Une étude canadienne sur la rééducation cérébrale

Des chercheurs à Toronto et à Calgary, sous la direction du professeur de neurosciences de l'Université de Toronto Sean Rourke, Ph.D., mènent actuellement une étude sur les effets qu’exerce le VIH sur le cerveau et les moyens d’améliorer la santé de cet organe vital. Leurs résultats provisoires portent à croire que les exercices de conditionnement cérébral peuvent aider le cerveau de certaines personnes vivant avec le VIH.

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Détails de l’étude

Les chercheurs ont recruté 50 volontaires séropositifs dans des cliniques et des hôpitaux importants de Toronto. Les volontaires n’avaient pas d’antécédents de consommation importante de drogues/alcool, de déficience auditive ou de psychose. Les chercheurs ont admis à l’étude des volontaires ayant déjà souffert de dépression.

Une fois recrutés, les participants ont subi une évaluation de leurs fonctions neurocognitives avant de commencer un programme de conditionnement cérébral de 10 semaines (des détails à ce propos suivront). Une fois le programme terminé, les participants ont subi de nouveau des évaluations neurocognitives.

Créé par la compagnie Posit Science, ce programme de conditionnement cérébral informatisé comprend six exercices qui durent chacun 15 minutes. Les exercices font travailler le cerveau et ont pour objectif spécifique d’améliorer la vitesse et la précision du traitement de l’information par cet organe. Selon le Pr Rourke, ces exercices « s'appuient les uns sur les autres de sorte qu'ils deviennent plus exigeants à mesure qu'on obtient plus de facilité à les exécuter ».

Avant de commencer à faire les exercices d’entraînement cérébral, tous les participants ont reçu une leçon d’une heure sur la façon d’effectuer les exercices.

Conformément au protocole de l’étude, les participants devaient faire ce qui suit :

  • environ 30 à 45 minutes d’exercices de conditionnement cérébral par jour, cinq jours par semaine, pendant huit semaines consécutives

Jusqu’à présent, 17 participants ont complété l’étude; nous présentons leurs résultats ci-dessous.

Le profil moyen des 17 participants était le suivant :

  • âge – 55 ans
  • sexe – tous des hommes
  • années de scolarité – 16 ans
  • proportion sans emploi ou à la retraite – 77 %
  • années depuis le diagnostic de VIH – 19
  • prise d’une TAR – 16 participants
  • proportion de participants sous TAR ayant une charge virale de moins de 50 copies/ml – 100 %
  • observance fidèle de la TAR pendant les quatre derniers jours – 13 participants
  • proportion ayant déjà eu un compte de CD4+ inférieur à 200 cellules – 87 %

Résultats

  • Après avoir examiné les évaluations neurocognitives des 17 participants qui avaient complété l’étude, les chercheurs ont réparti 15 d’entre eux dans une des trois catégories suivantes de troubles neurocognitifs associés au VIH (HAND) :
  • fonction neurocognitive normale – cinq personnes
  • léger trouble neurocognitif – six personnes
  • démence liée au VIH – quatre personnes

Deux participants sur 17 ont été exclus de l’analyse initiale puisqu'ils étaient asymptomatiques.

Résultats — après les exercices de conditionnement cérébral

Après huit semaines d’exercices de conditionnement cérébral réguliers, les chercheurs ont constaté une amélioration des symptômes de problèmes cognitifs chez tous les groupes, bien que les changements les plus importants se soient produits chez les participants dont la déficience neurocognitive avait été la plus légère au début de l’étude.

Voici les tendances générales observées dans chaque groupe :

  • Parmi les participants ayant une fonction neurocognitive normale, on a constaté une augmentation faible et non significative du fonctionnement neurocognitif.
  • Parmi les participants présentant un léger trouble neurocognitif, les indices globaux de la fonction neurocognitive ont grimpé de façon prononcée, approchant ceux des personnes ayant une fonction neurocognitive normale. Les changements en question étaient significatifs du point de vue statistique, c’est-à-dire non attribuable au seul hasard.
  • Parmi les participants souffrant de démence, les indices de la fonction neurocognitive ont augmenté de façon marquée, mais sans pour autant atteindre le niveau des personnes ayant une fonction neurocognitive normale.

Mise en perspective

Cette étude canadienne a permis de dégager plusieurs résultats importants que voici :

  • C’est la première étude canadienne à « évaluer et démontrer les bienfaits potentiels des exercices de conditionnement cérébral pour contrer les déficiences neurocognitives liées au VIH, au-delà de la contribution de la TAR », ont affirmé le chercheur principal Sean Rourke, PhD, et ses collègues.
  • Bien que la présente étude porte sur un nombre relativement faible de participants, plusieurs améliorations ont été documentées, y compris différents aspects de la mémoire (mémoire de travail, mémoire d’apprentissage verbal et mémoire visuelle). De plus, elle fournit la justification pour mener une étude de plus grande envergure.
  • Selon le Pr Rourke, la grande découverte a été la diminution du fardeau imposé par les symptômes cognitifs vécus par les participants, fardeau qui s'est atténué dans une proportion de 30 % à 50 %. C'est une diminution significative, car elle a permis à ces personnes d'envisager leur affection sous un nouvel angle et avec la détermination d'y faire face. C'est important, car cela signifie que ces personnes ont le sentiment de pouvoir non seulement renouer avec la société, mais aussi de pouvoir y prendre une part active. À son tour, un tel renouement avec le monde extérieur va fort probablement améliorer la perspective des participants sur la vie et leur sentiment de bien-être mental et émotionnel.
  • Les chercheurs font valoir que, jusqu’à présent, leurs résultats indiquent que les personnes séropositives ayant reçu un diagnostic de trouble neurocognitif léger « pourraient tirer davantage de bienfaits des [exercices] de conditionnement cérébral que celles atteintes de démence liée au VIH ».

Points à retenir

On devrait considérer les résultats de cette étude canadienne comme provisoires, mais extrêmement prometteurs. Seuls les résultats obtenus auprès de quelques participants sont disponibles à l’heure actuelle, mais d’autres données pourront être dégagées ultérieurement. Cette étude canadienne ouvre donc la voie à d’autres études plus complexes, plus grandes et de plus longue durée qui viseront à faire valoir d'autres moyens d’améliorer la santé cérébrale chez les personnes vivant avec le VIH.

Vers l’avenir

Le Pr Rourke prévoit mener une étude de plus grande envergure pour comparer l’impact des interventions suivantes chez les personnes vivant avec le VIH :

  • exercices de conditionnement cérébral
  • thérapie cognitive basée sur la pleine conscience
  • outils psychoéducatifs – sudoku, mots croisés, etc.

Le Pr Rourke aimerait aussi explorer le rôle de l’activité physique sur la fonction neurocognitive. Comme nous l’avons mentionné plus tôt dans ce numéro de TraitementSida, l’exercice peut avoir de nombreux bienfaits pour la santé, particulièrement en ce qui concerne le cerveau. Entre autres, le Pr Rourke s’intéresse au temps consacré à l’exercice. Selon sa théorie, la pratique d’exercices physiques pendant plusieurs semaines permet d’améliorer le flux sanguin partout dans le cerveau (et le corps) et de stimuler l’organe afin qu’il produise du facteur neurotrophique dérivé du cerveau. (BDNF). Rappelons que cette protéine a été associée à l’amélioration de la mémoire lors de quelques études. Après avoir complété la période d’activité physique, les participants pourraient commencer à faire des exercices de conditionnement cérébral. Selon le Pr Rourke, cette combinaison d’exercice physique et d’entraînement cérébral pourrait avoir un impact plus bénéfique sur la fonction neurocognitive que l’une ou l’autre de ces interventions toute seule.

Le Pr Rourke voudrait aussi mener une étude utilisant l’imagerie par résonance magnétique (IRM) du cerveau pour évaluer l’impact que l’exercice aurait sur les vaisseaux sanguins de l’organe. Une telle étude aiderait les chercheurs à mieux comprendre l’impact du conditionnement cérébral aussi bien que de l’activité physique sur le cerveau. D’après le Pr Rourke, il est probable qu’une combinaison d’interventions — telles que l’exercice physique et l’entraînement cérébral — sera nécessaire pour aider à préserver et à améliorer la santé cérébrale chez les personnes séropositives. Il fait aussi valoir qu’une compréhension du vécu des personnes séropositives qui élaborent des stratégies pour faire face à une déficience neurocognitive pourrait aider à orienter les neuroscientifiques dans leurs tentatives de guérir le cerveau.

Remerciements

Nous remercions le Pr Sean Rourke pour cet exposé fort utile, son précieux concours à la recherche et son analyse d'expert.

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCES :

  1. Rourke SB, et al. The benefits of Posit Science brain fitness exercises for neurocognitive impairment in men with HIV: Pilot results from a ten-week cognitive rehabilitation intervention study. In: 23rd Annual Canadian Conference on HIV/AIDS Research, St. John’s Newfoundland. 2 May 2014. Abstract O039.
  2. Mapstone M, Hilton TN, Yang H, et al.  Poor aerobic fitness may contribute to cognitive decline in HIV-infected older adults. Aging and Disease. 2013 Aug 27;4(6):311-9.
  3. Fazeli PL, Woods SP, Heaton RK, et al. An active lifestyle is associated with better neurocognitive functioning in adults living with HIV infection. Journal of Neurovirology. 2014 Jun;20(3):233-42.