Le mystère de l'étude Visconti
Lors d'une analyse de plusieurs bases de données et de dossiers médicaux de personnes vivant avec le VIH, des chercheurs en France ont découvert 14 cas où des patients avaient été mis sous traitement lors d'un stade très précoce de l'infection. Ces personnes ont interrompu plus tard leur multithérapie et, pour la plupart, leur charge virale est restée relativement faible (moins de 400 copies/ml), de sorte qu'elles n'ont pas eu besoin de recommencer le traitement. Cette étude française portant le nom de Visconti marque une découverte intéressante. Toutefois, à l'heure actuelle, il n'y a pas de données solides qui laissent croire à la probabilité d'un tel résultat chez la vaste majorité des personnes séropositives qui commencent très tôt le traitement. Et il est certain que l'étude Visconti n'a guéri personne. Les résultats devraient plutôt être perçus comme une découverte importante qui soulève de nombreuses questions de recherche qui pourraient servir de base à des expériences de laboratoire futures et peut-être à des essais cliniques conçus de manière rigoureuse sur le plan statistique.
Détails de l'étude
Les chercheurs ont présenté les résultats obtenus auprès de 14 personnes (10 hommes et quatre femmes) qui ont commencé une multithérapie lors d'un stade très précoce de l'infection au VIH (soit la primo-infection) entre 1996 et 2002.
Douze personnes sur 14 présentaient des symptômes de la primo-infection au VIH (ces symptômes ressemblent à ceux de la grippe). On estimait généralement que la primo-infection s'était produite un ou deux mois après l'exposition au virus.
Les participants ont reçu les soins standards au moment où ils ont recherché un secours médical. Nous n'avons pas de données concernant les régimes spécifiques utilisés, mais il s'agissait surtout d'une combinaison de deux analogues nucléosidiques et d'un inhibiteur de la protéase.
Durant la primo-infection, soit avant le début de la multithérapie, la charge virale moyenne était de 100 000 copies/ml, et le compte de CD4+ moyen se situait à un peu plus de 500 cellules.
Quelques mois après l'instauration de la multithérapie, la charge virale moyenne a chuté à moins de 50 copies/ml, et le compte de CD4+ moyen a atteint un peu plus de 900 cellules.
Les participants sont restés sous multithérapie pendant trois ans environ avant d'interrompre leur traitement pour des raisons inconnues.
À la suite de l'interruption du traitement, huit participants sur 14 ont maintenu une charge virale très faible lors des tests subséquents; leurs charges virales sanguines allaient de 1 à 39 copies/ml.
Dans le cas des six participants restants, les charges virales dans le sang allaient de moins de 40 copies/ml à 400 copies/ml. Dans quelques cas, les charges virales étaient supérieures à 400 copies/ml à plusieurs reprises, mais redescendaient habituellement à moins de 400 copies/ml après quelque temps.
Les derniers comptes de CD4+ disponibles étaient généralement élevés, allant de 441 cellules chez un participant à près de 1 600 cellules chez un autre.
Les échantillons de sang des participants ont été analysés exhaustivement dans le laboratoire. Pour la plupart, les tests en question ont donné des résultats inattendus :
Génétique
Les participants ne semblaient pas être porteurs de gènes associés à une bonne maîtrise virologique du VIH. De plus, plusieurs participants avaient des gènes associés à l'apparition rapide du sida; il est donc remarquable que la suppression de la charge virale se soit maintenue chez ces personnes en l'absence d'une multithérapie.
Cellules CD8+
Les cellules CD8+ sont importantes pour maîtriser les infections et sont utilisées par l'organisme pour détruire les cellules infectées par le VIH. Dans ce cas, toutefois, les cellules CD8+ extraites des participants ne possédaient qu'une « faible » capacité de supprimer le VIH, d'après les chercheurs.
Cellules infectées
Chez huit participants à propos desquels les chercheurs disposaient de données, la proportion de cellules infectées par le VIH dans le sang est restée plus ou moins stable chez deux participants; elle a augmenté chez un autre et a baissé chez cinq autres malgré l'absence de traitement. Dans l'ensemble, cela laisse croire que le réservoir de cellules infectées par le VIH était « très petit » chez ces cinq participants, affirmait l'équipe de recherche.
Il est à noter qu'aucune des 14 personnes inscrites à l'étude Visconti n'a été guérie. Il n'empêche que, majoritairement, elles ont réussi à maintenir une charge virale relativement faible sans avoir besoin de recommencer le traitement. Les mécanismes précis à l'origine de ces résultats remarquables demeurent un mystère, mais les chercheurs français s'appliquent à les découvrir.
Nous abordons d'autres questions liées à l'étude Visconti (et à des études semblables) dans la section suivante.
—Sean R. Hosein
RÉFÉRENCES :
- Sáez-Cirión A, Bacchus C, Hocqueloux L, et al. Post-treatment HIV-1 controllers with a long-term virological remission after the interruption of early initiated antiretroviral therapy ANRS VISCONTI study. PloS Pathogens. 2013 Mar;9(3):e1003211.
- Hamimi C, Pancino G, Barré-Sinoussi F, et al. Will it be possible to live without antiretroviral therapy? Current Opinion in HIV/AIDS. 2013; in press.
- Sáez-Cirión A, Hamimi C, Bergamaschi A, et al. Restriction of HIV-1 replication in macrophages and CD4+ T cells from HIV controllers. Blood. 2011 Jul 28;118(4):955-64.
- Lamine A, Caumont-Sarcos A, Chaix ML, et al. Replication-competent HIV strains infect HIV controllers despite undetectable viremia (ANRS EP36 study). AIDS. 2007 May 11;21(8):1043-5.