Mise en perspective des cas de lésions rénales

La plus récente analyse effectuée par l'équipe DAD a permis de constater le déclin de la santé rénale de presque 2 % des 22 000 participants séropositifs suivis pendant cinq ans. Déterminé par le DFGe (débit de filtration glomérulaire estimé), ce déclin a été lié à l'usage des médicaments suivants :

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  • ténofovir
  • atazanavir-ritonavir
  • lopinavir-ritonavir

Que veulent dire ces résultats?

Il est important de se rappeler que l'étude DAD comportait plusieurs limitations, dont les suivantes :

  • Comme nous l'avons mentionné plus tôt dans ce numéro de TraitementSida, la DAD est une étude d’observation. Les études de ce genre sont utiles pour trouver des associations, mais des limitations inhérentes à leur conception font en sorte qu'il est impossible de prouver qu'un médicament particulier a donné lieu à un résultat particulier.
  • L'équipe DAD a utilisé une vieille formule (du nom de Cockcroft-Gault) plutôt que la formule moderne CKD-Epi pour calculer le DFGe. Par conséquent, elle aurait pu sous-estimer le déclin de la santé rénale. De plus, les chercheurs n'ont pas été en mesure d'employer d'autres moyens plus spécifiques pour évaluer la santé rénale, tels que le taux de phosphore dans le sang ou la concentration de protéine dans l'urine.
  • Les données se rapportant à la race et à l'ethnie des participants étaient insuffisantes. Ce point est important, car certaines personnes séropositives d'ascendance africaine courent un risque accru de dysfonction rénale.

Malgré ces limitations, les nouvelles sont généralement bonnes pour les personnes séropositives et leurs fournisseurs de soins de santé : seulement 2 % des participants à l'étude DAD ont été atteints de dysfonction rénale sur une période de cinq ans. Voilà une nouvelle très rassurante, car elle indique que les traitements anti-VIH sont sans danger pour les reins de la majorité des personnes.

En ce qui concerne les 2 % des participants dont le DFGe a baissé de manière significative, voici quelques points sur les médicaments que l'équipe DAD a reconnus comme coupables éventuels :

Atazanavir

La structure de ce médicament ressemble à celle d'un médicament anti-VIH plus ancien appelé indinavir (Crixivan). On savait que cet inhibiteur de la protéase augmentait le risque de calculs rénaux. Lors de la présente étude, l'atazanavir se prenait avec du ritonavir (Norvir), un médicament qui augmente la concentration et la durée du séjour de l'atazanavir dans le sang. D'autres études ont permis de constater que, dans des cas rares, l'atazanavir était lié à un risque accru de calculs rénaux et d'inflammation dans les reins, ce qui laisse penser que les résultats de l'étude DAD ne sont pas si étonnants. Il est possible que des cristaux d'atazanavir se soient formés dans les reins de certains participants et qu'ils aient causé la dysfonction rénale. D'autres recherches seront toutefois nécessaires pour comprendre pourquoi certaines personnes éprouvent des problèmes rénaux liés à l'atazanavir.

Ténofovir

Des rapports déjà publiés laissent croire qu'une dysfonction rénale d'intensité variable peut se produire chez certaines personnes séropositives qui reçoivent ce médicament. La ou les raisons précises pour ce phénomène ne sont pas claires. Comme nous l'avons déjà mentionné dans ce numéro de TraitementSida, le ténofovir peut s'accumuler dans les parties du rein responsables du filtrage du sang et de la résorption de substances servant subséquemment à la production d'urine, ce qui peut causer des dommages. On n'a toutefois pas abordé spécifiquement cette question lors de l'étude DAD. L'équipe de recherche a tout de même mentionné que, lorsque les médecins s'apercevaient que le DFGe de leurs patients recevant le ténofovir diminuait, ils remplaçaient celui-ci par un autre médicament anti-VIH, et la santé rénale des patients s'améliorait. Comme ce volet particulier de l'étude DAD n'a pas été conçu pour évaluer le rétablissement des patients atteints de dysfonction rénale, ce résultat devrait être considéré comme préliminaire mais encourageant et digne de faire l'objet d'autres études menées par l'équipe DAD.

Kaletra (lopinavir-ritonavir)

Les chercheurs non affiliés à l'étude DAD qui ont examiné les résultats de l'étude se sont étonnés de constater une association entre le déclin de la fonction rénale et le Kaletra. Ce médicament est utilisé depuis plus d'une décennie dans la majorité des pays à revenu élevé et a fait l'objet de nombreuses études. À l'époque de sa plus grande popularité, le Kaletra était l'inhibiteur de la protéase le plus utilisé pour le traitement du VIH et offrait une excellente efficacité et « peu d'indices de toxicité rénale », ont souligné dans un éditorial sur l'étude DAD les Drs Derek Fine et Joel Gallant, respectivement néphrologue et spécialiste des maladies infectieuses dans le Johns Hopkins School of Medicine aux États-Unis.

Étant donné que cette analyse particulière de l'étude DAD portait sur les données de participants inscrits en 2004, il est probable que l'on leur avait prescrit le lopinavir-ritonavir parce qu'ils étaient séropositifs depuis longtemps et avaient été exposés à des traitements antérieurs pendant plus longtemps que les autres participants. Par conséquent, avant de commencer à prendre le lopinavir-ritonavir, ils avaient probablement des reins plus faibles. Comme l'infection au VIH non traitée nuit aux reins, il est possible que ces participants avaient moins de cellules rénales pour filtrer le sang et ce, malgré un DFGe normal.

Les résultats de l'analyse de la santé rénale des participants inscrits à la DAD sont intrigants, particulièrement en ce qui concerne l'atazanavir et le lopinavir-ritonavir, mais d'autres études devront être menées avant que l'on ne puisse tirer des conclusions fermes concernant l'impact de ces médicaments sur les reins.

Que faire?

Les Drs Fine et Gallant résument comme suit les implications de l'étude DAD :

  • On doit suivre la fonction rénale des patients recevant le ténofovir et suspendre l'usage du médicament lorsque possible pour les personnes « susceptibles d’être atteintes de néphrotoxicité ».
  • Le suivi de la santé rénale devrait inclure non seulement les mesures du taux de créatinine dans le sang mais aussi des évaluations occasionnelles du fonctionnement des tubules rénaux (là où les déchets se concentrent) — y compris des mesures du taux de phosphore dans le sang et des taux de protéine et de sucre dans l'urine. Ces tests sont plus précis que le DFGe et brossent un meilleur portrait de la santé rénale des personnes sous traitement anti-VIH.
  • On doit suivre la fonction rénale des patients recevant l'atazanavir-ritonavir et « envisager de substituer un autre [médicament] pour les personnes éprouvant un déclin du DFGe ».
  • Comme les données de l'étude DAD qui laissent soupçonner un lien entre le lopinavir-ritonavir et la dysfonction rénale sont très limitées, les médecins ne peuvent formuler des recommandations fermes en ce moment.

Le commentaire le plus important des médecins est peut-être le suivant :

« Nous devons nous rappeler que le déclin de la fonction rénale peut se produire au fil du temps chez les patients séropositifs recevant d'autres antirétroviraux, les patients ne suivant aucune multithérapie et les patients séronégatifs. La supposition voulant que ce genre de déclin soit attribuable à la toxicité des médicaments n'est pas toujours exacte. Il est approprié d'effectuer une évaluation pour rechercher d'autres causes. »

Cette affirmation est importante parce que de nombreux facteurs — utilisation de drogues ou d’alcool, infections transmissibles sexuellement, etc. — peuvent nuire à la santé rénale. Notons en effet que les participants dont le DFGe diminuait étaient généralement plus susceptibles d’être atteints d'hypertension et de diabète et de fumer du tabac. Ceux-ci sont autant de facteurs de risque de problèmes rénaux.

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCES :

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