L’ertapénem et la ceftriaxone semblent avoir une efficacité semblable contre la gonorrhée

Au milieu des années 1940, l’arrivée de la pénicilline a marqué le début d’une époque d’antibiothérapies puissantes utilisées contre un large éventail d’infections, dont la gonorrhée et la syphilis. Cependant, depuis ce temps-là, la bactérie qui cause la gonorrhée ne cesse d’évoluer et d’acquérir des résistances, initialement à la pénicilline et subséquemment à d’autres antibiotiques.

Comme les nouveaux antibiotiques ne sont plus mis au point aussi rapidement qu’autrefois, les scientifiques réévaluent actuellement des antibiotiques plus anciens approuvés pour d’autres infections dans l’espoir de les repositionner pour le traitement de la gonorrhée.

À propos de l’ertapénem

Dans la liste d’antibiotiques homologués qui pourraient être repositionnés pour traiter la gonorrhée, on trouve une molécule très prometteuse appelée ertapénem (Invanz). Cet antibiotique a été approuvé au Canada il y a 20 ans environ. Il est utilisé pour le traitement d’infections compliquées de l’abdomen, des os, du cerveau, des poumons et du bassin, ainsi que pour les infections des pieds causées par le diabète. Au Canada et dans certains autres pays, l’ertapénem est administré par voie intraveineuse ou par injection intramusculaire. Pour la plupart des infections touchant les adolescent·e·s et les adultes, la posologie habituelle est de 1 gramme par jour pendant cinq à 14 jours. Pour les infections des pieds causées par le diabète, le fabricant, Merck, recommande une durée de traitement allant de cinq à 28 jours.

Il y a une vingtaine d’années, Merck a mené des expériences de laboratoire conçues pour déterminer l’efficacité de l’ertapénem contre la bactérie à l’origine de la gonorrhée. Ces expériences portaient à croire que ce médicament pouvait empêcher la croissance de plus de 600 isolats de cette bactérie. Certains de ces isolats bactériens étaient résistants à la ciprofloxacine, mais l’ertapénem était actif contre les souches résistantes en question.

Notons, cependant, qu’à l’époque où ces expériences avaient lieu, on avait beaucoup de succès en utilisant des doses relativement faibles de ceftriaxone et de céfixime (antibiotique sous forme de comprimé) pour traiter la gonorrhée. De plus, on utilisait encore un autre antibiotique appelé azithromycine (également sous forme de comprimé) qui était généralement efficace contre la gonorrhée (et la syphilis). On préférait alors utiliser ces autres médicaments plutôt que l’ertapénem à l’époque.

Essai clinique néerlandais

Récemment, une équipe de recherche des Pays-Bas a publié les résultats d’un essai clinique randomisé à double insu, contrôlé contre placebo, mené auprès d’adultes présentant une gonorrhée sans complications (principalement de nature anorectale ou urogénitale). L’étude, qui portait le nom de Nabogo, a mis à l’épreuve les antibiotiques suivants :

  • ceftriaxone : 500 mg en une seule dose par injection intramusculaire
  • ertapénem : 1 000 mg en une seule dose par injection intramusculaire
  • gentamicine : 5 mg/kg de poids corporel (jusqu’à un maximum de 400 mg) en une seule dose par injection intramusculaire
  • fosfomycine : 6 grammes en une solution à avaler

Certain··s participant·e·s ont également reçu un placebo sous forme injectable ou sous forme de solution orale.

L’équipe de recherche a invité 2 160 personnes qui avaient reçu un diagnostic de gonorrhée à participer à l’étude, mais seulement 346 d’entre elles (16 %) ont accepté.

Comme la ceftriaxone est la norme de soins en matière de gonorrhée, l’équipe a comparé les effets de celle-ci à ceux des autres antibiotiques.

L’équipe de recherche a constaté que l’ertapénem n’était ni meilleur ni pire que la ceftriaxone (en statistique, on utilise le terme technique « non inférieur » pour décrire un tel résultat). La gentamicine a donné un résultat semblable, mais son usage soulève une certaine inquiétude. La fosfomycine s’est révélée peu efficace, et l’équipe a rapidement mis fin au recrutement et à l’affectation de participant·e·s pour recevoir ce médicament. Nous parlons davantage des préoccupations concernant la gentamicine et la fosfomycine plus loin dans cette section.

Même si cette étude a porté sur un faible nombre de personnes, elle a permis de constater que l’ertapénem est très efficace et mérite de faire l’objet d’une étude de plus grande envergure.

Détails de l’étude

Une équipe de recherche du Service de santé publique d’Amsterdam a recruté des personnes dont un test de dépistage (utilisant un échantillon d’urine ou un frottis de tissu) avait révélé la présence de matériel génétique de la bactérie causant la gonorrhée. L’équipe n’a pas recruté de personnes immunodéprimées. Cette liste incluait les greffé·e·s d’organes sous immunosuppresseurs et les personnes séropositives comptant moins de 200 cellules CD4+/mm3. 

Voici la répartition des participant·e·s selon l’antibiotique utilisé :

  • ceftriaxone : 103 personnes
  • ertapénem : 103 personnes
  • gentamicine : 102 personnes
  • fosfomycine : 38 personnes

L’étude s’est déroulée entre septembre 2017 et juin 2020. Les médicaments étaient administrés par des membres de l’équipe de recherche; dans le cas de la fosfomycine, les participant­·e·s buvaient la solution en observation directe.

La plupart des participant·e·s (90 %) étaient des hommes gais, bisexuels et qui avaient des relations sexuelles avec des hommes (gbHARSAH), dont 71 avaient le VIH.

Parmi les 272 personnes séronégatives, 32 % utilisaient la prophylaxie pré-exposition au VIH (PrEP).

Une semaine ou deux après l’amorce du traitement, les participant·e·s retournaient à la clinique de l’étude pour faire analyser des échantillons d’urine ou de frottis tissulaires pour déterminer si leur infection était guérie.

On demandait aux participant·e·s de ne pas avoir de relations sexuelles en attendant la confirmation de la guérison par le laboratoire. Si des relations sexuelles avaient lieu, on encourageait l’usage de condoms.

Les participant·e·s tenaient un journal personnel durant l’étude afin de pouvoir noter tout effet indésirable du traitement ou toute activité sexuelle.

Les analyses de laboratoire ont révélé que la gonorrhée était sensible à la ceftriaxone chez l’ensemble des participant·e·s.

Résultats

Les participant·e·s ont guéri de la gonorrhée anogénitale dans les proportions suivantes, selon l’antibiotique utilisé :

  • ceftriaxone : 100 %
  • ertapénem : 99 %
  • gentamicine : 93 %
  • fosfomycine : 12 %

Accent sur la gorge

L’équipe de recherche s’intéressait principalement à déterminer si un seul cycle de traitement pouvait éradiquer la gonorrhée du site anogénital ou urogénital. Notons cependant que la gonorrhée était détectable dans plus d’un site chez certaines personnes, comme dans la région anorectale et la gorge, par exemple.

L’équipe de recherche a souligné qu’il était plus difficile d’éradiquer la gonorrhée de la gorge que d’autres parties du corps. Pour cette raison, elle a décidé de se fixer comme objectif secondaire (c’est-à-dire moins important) l’évaluation de l’éradication de la gonorrhée de la gorge.

Selon l’équipe de recherche, il n’est pas clair quel laps de temps est idéal après l’amorce du traitement pour faire un frottis de la gorge afin de confirmer la guérison de la gonorrhée. Dans cette étude, on a choisi une période d’une à deux semaines, mais il est possible qu’une période de plus longue durée soit nécessaire.

La gonorrhée de la gorge a été guérie dans les proportions suivantes :

  • ceftriaxone : 90 % (38 personnes sur 42)
  • ertapénem : 88 % (29 personnes sur 32)
  • gentamicine : 26 % (9 personnes sur 38)

Remarque : Comme nous l’avons mentionné plus tôt, la fosfomycine s’est révélée peu efficace, et le recrutement et l’affectation de participant·e·s pour recevoir ce médicament ont pris fin rapidement. Nous parlons davantage des problèmes liés à la gentamicine et à la fosfomycine plus loin dans cette section.

Effets secondaires

Comme les antibiotiques peuvent causer un déséquilibre des bactéries intestinales, des épisodes temporaires de diarrhées peuvent se produire.

Des épisodes de diarrhées ont été signalés par des participant·e·s recevant la fosfomycine (87 %), l’ertapénem (50 %) et la ceftriaxone (11 %), mais ce problème s’est rarement produit chez les personnes recevant la gentamicine (2 %).

Une personne sous ertapénem a subi un rétrécissement de sa gorge. On a interprété cet effet comme une réaction allergique, et l’homme s’en est rétabli sous l’effet d’antihistaminiques administrés dans le service des urgences d’un hôpital.

Chez 14 participant·e·s, l’équipe de recherche a constaté un déclin « cliniquement pertinent » d’une mesure de la santé rénale appelée DFGe (débit de filtration glomérulaire estimé). Chez les personnes en question, qui recevaient les différents médicaments à l’étude dans des proportions plus ou moins égales, le DFGe a diminué de plus de 25 %. La baisse du DFGe n’a toutefois été déclarée grave dans aucun cas, et la plupart des personnes touchées s’en sont rétablies après quelques semaines.

Accent sur la fosfomycine

Aux fins de cette étude, on avait recours à une dose unique de fosfomycine de 6 grammes par voie orale. Ce médicament a toutefois échoué à guérir la gonorrhée chez la plupart des participant·e·s qui l’ont reçu. Comme l’équipe de recherche s’est aperçue de l’inefficacité du médicament à mi-chemin de l’étude, elle a cessé de recruter ou d’affecter des participant·e·s pour recevoir la fosfomycine longtemps avant la fin de celle-ci.

Selon l’équipe de recherche, les résultats d’études antérieures portent à croire que la fosfomycine peut guérir la gonorrhée si elle est administrée de manière répétée pendant plusieurs jours. Il est toutefois clair que ce médicament est inutile lorsqu’une seule dose est utilisée. Dans la présente étude, l’équipe de recherche s’intéressait à évaluer les schémas posologiques consistant en une dose unique en raison de leur facilité d’utilisation. D’autres équipes de recherche ont par ailleurs constaté que toutes les personnes ayant besoin de traitements et d’évaluations multiples pour des infections transmissibles sexuellement ne retournent pas nécessairement aux cliniques pour recevoir plus de soins et de traitements. Ce genre de comportement peut favoriser la propagation de bactéries pharmacorésistantes (qui résistent aux médicaments), d’où l’importance accordée à l’évaluation de traitements reposant sur une seule dose de médicament dans cette étude et la plupart des études en cours.

Accent sur la gentamicine

Lors d’une étude antérieure, l’association de 240 mg de gentamicine et de 1 gramme d’azithromycine s’est révélée moins efficace que l’association ceftriaxone-azithromycine pour éliminer la gonorrhée.

Dans la présente étude, où la dose de gentamicine était ajustée en fonction du poids corporel, les participant·e·s recevaient entre 280 et 400 mg de ce médicament. Cependant, malgré le recours à une dose plus élevée (que celle utilisée lors d’une étude antérieure), la gentamicine s’est révélée inadéquate pour le traitement de la gonorrhée de la gorge, selon l’équipe de recherche.

Il est possible que l’administration de doses plus élevées ou de traitements de plus longue durée puisse améliorer l’efficacité de la gentamicine. L’équipe de recherche a cependant averti qu’une telle approche « augmenterait vraisemblablement le risque de [toxicité] grave ». Notons à ce propos que la gentamicine peut nuire à l’oreille interne et aux reins.

Recrutement

L’équipe de recherche a affirmé qu’« une proportion substantielle de personnes admissibles ont refusé de participer ». De nombreuses personnes ont refusé parce que leur participation les aurait incommodées ou aurait perturbé leur routine. Les raisons données incluaient les longs délais d’attente à la clinique et/ou la nécessité d’y retourner de nombreuses fois.

À l’avenir

Quoique bien conçue, la présente étude a porté sur un nombre relativement faible de personnes. À la lumière de ses résultats, l’équipe de recherche néerlandaise a affirmé que l’ertapénem « pourrait être une option de rechange pour [traiter] la gonorrhée sensible à la ceftriaxone ». L’essai Nabogo soulève de nombreuses questions que nous aborderons dans la prochaine section de ce numéro de TraitementActualités.

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCES :

  1. de Vries HJC, de Laat M, Jongen VW, et al. Efficacy of ertapenem, gentamicin, fosfomycin, and ceftriaxone for the treatment of anogenital gonorrhoea (NABOGO): a randomised, non-inferiority trial. Lancet Infectious Diseases. 2022 Jan 19:S1473-3099(21)00625-3. 
  2. Xu WQ, Zheng XL, Liu JW, et al. Antimicrobial susceptibility of ertapenem in Neisseria gonorrhoeae isolates collected within the China Gonococcal Resistance Surveillance Programme (China-GRSP) 2018. Infection and Drug Resistance. 2021 Oct 12;14:4183-4189.
  3. Li X, Le W, Lou X, et al. In vitro efficacy of gentamicin alone and in combination with ceftriaxone, ertapenem, and azithromycin against multidrug-resistant Neisseria gonorrhoeae. Microbiology Spectrum. 2021 Oct 31;9(2):e0018121. 
  4. Lewis DA. New treatment options for Neisseria gonorrhoeae in the era of emerging antimicrobial resistance. Sexual Health. 2019 Sep;16(5):449-456.