Interleukine-6 et risque de cancer
Dans certaines situations, comme lors des stades très précoces d'une infection (infection aiguë), le système immunitaire produit des signaux chimiques, ou cytokines, pour aider l'organisme à se battre contre l'infection. L'interleukine-6 (IL-6) est l’une des cytokines en question. Durant la phase aiguë d'une infection, des quantités relativement importantes d'IL-6 sont produites et font équipe avec d'autres cytokines pour activer les cellules T, accroître le nombre de cellules B productrices d'anticorps et stimuler la sécrétion d'hormones. Ce genre de réponse est très utile contre les infections aiguës. Toutefois, la production prolongée de quantités relativement élevées d'IL-6 peut affaiblir le système immunitaire à long terme. Cette faiblesse peut se produire parce que les quantités excessives d'IL-6 peuvent causer la mort prématurée des cellules immunitaires, accroître la vulnérabilité du foie aux dommages et augmenter les risques de maladies cardiovasculaires. Aussi, lors de certaines études menées chez des humains, on a constaté un lien entre un taux élevé d'IL-6 et un risque accru de tumeurs.
La présence de taux d'IL-6 chroniquement élevés pourrait également jouer un rôle dans l'affaiblissement du système immunitaire des personnes séropositives. Pour étudier cette possibilité, des chercheurs affiliés à l'Insight Research Network — réseau qui met en contact les médecins et les chercheurs d'Amérique du Nord, d'Europe occidentale et d'Australie — ont examiné les informations dans leur base de données. Ils se sont concentrés sur 5 000 personnes séropositives qui avaient été suivies pendant plusieurs années dans le cadre d'essais cliniques; à part leur multithérapie, les participants n'avaient pas reçu d'autre traitement. L'évaluation des taux de plusieurs protéines associées à l'inflammation — IL-6, D-dimer et protéine C-réactive — a permis d'associer un taux élevé d'IL-6 à une augmentation de 40 % du risque de cancer.
Détails de l'étude
Les chercheurs ont examiné des données recueillies auprès de 5 023 personnes séropositives. Tous les participants avaient été affectés au hasard aux groupes témoins de plusieurs essais cliniques — Esprit, Silcaat et Smart — et, à part une multithérapie, n'avaient pas fait l'objet d'interventions additionnelles comme l'interleukine-2 ou des interruptions de traitement structurées.
Les participants avaient le profil moyen suivant lors de leur admission à l'étude :
- 80 % d'hommes, 20 % de femmes
- âge – 40 ans
- compte de CD4+ – 400 cellules
- charge virale – indétectable
Les participants ont été suivis pendant sept années.
Résultats
Une analyse statistique a révélé que les participants ayant un taux élevé d'IL-6 dans le sang couraient le risque le plus élevé de cancer. Ce lien entre l'IL-6 et le risque de cancer s'est maintenu tout au long de l'étude et était associé à tous les cancers étudiés.
Au total, 172 cancers se sont déclarés durant l'étude sur l'IL-6, dont 101 causés par des infections virales comme les suivantes :
- VEB – virus Epstein-Barr; lié à l’apparition d’un lymphome
- VHB – virus de l'hépatite B; peut causer le cancer du foie
- VHC – virus de l'hépatite C; peut causer le cancer du foie
- VPH – virus du papillome humain; peut causer de nombreux cancers, comme ceux de l'anus, du col utérin, de la bouche, de la gorge, du pénis, de la vulve et du vagin
Les cancers les plus courants étaient les suivants :
- cancers liés aux infections : cancer anal et lymphome
- cancers non liés aux infections : cancer du poumon, du côlon et de la prostate
L'équipe de recherche soupçonne le vieillissement d'alimenter l'augmentation du taux d'IL-6 et du risque de cancer observé au cours de son étude.
Il est à noter que la présente analyse était fondée sur l'étude d'échantillons de sang conservés qui avaient été recueillis à d'autres fins. Pour cette raison, les résultats ne sont pas définitifs. Il reste que le nombre relativement élevé de participants et la longue période de suivi laissent croire que les résultats sont importants et intrigants. Pour en découvrir plus sur le rôle de l'IL-6 et le risque de cancer en présence du VIH, la prochaine étape consistera à planifier et à mener une étude conçue différemment afin de confirmer les résultats de l'analyse effectuée par l'équipe du réseau Insight. Si l'existence d'un lien entre l'IL-6 et un risque accru de cancer était confirmée, on pourrait mener des essais cliniques sur des traitements visant à réduire les taux d'IL-6 comme moyen de réduire le risque élevé de cancer associé à l'infection au VIH.
—Sean R. Hosein
RÉFÉRENCES :
- Lee JK, Bettencourt R, Brenner D, et al. Association between serum interleukin-6 concentrations and mortality in older adults: the Rancho Bernardo Study. PLoS One. 2012;7(4):e34218.
- Borges AH, Silverberg MJ, Wentworth D, et al. Predicting risk of cancer during HIV infection: the role of inflammatory and coagulation biomarkers. In: Program and abstracts of the 14th International Workshop on Co-morbidities and Adverse Drug Reactions in HIV, 19 – 21 July, 2012, Washington DC. Abstract 002.