Renforcer le cerveau vieillissant
Des chercheurs aux États-Unis ont trouvé que certains patients sous TAR avaient des problèmes de mémoire et de cognition. Dans les cas où ces problèmes persistaient et se manifestaient au minimum à raison d'une intensité modérée, les chercheurs ont constaté qu’ils pouvaient nuire aux activités de la vie quotidienne, dont les suivantes :
- gestion financière
- emploi
- conduite automobile
- se rappeler ses rendez-vous médicaux
- observance thérapeutique – prendre quotidiennement ses médicaments anti-VIH en respectant les posologies à la lettre
Vieillissement
L’impact du vieillissement sur les facultés neurocognitives est une autre considération dont les personnes séropositives et leurs professionnels de la santé doivent tenir compte. Dans ce rapport, nous présentons quelques idées de chercheurs ayant soupesé les enjeux ainsi que les études se rapportant au vieillissement et au VIH et à leur impact sur la santé cérébrale.
S’agit-il du sida ou du vieillissement?
Lors d’une étude menée auprès de 161 personnes, les chercheurs ont regroupé les participants en fonction de l’âge (inférieur ou supérieur à 50 ans) et du statut VIH (séropositif ou séronégatif). En tant que groupe, les personnes séropositives plus âgées ont réussi moins bien aux évaluations de la fonction neurocognitive que les personnes séropositives plus jeunes. Une tendance semblable a été observée chez les personnes séronégatives, c’est-à-dire que les résultats des évaluations neurocognitives étaient plus faibles chez les personnes plus âgées et plus forts chez les plus jeunes.
Cette étude est cependant minée par un désavantage majeur, soit sa conception transversale. Ce genre d’étude ressemble à une photographie dans la mesure qu’elle capte l’information voulue uniquement à un moment particulier et sans prendre en considération les changements qui se produisent au fil du temps. En revanche, les études longitudinales permettent de suivre le fil des changements en fonction du temps, mais elles sont coûteuses et peuvent être difficiles à réaliser. Quoi qu’il en soit, à en juger par cette étude transversale, il semble raisonnable de conclure que l’âge a un impact sur les facultés neurocognitives des personnes séropositives. Soulignons toutefois que l’impact du vieillissement sur le cerveau peut varier considérablement d’une personne à l’autre.
La réserve cognitive
Selon certains chercheurs américains qui étudient le vieillissement et le cerveau, l’un des facteurs jouant un rôle dans le déclin du cerveau vieillissant chez certains patients sous TAR serait la « réserve cognitive ». Celle-ci est définie comme suit : « la quantité de dommages que le cerveau peut subir sans cesser de fonctionner ».
Les chercheurs laissent entendre que « la réserve cognitive pourrait expliquer pourquoi la fonction cognitive diminue à un rythme [différent] chez chaque personne, de telle sorte que la capacité de réserve cognitive puisse servir de tampon contre le déclin cognitif ».
Leçons tirées auprès de souris
Les chercheurs américains soulignent les résultats d’expériences menées sur des souris qui pourraient servir à orienter globalement la recherche visant à améliorer la santé cérébrale et la réserve cognitive.
En résumé, les chercheurs ont découvert que le fait de mettre des souris dans un environnement enrichi de jouets stimulants et de contacts sociaux avec d’autres souris permet à leur cerveau de s’épanouir davantage. Spécifiquement, les chercheurs ont observé que le cerveau des animaux produisait des signaux chimiques qui encourageaient les cellules cérébrales à créer et à renforcer leurs connexions avec d’autres cellules cérébrales. De plus, les souris installées dans un environnement stimulant naviguaient mieux dans les labyrinthes que celles placées dans un environnement de laboratoire standard moins stimulant.
Leçons tirées auprès de chauffeurs de taxi et d'autobus
Lors d’une étude publiée en 2005, des neuroscientifiques de Londres ont suivi 35 participants en bonne santé, dont 18 chauffeurs de taxi et 17 chauffeurs d’autobus. Les participants ont subi des évaluations neuropsychologiques exhaustives et des examens IRM (imagerie par résonance magnétique) de leur cerveau.
Selon les chercheurs, les chauffeurs de taxi londoniens devaient suivre entre deux et quatre années de formation pour en arriver à bien naviguer dans les rues de la ville et apprendre les points d’intérêts. Pour leur part, les chauffeurs d’autobus ne recevaient que six semaines de formation et suivaient toujours des itinéraires fixes. (Rappelons que les chauffeurs de taxi suivent rarement des itinéraires fixes).
D’autres neuroscientifiques ont avancé que le programme de formation des chauffeurs de taxi de Londres est quelque peu analogue à l’environnement stimulant créé pour les souris lors des expériences dont nous venons de parler. Ainsi, la conduite d’autobus équivaudrait à l’environnement standard moins stimulant utilisé lors des expériences sur les souris.
Les chercheurs britanniques ont découvert que certaines régions du cerveau des chauffeurs de taxi étaient plus développées que celles des chauffeurs d’autobus inscrits à leur étude.
Dans leurs commentaires au sujet de ces expériences menées auprès de souris et d'humains, les neuroscientifiques donnent à penser que l’apprentissage de nouvelles informations aide à stimuler et à développer le cerveau, même chez les adultes.
Facteurs susceptibles de réduire la réserve cognitive
Les chercheurs font valoir que les facteurs suivants jouent probablement un rôle dans la réduction de la réserve cognitive des humains :
- anxiété, dépression et autres troubles de l’humeur
- dépendance et consommation de drogues/alcool
- interactions sociales moins fréquentes – comme l’infection au VIH est stigmatisée, certaines personnes séropositives vivent un isolement social; en effet, au moins une étude a révélé que certaines personnes séropositives plus âgées avaient un réseau social fragile
- co-morbidités – des données émergentes portent à croire que certains problèmes liés au vieillissement, dont l’hypertension, le pré-diabète et le diabète, les anomalies du cholestérol, l’insuffisance rénale, les maladies cardiovasculaires, etc., peuvent réduire indirectement ou directement la réserve cognitive
- infections – des données émergentes laissent croire que l’infection au virus de l’hépatite C et au virus de la syphilis nuisent aux facultés cognitives
La santé émotionnelle et mentale vue de plus près
L’anxiété et la dépression sont des problèmes relativement courants chez les personnes vivant avec le VIH. Idéalement, les médecins cherchent à diagnostiquer ces problèmes et à discuter des options de traitement ou encore à diriger leurs patients vers d’autres professionnels. Sans traitement, les problèmes de santé émotionnelle et mentale risquent de compromettre la qualité de vie et la santé générale. Selon les chercheurs, les personnes qui souffrent de dépression ou d’anxiété sont nombreuses à ressasser involontairement des erreurs du passé et à ruminer d’autres futiles pensées négatives. Les neuroscientifiques ont découvert que le fait de revoir et revivre constamment des pensées et expériences inutiles pouvait « empêcher d’autres pensées d’émerger ». Ce processus compromet à son tour la capacité de la personne à résoudre ses problèmes émotionnels complexes. Lors d’études menées chez des personnes séronégatives, les chercheurs ont constaté que le traitement réussi des problèmes de santé émotionnelle et mentale « pouvait aider à résoudre ou à prévenir » certains problèmes neurocognitifs. Rien ne laisse penser qu’une telle thérapie ne pourrait procurer de bienfaits semblables aux personnes séropositives souffrant de détresse émotionnelle ou mentale. Enfin, les problèmes de santé émotionnelle et mentale non traités contribuent probablement à accroître le phénomène d’inflammation au niveau du cerveau et peut-être même dans le corps entier.
Bienfaits du traitement du VIH
Peu de temps après que le VIH se soit propagé de son premier point de contact avec le corps humain (habituellement les tissus humides de l’anus, du pénis ou du vagin), il atteint les organes internes, dont le cerveau. Ainsi, il est important de commencer une TAR aussitôt que possible après le diagnostic, non seulement pour restreindre la propagation du virus, mais aussi pour réduire la quantité de virus et de cellules infectées par le virus dans les tissus et organes corporels. Les cellules infectées par le VIH libèrent des signaux chimiques et des protéines qui rendent les cellules cérébrales dysfonctionnelles.
Interactions sociales
Certaines personnes séronégatives entretiennent des attitudes blessantes et déplaisantes à l’égard des personnes séropositives. L’exposition répétée aux attitudes de ce genre peut causer du stress chez certaines personnes séropositives et les inciter à se distancer de la communauté plus large et à s’isoler socialement. Il est important de souligner ce dernier point parce que les interactions sociales significatives sont bénéfiques pour le cerveau.
Il est important de renforcer et d’étendre ses réseaux sociaux en vieillissant. L’adhésion à un club, à une équipe, à un groupe de lecture, à un centre de conditionnement physique ou à d’autres activités où des interactions sociales ont lieu est un bon moyen de se faire de nouveaux amis.
Tension artérielle plus élevée que la normale (hypertension)
Les chercheurs ont constaté que l’hypertension pourrait nuire à la cognition chez les personnes séronégatives. De plus, la réduction de la tension artérielle s’est avérée utile comme moyen d' améliorer la cognition.
Manque de sucre
Les cellules cérébrales ont besoin d’un apport régulier et relativement stable de glucose. Ces cellules convertissent le glucose en énergie et s’en servent pour accomplir leurs activités. Les chercheurs ont trouvé que les taux élevés de sucre sanguin (glycémie) et de l’hormone insuline étaient associés à une diminution de la fonction cognitive chez certaines personnes séropositives. En traitant ces problèmes au moyen de modifications alimentaires, d’exercice et de médicaments, il est possible de normaliser les taux de sucre sanguin et d’améliorer la fonction cognitive.
Exercices pour le cerveau
De façon générale, toutes les interventions suivantes améliorent l’humeur, rendent la vie plus intéressante et stimulent le cerveau :
- techniques visant à réduire l’impact du stress — exercice physique, méditation, tai-chi, yoga
- exercices de conditionnement cérébral (nous en parlons en détail plus loin dans ce numéro de TraitementSida)
- apprentissage d’une nouvelle langue ou compétence
- jeux
- lecture
- suivre un cours
Pistes de recherche futures
De nombreuses idées ont surgi des recherches récentes qui pourraient être étudiées dans le cadre d’essais cliniques conçus dans l’espoir de retarder le déclin du cerveau chez les personnes séropositives, dont les suivantes :
- régime méditerranéen
- suppléments de probiotiques
- exercice intensif régulier
- certains antidépresseurs – le lithium stimule le cerveau de sorte qu’il produise des signaux chimiques qui améliorent la santé cérébrale et aident à réduire les lésions cérébrales liées au VIH; les personnes recevant le lithium doivent cependant être suivies de près afin de veiller à ce qu’elles n’éprouvent pas d’effets secondaires; il pourrait valoir la peine d’étudier d’autres antidépresseurs dans ce contexte
- musique conçue pour modifier les ondes cérébrales de sorte qu’elles ressemblent à celles décelées chez les méditants; il s’agit d’une thérapie fondée sur la sensation binaurale de battement
Dans ce numéro de TraitementSida, nous parlons d’autres idées que les chercheurs explorent dans l’espoir de venir en aide au cerveau des personnes vivant avec le VIH.
—Sean R. Hosein
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