Un bébé a-t-il guéri du VIH?
Lors de la Conférence annuelle sur les rétrovirus et les infections opportunistes (CROI) tenue aux États-Unis en mars 2013, des chercheurs ont présenté les détails du cas d'un bébé qui aurait guéri de l'infection au VIH. Les prétendues guérisons du VIH sont rares et, compte tenu de leur importance potentielle, elles méritent un examen minutieux et des réflexions critiques.
Détails du cas
L'équipe de recherche a rendu compte du cas d'une mère vivant dans le sud des États-Unis qui a recherché des soins parce qu'elle était sur le point d'accoucher. Selon les chercheurs, la femme « n'avait pas reçu de soins prénatals », et les médecins n'ont découvert sa séropositivité que lors de son travail prématuré quand ils ont effectué un dépistage rapide du VIH. La femme avait une charge virale faible (2 423 copies/ml) et un compte de CD4+ relativement élevé (644 cellules). L'analyse de son VIH suggérait que le virus n'avait pas été exposé à des médicaments anti-VIH.
Supposant que le bébé était infecté aussi, les médecins l'ont envoyé à un hôpital majeur pour le faire soigner. À l'hôpital, 31 heures après la naissance du bébé, les chercheurs ont découvert des cellules infectées par le VIH dans son sang, et sa charge virale s'élevait à 19 812 copies/ml. Les médecins ont commencé immédiatement une thérapie anti-VIH associant la névirapine (Viramune), l'AZT (Retrovir, zidovudine) et le 3TC (lamivudine). Après une semaine, la névirapine a été remplacée par le lopinavir-ritonavir (Kaletra). Le bébé a bien répondu au traitement et, un mois après sa naissance, sa charge virale se situait à moins de 48 copies/ml.
Après 18 mois, le personnel de l'hôpital a perdu le contact avec l'enfant et sa famille. Les raisons pour cette perte de contact n'étaient pas claires.
Lorsque l'enfant avait presque deux ans, le personnel hospitalier a repris contact avec le bébé et son « gardien », selon les chercheurs. L'adulte en question a dévoilé aux fournisseurs de soins de santé que les médicaments anti-VIH donnés au bébé avaient été cessés vers l'âge de 18 mois. Les raisons pour cette décision n'ont pas été dévoilées.
On a soumis le sang du bébé à de nombreux tests virologiques, immunologiques et génétiques. L'objectif des tests génétiques était de confirmer qu'il s'agissait bel et bien du même bébé qui avait été soigné antérieurement à l'hôpital. À ce moment-là, l'épreuve expérimentale du laboratoire hospitalier, qui pouvait détecter aussi peu qu'une seule copie, a confirmé que la charge virale du bébé était de 1 copie/ml. L'enfant se portait bien sur le plan clinique et n'avait pas suivi de multithérapie depuis presque un an au moment où les résultats étaient présentés à la conférence.
Points à considérer
1. Ce cas est un rappel brutal de ce qui peut se passer lorsqu'une femme enceinte ne reçoit pas de soins prénatals, de dépistage du VIH et de traitement antirétroviral durant la grossesse. Lorsque l'infection au VIH n'est pas traitée, le risque de transmission de la mère à l'enfant varie entre 25 % et 30 %. Dans les pays à revenu élevé comme le Canada et les États-Unis, on a réussi à réduire le risque de transmission mère-enfant à moins de 2 % grâce aux mesures suivantes : la prestation de soins prénatals aux femmes séropositives enceintes; le counseling et la mise sous traitement antirétroviral des femmes séropositives enceintes; le traitement temporaire du bébé par des médicaments anti-VIH juste après la naissance; et l'utilisation d'une préparation pour nourrissons au lieu du lait maternel. Que ce bébé semble maintenant séronégatif est un résultat extrêmement heureux. Il reste que ce cas souligne la présence de lacunes sérieuses dans les systèmes de santé et de services sociaux dans la région de la mère en question.
2. Qu'un grand hôpital dans un pays à revenu élevé puisse perdre contact avec la famille d'un bébé séropositif pendant plusieurs mois semble, au mieux, très inhabituel. Cela souligne une autre lacune apparente dans le système de santé, particulièrement en ce qui concerne ce bébé et sa mère.
3. Même si les chercheurs associés à ce cas laissent entendre que l'instauration précoce d'une multithérapie qui a duré presque 18 mois aurait guéri ce bébé, il est prématuré de parler de guérison. Il est possible que la multithérapie du bébé ait agi comme une prophylaxie post-exposition ou PPE. Celle-ci est utilisée de façon routinière dans les pays à revenu élevé dans les contextes médicaux pour traiter les travailleurs de la santé qui sont exposés au VIH lors des piqûres d'aiguilles accidentelles. La PPE est également utilisée pour prévenir l'infection par le VIH à la suite d'une exposition sexuelle possible. Lorsqu'elle administrée dans les 72 heures suivant l'exposition, la PPE a de très bonnes possibilités de réussir. Ainsi, la multithérapie donnée à ce bébé durant ce laps de temps aurait pu agir comme une PPE, aidant à limiter considérablement l'infection par le VIH.
4. La mère en question était porteuse d'une souche (ou clade) du VIH qui est relativement répandue en Amérique du Nord, en Australie, au Japon et en Europe occidentale, soit le sous-type B. De plus, comme la charge virale de la mère semblait exceptionnellement faible, il est possible qu'elle ait été infectée par une souche affaiblie du VIH. Si cela était le cas, le système immunitaire du bébé, renforcé par la multithérapie, aurait eu moins de difficulté à maîtriser et peut-être à se débarrasser du virus.
5. Selon l'équipe de recherche, la mère n'a pas allaité son bébé. Ce point est important à souligner, car l'allaitement peut transmettre le VIH.
6. Il faut faire des analyses de ganglions et de tissus lymphatiques pour s'assurer qu'il n'y ait plus de traces de VIH dans le corps du bébé.
7. Il est possible que les chercheurs n'aient pas encore avancé d'autres explications concernant la présence de faibles niveaux de VIH chez le bébé en l'absence d'un traitement continu.
Implications
Il est prématuré de suggérer que le recours systématique à une multithérapie prolongée puisse guérir les bébés séropositifs nés de mères séropositives. De nos jours, la majorité des bébés nés de mères séropositives viennent au monde dans les pays à faible ou à moyen revenu. Les raisons pour lesquelles certains des bébés dans ces pays naissent infectés incluent le manque ou l'absence de soins prénatals donnés à la mère, l'accès limité ou inexistant à la multithérapie et l'allaitement. Les organismes internationaux, les gouvernements locaux et les ONG travaillent fort pour faire baisser le taux de transmission mère-enfant à zéro.
Au Canada et dans les autres pays à revenu élevé, la vaste majorité des femmes séropositives qui tombent enceintes reçoivent des soins prénatals et un traitement antirétroviral et donnent naissance à des bébés en bonne santé. Il existe bien entendu des cas où les mères dans ces pays ne reçoivent peut-être pas de soins prénatals. Les raisons sont complexes et varient selon la femme, mais il y a habituellement un lien avec un ou plusieurs des facteurs suivants :
- collectivité éloignée
- mauvaise santé mentale et émotionnelle
- dépendances
- immigration récente d'un pays où le VIH est relativement courant
Le Canada, les États-Unis et les autres pays à revenu élevé pourront aider à prévenir une fois pour toutes la naissance de bébés séropositifs en prenant les mesures suivantes : rendre plus accessible l’offre des tests systématiques de dépistage du VIH; élargir les services de traitement et de prévention en matière de santé mentale et de dépendances, les soins prénatals et les autres services sociaux destinés aux populations dans le besoin; et impliquer les communautés dans le renforcement de la santé collective.
Ressources :
Société des obstétriciens et gynécologues du Canada
Lignes directrices canadiennes en matière de planification de la grossesse en présence du VIH
Renseignements à l'intention des femmes ayant reçu un diagnostic de VIH pendant leur grossesse
Renseignements à l'intention des nouvelles mamans qui sont séropositives
—Sean R. Hosein
RÉFÉRENCES :
- Mark S, Murphy KE, Read S, et al. HIV mother-to-child transmission, mode of delivery, and duration of rupture of membranes: experience in the current era. Infect Dis Obstet Gynecol. 2012;2012:267969.
- Persaud D, Gay H, Ziemniak C, et al. Functional cure after very early ART of an HIV-infected infant. In: Program and abstracts of the 20th Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections, 3-6 March 2013, Atlanta, U.S. Abstract 48 LB.