- Même si elles suivent un traitement contre le VIH (TAR), les personnes séropositives éprouvent des problèmes immunitaires subtils, mais persistants
- Il semble que certains problèmes immunitaires soient attribuables à la co-infection par un virus courant appelé CMV (cytomégalovirus)
- Dans l’espoir d’inhiber le CMV, des scientifiques de l’Université McGill ont lancé un essai clinique du létermovir
Le traitement du VIH (TAR) réussit très efficacement à réduire la quantité de VIH dans le sang jusqu’à un niveau indétectable. Avec le temps, l’utilisation correcte et continue du TAR maintient la réduction efficace du VIH et aide le système immunitaire à effectuer des réparations. La puissance du TAR est tellement transformatrice que les scientifiques prévoient une espérance de vie quasi normale pour de nombreuses personnes utilisant ce genre de traitement.
Le TAR ne peut toutefois réparer tous les dommages immunitaires subis par les personnes vivant avec le VIH, et de nombreux problèmes subtils peuvent persister, dont les suivants :
- Les tests révèlent une activation immunitaire et une inflammation excessives. Selon les scientifiques, ces dernières contribuent vraisemblablement à un large éventail de problèmes qui risquent de nuire à la santé à long terme. La liste inclut des maladies cardiovasculaires, l’insuffisance rénale, le diabète de type 2, des maladies dégénératives touchant le cerveau, l’accumulation excessive de graisse dans le foie et l’amincissement osseux.
- L’infection au VIH affaiblit la barrière intestinale qui empêche des protéines nuisibles produites par des bactéries et des champignons d’entrer dans l’organisme et d’être absorbées dans le sang. Une fois dans le sang, ces protéines peuvent causer de l’inflammation et maintenir l’activation du système immunitaire.
- Chez nombre de personnes séropositives, certaines cellules du système immunitaire semblent vieillir prématurément, et il est possible que l’activation immunitaire et l’inflammation excessives en soient responsables.
La cause sous-jacente de l’activation immunitaire et de l’inflammation excessives chez les personnes séropositives sous TAR n’est pas claire et fait encore l’objet d’études. Selon nombre de scientifiques, un membre de la famille des virus herpétiques appelé CMV contribuerait à l’activation immunitaire et à l’inflammation excessives, ainsi qu’au vieillissement prématuré du système immunitaire.
CMV : hier et aujourd’hui
Avant que le TAR soit devenu largement accessible au Canada et dans les autres pays à revenu élevé, le CMV était associé à des complications graves, et plus particulièrement à la cécité chez des personnes vivant avec le VIH.
De nos jours, grâce au TAR, les graves maladies aiguës associées au CMV sont rares chez les personnes séropositives. Des scientifiques estiment toutefois que la faible production de CMV chez les personnes sous TAR pourrait contribuer à des problèmes de santé liés à l’inflammation chronique.
Chez les personnes séronégatives, le CMV est associé au vieillissement prématuré du système immunitaire et à une réduction du rapport CD4/CD8, une mesure de la relation entre deux groupes de cellules immunitaires importantes. Il est donc à tout le moins plausible que le CMV exerce un effet semblable chez des personnes vivant avec le VIH.
Essai clinique précoce visant l’inhibition du CMV
Il y a plus d’une décennie aux États-Unis, une équipe de recherche a mené un essai clinique contrôlé contre placebo de faible envergure pour évaluer le valganciclovir chez des personnes séropositives suivant un TAR. Le valganciclovir est approuvé pour le traitement des maladies liées au CMV. L’équipe a constaté que le valganciclovir (900 mg par jour) réussissait à réduire l’activation immunitaire excessive. Notons cependant que cet essai fut de courte durée parce que le valganciclovir est toxique pour la moelle osseuse s’il est utilisé pendant longtemps.
Le létermovir pour inhiber le CMV
Au cours des dernières années, un nouveau médicament anti-CMV appelé létermovir (Prevymis) a été approuvé par les agences de réglementation du Canada et d’autres pays. On le prescrit le plus souvent aux personnes ayant reçu une greffe d’organe parce qu’elles ont besoin de médicaments immunosuppresseurs pour empêcher leur système immunitaire de s’attaquer à l’organe transplanté. En affaiblissant le système immunitaire, les immunosuppresseurs peuvent toutefois permettre au CMV de se réactiver et de causer des maladies. Des essais cliniques ont révélé que le létermovir était généralement sans danger pour les personnes recevant des greffes d’organes. Le létermovir agit en empêchant les cellules infectées par le CMV de produire de nouvelles copies du virus.
Étude québécoise
À l’Université McGill de Montréal, une équipe de scientifiques dirigée par Jean-Pierre Routy, M.D., Ph. D., et Léna Royston, M.D., Ph. D., s’intéresse à trouver des moyens de réduire l’inflammation excessive et de restaurer l’intégrité de la barrière intestinale chez les personnes vivant avec l’infection au VIH chronique. L’équipe a conçu un essai clinique du létermovir pour lequel elle compte recruter des personnes séropositives sous TAR dont la charge virale est indétectable. Les volontaires admissibles seront des adultes ayant un compte de CD4+ minimal de 400 cellules/mm3. Selon les estimations de l’équipe de McGill, comme environ 85 % des personnes séropositives au Canada ont également l’infection au CMV, les volontaires passeront d’abord un test de dépistage du CMV au site de l’étude pour vérifier la présence de ce virus.
Dans le cadre de cet essai clinique, les participant·e·s prendront le létermovir par voie orale à raison de 480 mg une fois par jour pendant 14 semaines consécutives. Après cette période, le suivi continuera pendant 12 semaines. Quoique généralement sans danger, le létermovir peut causer de légères nausées chez un faible pourcentage de personnes.
L’équipe de scientifiques compte recruter 60 adultes qu’elle affectera aux deux groupes suivants :
- TAR + létermovir : 40 personnes
- TAR seul : 20 personnes
L’équipe de recherche prévoit effectuer de nombreux tests de laboratoire afin d’évaluer les éléments suivants, entre autres : des changements dans l’inflammation dans le sang et les tissus; le passage de protéines bactériennes et fongiques à travers la barrière intestinale; des changements dans les lymphocytes T dans le sang. Dans le cadre d’une sous-étude, on compte également analyser de minuscules échantillons de tissu provenant du côlon.
Les prestataires de soins ayant des patient·e·s admissibles qui s’intéressent à cette recherche peuvent communiquer avec les personnes suivantes pour obtenir plus de renseignements :
- Léna Royston, co-chercheuse principale : lena.royston@mail.mcgill.ca
- Carolina Berini, coordonnatrice de l’étude : carolina.berini@muhc.mcgill.ca
L’étude se déroulera aux sites suivants :
- Service des maladies virales chroniques, Centre universitaire de santé McGill, Montréal
- Clinique d’infectiologie virale chronique, Centre hospitalier de l’Université de Montréal, Montréal
- Clinique médicale l’Actuel, Montréal
- Centre de recherche du CHU de Québec, Québec
L’essai clinique du létermovir de l’Université McGill fera avancer la recherche de moyens de régler les problèmes immunitaires persistants qui contribuent vraisemblablement à une gamme de maladies chroniques chez les personnes vivant avec le VIH.
Étude américaine
Aux États-Unis, l’AIDS Clinical Trials Group (ACTG), entité financée par le gouvernement américain, se prépare à lancer un essai clinique du létermovir chez des personnes séropositives sous TAR dont la charge virale est indétectable. Connu sous le nom de code A5383, l’essai de l’ACTG diffère de l’étude québécoise en ce qu’il sera de plus longue durée et aura pour objectif principal d’évaluer les changements dans l’inflammation dans le sang. L’étude américaine évaluera l’effet du médicament chez des personnes de plus de 40 ans, ainsi que chez des personnes comptant moins de 350 cellules CD4+/mm3. Dans cette étude, la moitié des participant·e·s recevra le létermovir en association avec un TAR, alors que l’autre moitié recevra un TAR seulement.
À l’avenir
C’est une bonne chose que ces deux essais cliniques différents portant sur des personnes séropositives s’amorcent parce que de nombreux aspects de l’impact du CMV sur le système immunitaire demandent d’être étudiés depuis trop longtemps. Les données des essais québécois et américain du létermovir se complèteront et devraient en révéler beaucoup sur le système immunitaire et le CMV.
—Sean R. Hosein
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