Régulateurs de l’humeur et problèmes métaboliques
Comme nous l’avons déjà mentionné dans ce numéro de TraitementSida, les personnes séropositives sont plus à risque de connaître des problèmes de santé mentale et de bien-être émotionnel. Lorsque les problèmes de santé mentale sont graves, on a parfois recours à une classe de médicaments appelés antipsychotiques. Les professionnels de la santé et certains patients ont trouvé ces médicaments utiles contre les maladies suivantes :
- schizophrénie
- manie
- trouble bipolaire
- dépression résistant au traitement
Les antipsychotiques de deuxième génération (ADG) semblent provoquer moins des effets secondaires suivants associés à la première génération :
- spasmes musculaires
- secousses musculaires
- agitation nerveuse
- mouvements involontaires
Les ADG peuvent toutefois provoquer des effets secondaires aussi, notamment les problèmes métaboliques suivants :
- augmentation de la glycémie
- prise de poids involontaire, particulièrement sous forme de graisse abdominale
- taux élevés de substances lipidiques (graisses) dans le sang
- augmentation de la tension artérielle
L’ensemble de ces problèmes constitue le syndrome métabolique et peut augmenter le risque de maladies cardiovasculaires.
La recherche porte à croire que les raisons de la prise de poids et des autres problèmes métaboliques observés chez les personnes souffrant de problèmes de santé mentale graves sont complexes et probablement associées à l’intersection de facteurs comme les suivants :
- comportements – tabagisme, mauvaises habitudes alimentaires, manque d’exercice
- présence de problèmes médicaux additionnels (appelés comorbidités) avant le diagnostic du problème de santé mentale grave
- prédisposition sous-jacente au syndrome métabolique parmi certaines personnes souffrant de schizophrénie et d’un trouble bipolaire
Des chercheurs de la ville italienne Modène et de San Diego, en Californie, ont collaboré à une étude sur l’impact des ADG sur la santé des personnes séropositives, et plus particulièrement sur celles utilisant une combinaison de médicaments puissants contre le VIH (couramment appelée thérapie antirétrovirale ou TAR). Ils ont trouvé que l’exposition aux ADG était probablement liée à une augmentation de certaines manifestations du syndrome métabolique. Ce constat ne veut toutefois pas dire qu’il faille abandonner les ADG parce qu’une équipe de chercheurs internationale a formulé des recommandations concernant leur usage dans le cadre des soins dispensés aux personnes séropositives. Nous résumons ces recommandations plus tard dans ce rapport.
Détails de l’étude
Les chercheurs ont recruté 2 229 personnes séropositives et les ont réparties en deux groupes, comme suit :
- utilisation d’ADG – 258 people
- aucune utilisation d’ADG – 1 971 personnes
Les participants avaient le profil moyen suivant lors de leur admission à l’étude :
- âge – 45 ans
- sexe – 80 % d’hommes, 20 % de femmes
- durée de l’infection au VIH – 7 ans
- compte de CD4+ actuel – 435 cellules/mm3
- charge virale actuelle – 50 copies/ml
Résultats
En moyenne, les participants prenaient des antipsychotiques depuis 15 mois environ. Voici les médicaments qu’ils utilisaient :
- aripiprazole (Abilify)
- clozapine (Clozaril)
- palipéridone (Invega)
- quétiapine (Seroquel)
- rispéridone (Risperdal)
- olanzapine (Zyprexa)
En général, les chercheurs ont trouvé que l’exposition aux ADG était associée à l’apparition de certains éléments du syndrome métabolique, dont les suivants :
- augmentation des taux de lipides dans le sang (triglycérides)
- prise de poids
- augmentation de la tension artérielle
- nouveaux cas de diabète de type 2
Des résultats comparables ont déjà été observés lors d’études sur les ADG menées auprès de personnes séronégatives.
On peut avancer plusieurs explications possibles de la survenue des effets secondaires observés au cours de la présente étude :
- Il est possible que les ADG et certains médicaments anti-VIH aient interféré avec l’hormone insuline. Celle-ci sert à réguler la glycémie (taux de sucre sanguin). Les excès de sucre se transforment en graisse et causent une prise de poids.
- Il est possible que les ADG et certains médicaments anti-VIH aient interféré avec la production et le développement des cellules adipeuses, de sorte que ces dernières se sont concentrées et multipliées dans l’abdomen.
Recommandations des chercheurs
L’équipe de recherche, qui se composait de psychologues, de psychiatres et de neurologues, a formulé les recommandations suivantes :
- Les professionnels de la santé et les patients qui prescrivent ou utilisent des ADG devraient comprendre que de nombreux facteurs contribuent aux effets secondaires d’ordre métabolique.
- Les thérapies non pharmaceutiques que l’on peut envisager pour traiter les effets secondaires liés aux ADG incluent les suivantes : « psycho-éducation individuelle ou en groupe, autosurveillance, thérapie cognitivo-comportementale, intervention nutritionnelle, programme d’exercices supervisé ou counseling par un nutritionniste ou diététiste ».
- Si un changement de traitement pharmaceutique s’avère nécessaire, les chercheurs conseillent aux médecins d’envisager la prescription d’un ADG moins susceptible de causer une augmentation de l’appétit ou du poids. Les médecins pourraient aussi envisager de modifier la TAR de leurs patients, disent-ils. Toutefois, les chercheurs soulignent que toute modification du régime antipsychotique « doit être pesée en fonction du risque d’aggravation de la psychopathologie »; dans le cas de la TAR, il faut peser le risque de nouveaux effets secondaires et/ou le potentiel pour le VIH de devenir résistant au traitement.
- Des thérapies additionnelles, telle la prescription de médicaments pour faire baisser le cholestérol, pourraient être utilisées pour contrer les effets secondaires métaboliques des ADG.
- Le médicament metformine (Glucophage) agit en rendant l’organisme plus sensible à l’effet de l’hormone insuline. Ajoutée à l’exercice et à une saine alimentation, la metformine peut aider les gens à normaliser leur glycémie. Les chercheurs proposent aux médecins d’envisager de prescrire la metformine pour atténuer les effets secondaires des ADG.
Vers l’avenir
Cette étude sur les ADG est importante dans la mesure où elle a amené les chercheurs à reconnaître la nécessité d’études prospectives de longue durée pour évaluer l’impact des ADG et des interventions (exercice, conseils nutritionnels, médicaments comme la metformine) visant à réduire les effets secondaires des antipsychotiques et à améliorer la santé des personnes qui en prennent.
—Sean R. Hosein
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