La prophylaxie pré-exposition (PrEP) est une stratégie de prévention du VIH très efficace qui consiste, pour une personne séronégative, à prendre des médicaments anti-VIH afin de réduire la possibilité qu’elle contracte le VIH. Une meilleure compréhension des obstacles et des facilitateurs de l’utilisation de la PrEP peut nous aider à augmenter l’adoption et l’observance de la PrEP. Cet article résume une revue systématique qui a identifié les obstacles et les facilitateurs de l’utilisation de la PrEP chez des personnes trans1.
La PrEP et les personnes transgenres
Les personnes transgenres sont des personnes dont l’identité/expression de genre est différente du sexe qu’on leur a assigné à la naissance. Les personnes trans sont diverses et utilisent différents termes pour s’identifier, y compris (mais sans s’y limiter) :
- femme transgenre ou trans : personne à qui l’on a assigné le sexe masculin à la naissance, et dont l’identité/expression de genre est féminine;
- homme transgenre ou trans : personne à qui l’on a assigné le sexe féminin à la naissance, et dont l’identité/expression de genre est masculine.
En revanche, on dit des personnes dont l’identité/expression de genre correspond au sexe qui leur a été assigné à la naissance qu’elles sont « cisgenres ».
Les Lignes directrices canadiennes sur la PrEP2 recommandent la PrEP aux personnes qui ont un risque accru de contracter le VIH. Cela inclut les personnes transgenres qui ont du sexe anal ou vaginal/frontal sans condom avec des partenaires au statut VIH inconnu ou des partenaires séropositif·ve·s n’ayant pas atteint la suppression virale. Cela inclut également les personnes transgenres qui utilisent des drogues et qui partagent du matériel pour l’injection.
Malgré ces recommandations, le taux d’utilisation de la PrEP est faible chez les personnes trans. L’enquête Sexe au présent 2018, une étude périodique sur la santé et le bien-être des personnes qui s’identifient comme des hommes (c.-à-d., hommes cis ou trans), ou comme non binaires ou bispirituels, et non hétérosexuels (p. ex., gais, bisexuels, queer) a révélé que les répondants trans et non binaires séronégatifs pour le VIH étaient deux à trois fois moins susceptibles d’utiliser la PrEP que les répondants cisgenres3. En 2017, une enquête auprès d’hommes trans aux États-Unis a révélé que 24 % des participants répondaient aux critères d’admissibilité nationaux à la PrEP, mais que seulement 11 % l’utilisaient4. Une meilleure compréhension des obstacles et des facilitateurs de l’utilisation de la PrEP peut aider les prestataires de services à mieux engager les personnes trans dans les soins liés à la PrEP et à les soutenir.
Quels types d’études de recherche sont inclus dans la revue systématique?
Trente-trois articles ont été inclus dans la revue. Pour qu’une étude soit retenue, elle devait :
- inclure des participant·es séronégatif·ve·s pour le VIH trans ou non binaires;
- examiner les facilitateurs et les facteurs biologiques, psychologiques ou sociaux conduisant à l’intérêt, à l’adoption, à l’observance, à l’efficacité ou à l’utilisation continue de la PrEP chez les personnes trans aux États-Unis ou les obstacles de mêmes catégories s’y opposant;
- avoir été publiée après l’homologation de la PrEP aux États-Unis en 2012.
Trente études portaient sur des femmes trans et 11 portaient sur des hommes trans, représentant environ 3 600 femmes trans et 2 400 hommes trans.
Quels facteurs font obstacle à l’utilisation de la PrEP pour le VIH, ou la facilitent, chez les personnes trans?
Les auteur·e·s ont examiné les facteurs qui influencent dans un sens ou l’autre l’utilisation de la PrEP chez les personnes trans dans les 33 études retenues, puis ont regroupé les résultats par thèmes.
1. Les préoccupations liées aux interactions entre les médicaments de la PrEP et l’hormonothérapie d’affirmation du genre sont un obstacle à l’utilisation de la PrEP
Dix études ont examiné les attitudes et les croyances des personnes trans concernant les interactions entre les médicaments de la PrEP et l’hormonothérapie d’affirmation du genre. Globalement, les études ont révélé que les préoccupations liées aux interactions constituaient un obstacle à l’utilisation de la PrEP. Par exemple, quatre études ont observé un faible taux d’amorce de la PrEP chez les personnes trans, malgré un niveau moyen à élevé de sensibilisation à la PrEP, en raison de préoccupations et de croyances liées à l’interaction entre l’hormonothérapie et les médicaments de la PrEP.
Deux autres études ont examiné les interactions potentielles entre les hormones féminisantes et la combinaison ténofovir/emtricitabine (TDF/FTC, également connu sous le nom de Truvada) en PrEP. Toutes deux ont montré que le TDF/FTC n’affecte pas les taux d’hormones chez les femmes trans qui utilisent des hormones féminisantes. Toutefois, elles ont permis d’observer que l’hormonothérapie peut affecter les taux de médicaments de la PrEP dans le sang. Les concentrations de Truvada étaient plus faibles chez les femmes trans que chez les hommes cisgenres, dans les études. Toutefois, ces niveaux plus faibles de TDF/FTC chez les femmes trans utilisatrices d’hormones féminisantes se situaient toujours dans la fourchette requise pour que la PrEP les protège contre l’infection par le VIH.
2. Les expériences négatives dans des établissements médicaux sont un obstacle à l’adoption de la PrEP
Plusieurs études ont observé que les expériences négatives dans des établissements médicaux diminuent le recours à la PrEP. Ces obstacles à l’adoption de la PrEP incluent :
- une connaissance réduite de la PrEP chez les personnes trans, en raison de leur méfiance envers les établissements médicaux et d’informations incomplètes reçues de médecins à propos de l’efficacité de la PrEP et de ses effets secondaires potentiels;
- un niveau réduit d’intérêt pour la PrEP et d’adoption de celle-ci en raison d’expériences de transphobie en contexte médical et de soins de santé.
Les autres expériences négatives liées aux établissements médicaux qui affectent l’implication dans les soins de santé incluent :
- la crainte que les soins soient axés sur le VIH alors que l’on préférerait une prise en charge holistique, avec priorité à l’hormonothérapie;
- la crainte qu’une discussion sur le comportement sexuel entraîne des jugements de la part de prestataires de soins ou l’arrêt de l’hormonothérapie d’affirmation du genre;
- le manque de cliniques et de services médicaux adaptés aux personnes trans.
3. La marginalisation systémique et sociale des personnes trans est un obstacle à l’adoption de la PrEP
Outre les obstacles que rencontrent les personnes trans dans le milieu médical, la revue a révélé que la marginalisation systémique et sociale plus générale à leur égard nuit à l’adoption de la PrEP. Cela inclut des facteurs tels que :
- la pauvreté;
- la criminalisation du travail du sexe;
- l’insécurité du logement;
- la stigmatisation, la discrimination et la transphobie;
- la stigmatisation liée au VIH et la crainte que la prise de médicaments anti-VIH conduise à supposer qu’une personne vit avec le VIH;
- le manque de messages spécifiques aux personnes trans concernant la PrEP – les approches de promotion de la PrEP étant souvent axées sur les hommes cisgenres qui ont des rapports sexuels avec des hommes.
4. Les réseaux sociaux peuvent influencer la connaissance de la PrEP, son adoption et l’intérêt à son égard
La revue a révélé que la connaissance de la PrEP, son adoption et l’intérêt qu’elle suscite sont influencés par les réseaux sociaux, tant positivement que négativement. Les ami·e·s peuvent influencer positivement le recours à la PrEP en étant des sources d’information et de soutien. Les réseaux sociaux peuvent également être une source de stress pour les personnes qui n’affichent pas ouvertement leur identité de genre ou qui craignent une stigmatisation sociale en raison de leur intérêt pour la PrEP.
5. L’utilisation de la PrEP peut avoir une incidence positive sur la défense de ses propres intérêts et sur l’acceptation de soi
L’examen a révélé que l’utilisation de la PrEP peut avoir une incidence positive sur la défense de ses propres intérêts et sur l’acceptation de soi chez les personnes trans. Ces répercussions positives incluent :
- un meilleur contrôle sur les décisions relatives à la prévention du VIH, notamment parmi les travailleur·euse·s du sexe trans et dans les relations touchées par la violence entre partenaires intimes;
- une amélioration des interactions sociales et de la santé mentale, p. ex. une plus grande aisance avec la sexualité et une meilleure communication à propos de la PrEP avec d’autres membres de la communauté.
Quelles sont les répercussions de la revue pour les prestataires de services?
Cette revue a permis de dégager un certain nombre d’obstacles à l’utilisation de la PrEP par les personnes trans. Ces obstacles incluent les préoccupations concernant l’interaction entre l’hormonothérapie d’affirmation du genre et la PrEP; les expériences négatives dans des établissements médicaux; et les enjeux systémiques et sociaux plus larges qui affectent les personnes trans, comme la pauvreté, la criminalisation du travail du sexe, l’insécurité du logement, la stigmatisation, la discrimination et la transphobie. La revue a également identifié des facilitateurs de la PrEP et des bienfaits liés à son utilisation, chez les personnes trans. Les réseaux sociaux facilitent une meilleure connaissance de la PrEP et l’intérêt pour celle-ci et soutiennent son utilisation. De plus, l’utilisation de la PrEP autonomise les personnes trans, leur procure un meilleur contrôle sur les décisions relatives à la prévention du VIH et favorise l’amélioration de leurs interactions sociales et de leur santé mentale.
En réponse aux obstacles à l’utilisation de la PrEP chez les personnes trans, les prestataires de services peuvent :
- fournir des services propices à l’affirmation du genre et accueillants pour les personnes trans;
- intégrer les services liés à la PrEP dans une prise en charge plus large et holistique qui englobe les priorités de santé des personnes trans, comme l’hormonothérapie d’affirmation du genre;
- promouvoir l’utilisation de la PrEP au moyen de messages spécifiques aux personnes trans et répondre aux préoccupations concernant les interactions possibles entre l’hormonothérapie d’affirmation du genre et la PrEP;
- engager les personnes trans dans la diffusion d’information sur la PrEP au sein de leurs réseaux sociaux;
- répondre aux déterminants sociaux de la santé qui peuvent affecter le recours à la PrEP, tel que la pauvreté et l’insécurité du logement.
Il convient de noter quelques caractéristiques de cette revue systématique :
- La revue portait sur les facteurs qui influencent l’utilisation de la PrEP chez les personnes trans aux États-Unis. Bien que ces informations puissent contribuer à notre compréhension de l’utilisation de la PrEP chez les personnes trans, les obstacles et les facilitateurs rencontrés par les personnes trans au Canada peuvent différer.
- Des 33 études incluses dans la revue, 30 incluaient des femmes trans et 11 incluaient des hommes trans. Il se peut que des différences entre les facteurs influençant l’utilisation de la PrEP par les femmes trans et les hommes trans n’aient pas été cernées par cette revue.
- La revue indique que les interactions entre la PrEP et l’hormonothérapie féminisante ne sont pas cliniquement significatives. Ces résultats sont rassurants, mais ne reposent que sur deux études. Des études supplémentaires sont nécessaires afin d’approfondir notre compréhension des interactions possibles entre la PrEP et l’hormonothérapie féminisante chez les femmes trans et les hommes trans.
Qu’est-ce qu’une revue systématique?
Une revue systématique est un important outil pour orienter les programmes fondés sur des données probantes. Une revue systématique est un résumé critique des données probantes sur un sujet précis. Elle utilise un processus rigoureux de recension de toutes les études liées à une question de recherche précise. Elle permet ensuite d’évaluer la qualité des études pertinentes et de synthétiser leurs résultats afin de relever et de présenter les principales observations et limites des études. Si les études incluses dans une revue systématique contiennent des données numériques, celles-ci peuvent être combinées de façons stratégiques permettant de calculer des estimations sommaires (« globales »). La combinaison de données pour produire des estimations globales peut fournir une meilleure vue d’ensemble du sujet à l’étude. Le processus de synthèse groupée d’estimations issues de diverses études est appelé méta-analyse.
Références
- Dang M, Scheim AI, Teti M et al. Barriers and facilitators to HIV pre-exposure prophylaxis uptake, adherence, and persistence among transgender populations in the United States: A systematic review. AIDS Patient Care and STDs. 2022;36(6):236-48.
- Tan DHS, Hull MW, Yoong D et al. Canadian guideline on HIV pre-exposure prophylaxis and nonoccupational postexposure prophylaxis. Journal de l’Association médicale canadienne. 2017 Nov 27;189(47):E1448-58. Accessible à : http://www.cmaj.ca/content/189/47/E1448
- Rutherford L, Stark A, Ablona A et al. Health and well-being of trans and non-binary participants in a community-based survey of gay, bisexual, and queer men, and non-binary and Two-Spirit people across Canada. PLOS ONE. 2021 Feb 11;16(2):e0246525. Accessible à : https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0246525
- Golub SA, Fikslin RA, Starbuck L et al. High rates of PrEP eligibility but low rates of PrEP access among a national sample of transmasculine individuals. Journal of Acquired Immune Deficiency Syndrome. 2019 Sep 1;82(1):e1-7. Accessible à : https://journals.lww.com/jaids/Fulltext/2019/09010/High_Rates_of_PrEP_Eligibility_but_Low_Rates_of.6.aspx
À propos de l’auteur
Erica Lee est gestionnaire, Contenu du site Web et évaluation chez CATIE. Depuis l’obtention de sa maîtrise en sciences de l’information, Erica a travaillé dans le domaine des bibliothèques de la santé, soutenant les besoins en information des prestataires de services de première ligne et les utilisateur·trice·s de services. Avant de se joindre à CATIE, Erica était la bibliothécaire de l’organisme AIDS Committee of Toronto (ACT).