dont les suivants :
- alimentation et nutrition
- activité physique
- renseignements additionnels sur le traitement du VIH
- nouveaux traitements
- infections émergentes
- PrEP pour la prévention du VIH
- grossesse et allaitement
- santé sexuelle et infections transmissibles sexuellement
- soutien à l’accès aux soins de santé, dont la planification de rendez-vous et de vaccinations
- aiguillage vers des psychologues
- enjeux socioéconomiques
- soutien en matière d’immigration
Questions et réponses
Certain·e·s participant·e·s ont trouvé que Marvin avait de la difficulté à comprendre initialement les questions posées, ce qui les obligeait à reformuler celles-ci. Une personne a encouragé l’équipe de recherche à aider le robot à apprendre d’autres langues.
Modes de fourniture des renseignements
Marvin a été conçu comme robot conversationnel et offrait donc de l’information par message texte, mais certain·e·s utilisateur·trice·s ont recommandé que les versions futures soient améliorées de sorte à donner des réponses sous forme d’images et de vidéos.
Mémoire
Certain·e·s participant·e·s ont suggéré que Marvin soit doté de la capacité de se rappeler les conversations. Cela leur éviterait de devoir expliquer leur situation (problèmes de santé, médicaments, etc.) à plusieurs reprises sur une courte période. Pour accéder à cette demande, l’équipe de recherche devra tenir compte du fait que les médecins prescrivent de temps en temps des changements de médication.
Proactivité
Marvin a été conçu de sorte que les participant·e·s devaient d’abord poser une question afin de lancer une conversation. Certain·e·s utilisateur·trice·s souhaitaient cependant qu’une version future de Marvin fonctionne de manière plus proactive (en posant lui-même des questions pour entamer une conversation).
Au-delà des participant·e·s
Certaines personnes ont trouvé Marvin stimulant et s’en sont servies pour faciliter des discussions sur la santé avec leurs ami·e·s. L’accès à Marvin (que facilitaient les participant·e·s) aidait à aborder des questions soulevées par leurs ami·e·s.
Base de connaissances
Selon l’équipe de recherche, « les participant·e·s affirmaient qu’il existait d’autres sources d’information plus complètes… [tel le site CATIE.ca] ». Il est cependant à noter que Marvin a été conçu avec des limitations inhérentes afin que ses créateur·trice·s puissent éprouver des idées se rapportant à des sujets particuliers.
Confiance et autres enjeux
Un participant s’est aperçu d’une divergence entre la réponse donnée par Marvin et les dires de son médecin se rapportant à la gestion des posologies du TAR lors d’un voyage. La personne en question a préféré les conseils offerts par Marvin. Un autre participant a toutefois affirmé qu’il se fierait aux conseils de son médecin avant de suivre ceux du robot conversationnel.
La confiance s’est également avérée un enjeu en ce qui avait trait à l’appli Facebook Messenger. De nombreux·ses participant·e·s ont exprimé une certaine méfiance à l’égard de cette plateforme. De plus, l’équipe de recherche a constaté que « Facebook n’est simplement pas le média social préféré de beaucoup de participant·e·s ». Ce constat a révélé la nécessité de rendre le robot conversationnel accessible sur diverses plateformes. Les patient·e·s ont suggéré WhatsApp (autre possession de Facebook), ainsi que la création d’une appli Marvin que l’on pourrait installer sur les appareils. Une autre option consisterait à offrir l’accès à Marvin dans le site Web d’une clinique.
Les difficultés que pose la technologie
En ce 21e siècle, il est difficile pour quiconque d’interagir pleinement avec la société, les médias, les gouvernements et les services de santé sans avoir une bonne compréhension de l’usage de technologies comme les téléphones intelligents, les tablettes, Internet et les ordinateurs. Avant cette étude, certain·e·s participant·e·s ne savaient rien à propos de l’appli Facebook Messenger, ce qui n’a rien de surprenant vu que celle-ci n’était pas une plateforme préférée. L’équipe de recherche a affirmé que « l’aspect technologique inhérent du robot conversationnel est également un obstacle pour certaines personnes ».
Pour aider les participant·e·s à se servir de Marvin, l’équipe de recherche a tenu des séances de formation. Notons cependant que les versions futures du robot et les études futures sur son usage nécessiteront des vidéos et des tutoriels pour le rendre plus accessible. À propos de la nécessité de telles interventions, l’équipe de recherche a affirmé que « certain·e·s participant·e·s avaient de la difficulté à utiliser la technologie du robot conversationnel et les médias sociaux à cause de lacunes dans leur littératie numérique ».
Extension des groupes d’usager·ère·s cibles
Les participant·e·s qui vivaient avec le VIH depuis plusieurs années ont laissé entendre que Marvin serait probablement plus utile à des personnes récemment diagnostiquées pour lesquelles le TAR serait nouveau.
Comme les connaissances de Marvin englobent la prévention du VIH, les utilisateur·trice·s de l’avenir pourraient inclure des personnes séronégatives, ont avancé des participant·e·s.
Outil prometteur – « Le chatbot va vous recevoir. »
Cette équipe de recherche de Montréal semble être au premier plan de la recherche sur les robots conversationnels conçus à titre d’aides aux personnes vivant avec le VIH. Il est toutefois évident qu’un robot conversationnel ne peut remplacer un·e prestataire de soins de santé. Cette étude a fourni à l’équipe de recherche de nombreuses données qui les aideront à concevoir la prochaine version de Marvin. Selon l’équipe, le prochain Marvin sera en mesure de discuter de nombreux autres sujets grâce à l’expansion de sa base de connaissances.
Au fur et à mesure que les puces de traitement numériques deviendront plus complexes, ainsi en sera-t-il des ordinateurs et d’autres appareils informatiques dont le fonctionnement en dépend. Il est naturel que les robots conversationnels évoluent de sorte à mieux converser avec les gens afin de leur fournir des renseignements à jour et fiables sur la santé. Le 21e siècle est encore jeune, et il est probable que les ordinateurs et l’intelligence artificielle deviendront plus sophistiqués à l’avenir. Une application particulière va faciliter l’obtention de renseignements pour des personnes vivant avec une maladie comme l’infection par le VIH. L’étude menée à McGill présente une façon d’intégrer l’IA dans le quotidien des personnes séropositives. Les équipes de recherche devront continuer de tenir compte d’enjeux comme l’éthique, la sécurité personnelle, la confidentialité et la protection des renseignements personnels. Une version future de Marvin aura sa propre interface Web et sans doute une appli que l’on pourra installer sur les téléphones et les tablettes.
L’IA et les robots virtuels ne peuvent remplacer la chaleur humaine qui caractérise les interactions entre les patient·e·s et d’autres personnes. Les sources d’information médicale virtuelles ne conviendront pas à tout le monde. Il reste que certaines personnes trouveront les robots conversationnels pratiques, surtout durant l’intervalle entre les rendez-vous chez leur médecin.
—Sean R. Hosein
RÉFÉRENCE :
Ma Y, Achiche S, Tu G et al. The first AI-based Chatbot to promote HIV self-management: A mixed methods usability study. HIV Medicine. 2024; sous presse.