Molnupiravir : le premier comprimé antiviral pour la COVID-19 de stade précoce
Le molnupiravir (appelé également Lagevrio et MK-4482, anciennement l’EIDD-2801) est un médicament en cours de développement chez les compagnies pharmaceutiques Merck et Ridgeback Biotherapeutics. Le molnupiravir agit en imitant une molécule nécessaire à l’activité d’une enzyme du coronavirus appelée ARN polymérase. Lorsque le molnupiravir s’incorpore dans une copie du SRAS-CoV-2, il fait en sorte que le virus résultant est défectueux. Par conséquent, les cellules infectées par le SRAS-CoV-2 (virus à l’origine de la COVID-19) produisent des copies dysfonctionnelles de ce virus.
À l’heure actuelle, les anticorps thérapeutiques autorisés pour le traitement du SRAS-CoV-2 doivent être administrés par perfusion intraveineuse. Cette méthode est complexe et nécessite beaucoup de temps, ainsi que l’aide d’un personnel médical. Le molnupiravir offre l’avantage de l’administration orale sous forme de comprimé.
Étude Move-Out
Merck a mené une étude randomisée à double insu, contrôlée contre placebo, sur le molnupiravir chez 1 433 adultes présentant un cas léger ou modéré de COVID-19. L’étude portait le nom de Move-Out. Aucune des personnes recrutées n’était hospitalisée au moment de leur admission à l’étude. Le molnupiravir a été administré à raison de 800 mg toutes les 12 heures pendant cinq jours consécutifs. L’étude s’est déroulée dans plusieurs pays, dont le Canada. Merck a publié des données préliminaires dans un communiqué de presse se rapportant à l’étude.
Résultats
Le molnupiravir a réduit le risque d’hospitalisation ou de décès d’environ 30 % sur une période d’un mois suivant la première dose du traitement. Les taux d’hospitalisation ou de décès ont été les suivants au cours de l’étude :
- molnupiravir : 6,8 % (48 personnes sur 709)
- placebo : 9,7 % (68 personnes sur 699)
Une des personnes traitées par molnupiravir est décédée, alors que neuf décès ont été signalés parmi les membres du groupe placebo.
Innocuité
Comme lors des essais cliniques précédents, le molnupiravir a été bien toléré en général. Des effets indésirables attribuables au médicament ou au placebo se sont produits dans les proportions suivantes :
- molnupiravir : 12 %
- placebo : 11 %
Le molnupiravir s’est révélé efficace chez des personnes infectées par divers variants du SRAS-CoV-2, y compris les suivants :
- gamma (P.1)
- delta (B.1.617.2)
- mu (B.1.621, B.1.621.1)
Étant donné que le molnupiravir agit contre une enzyme virale essentielle, rien ne laisse penser que ce médicament ne serait pas efficace contre les principaux variants du SRAS-CoV-2.
À la suite d’une analyse provisoire effectuée pendant que l’étude se déroulait, un comité de surveillance des données indépendant a déterminé que le molnupiravir était clairement plus efficace que le placebo. Le comité a ensuite recommandé de mettre fin au recrutement compte tenu des résultats favorables.
Agences de réglementation
Merck poursuit des discussions avec les agences de réglementation de plusieurs pays et régions. La compagnie a soumis un dossier pour demander l’autorisation d’utiliser le molnupiravir pour le traitement des cas légers ou modérés de COVID-19 au Canada, dans l’Union européenne et aux États-Unis, entre autres.
Pourquoi tant d’enthousiasme?
Les résultats de l’étude Move-Out ont fait l’objet d’une grande couverture médiatique. Si les essais cliniques des anticorps thérapeutiques comme le sotrovimab et Regen-CoV ont révélé la grande efficacité de ces derniers, il semble que le molnupiravir soit quelque peu moins efficace. (Pour être juste, il faut mentionner qu’aucun essai clinique n’a été mené pour comparer directement le molnupiravir aux anticorps thérapeutiques). Il reste que l’autorisation imminente du molnupiravir a suscité beaucoup d’enthousiasme dans les milieux médicaux en raison de son avantage par rapport aux traitements autorisés, à savoir l’administration sous forme de comprimé. En théorie, cette présentation devrait rendre le médicament plus facilement accessible et plus facile à prendre que les anticorps thérapeutiques, pour lesquels une perfusion intraveineuse et l’assistance de personnel médical sont nécessaires. Comme d’autres antiviraux, le molnupiravir agit le mieux contre le SRAS-CoV-2 lorsqu’il est utilisé tôt dans le cours de la maladie causée par ce virus.
Importance de la gravité de la maladie
Merck a accordé des licences à des compagnies indiennes afin qu’elles puissent fabriquer des versions génériques du molnupiravir qui seront accessibles aux populations des pays à revenu faible ou intermédiaire. En Inde, les compagnies pharmaceutiques Aurobindo Pharma et MSN Laboratories ont mené un essai clinique d’une version générique du molnupiravir chez des personnes atteintes de COVID-19 qui éprouvaient des symptômes modérés de la maladie. Cette version s’est malheureusement révélée inefficace.
Selon Merck, les compagnies indiennes utilisaient une définition différente du terme « modéré » que Merck elle-même, qui suivait la définition de la COVID-19 « modérée » prônée par la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis. Par conséquent, les participant·e·s à l’étude sur le générique étaient plus malades que les personnes figurant dans l’étude Move-Out de Merck. Comme les taux d’oxygène dans le sang étaient plus faibles dans l’étude indienne, cela laissait soupçonner la présence de graves lésions pulmonaires. Si un essai semblable avait été mené aux États-Unis, il est probable que ces patient·e·s auraient été classé·e·s comme « gravement » malades de la COVID-19.
Le molnupiravir n’a pas été conçu pour le traitement des personnes gravement malades de la COVID-19. En effet, Merck avait mis fin précédemment à un essai clinique américain du molnupiravir lorsque des personnes ont dû être hospitalisées pour la COVID-19. Lors des stades avancés de la COVID-19, l’inflammation cause des complications graves. Il est donc probable que des médicaments dotés d’une puissante activité anti-inflammatoire constituent de meilleurs candidats pour les essais cliniques portant sur la COVID-19 de stade avancé.
Point de mire sur les mutations
Le molnupiravir agit en imitant l’activité d’une molécule naturelle utilisée par l’ARN polymérase, une enzyme virale dont les cellules infectées par le SRAS-CoV-2 ont besoin. Comme le molnupiravir emploie cette tricherie pour inciter l’enzyme à l’utiliser à la place de la molécule naturelle, certains s’inquiètent de la possibilité que ce médicament interfère aussi avec des molécules d’ARN humain utilisées par les cellules saines, ce qui augmenterait théoriquement le risque de mutations dans les cellules. Notons cependant que les cellules saines sont dotées de mécanismes nombreux qui peuvent détecter et corriger des mutations potentielles dans leur matériel génétique. De plus, selon les scientifiques travaillant à la mise au point du molnupiravir, les tests effectués à ce jour n’ont détecté aucun risque accru de mutations dans les cellules humaines saines ou encore chez les animaux exposés à des doses très élevées du médicament sur de longues périodes. Merck doit cependant rendre publiques les données accumulées se rapportant à l’impact éventuel du molnupiravir sur les cellules humaines en bonne santé. La compagnie doit également fournir des recommandations aux médecins en ce qui concerne l’innocuité du molnupiravir durant la grossesse.
Comprendre l’échec thérapeutique
Comme nous l’avons mentionné plus tôt, les taux d’hospitalisation ou de mortalité ont été les suivants durant l’étude Move-Out :
- molnupiravir : 6,8 % (48 personnes sur 709)
- placebo : 9,7 % (68 personnes sur 699)
Il est important que Merck fasse une analyse pour déterminer ce qui s’est passé chez les 6,8 % des personnes dont l’état s’est détérioré malgré l’usage de molnupiravir. L’échec thérapeutique pourrait s’expliquer par au moins deux raisons :
- la gravité des affections médicales sous-jacentes
- l’émergence d’une souche résistante du SRAS-CoV-2 contre laquelle le molnupiravir était inefficace
La découverte des causes de la détérioration de la santé des personnes traitées par molnupiravir pourrait aider à orienter le déploiement de ce médicament à l’avenir.
À retenir
Le molnupiravir est un médicament très prometteur, mais il n’est qu’un seul médicament (monothérapie). Or, pour traiter des infections virales comme le VIH ou l’hépatite C, on a systématiquement recours à des combinaisons de médicaments. Ainsi, il se pourrait que le molnupiravir soit plus efficace lorsqu’il est utilisé en association avec d’autres médicaments oraux s’étant montrés prometteurs contre l’infection au SRAS-CoV-2, tel Paxlovid (mentionné plus loin dans ce numéro de TraitementActualités). Pour tester cette hypothèse, il faudra d’abord mener des expériences de laboratoire sur des cellules et ensuite sur des animaux si les résultats de celles-là s’avèrent encourageants. Lorsque ces expériences auront révélé l’innocuité préliminaire des combinaisons potentielles, les agences de réglementation pourront envisager l’autorisation d’études sur l’utilisation de combinaisons de traitements du SRAS-CoV-2 chez l’humain. Des expériences de laboratoire pourraient également explorer l’effet du molnupiravir utilisé en combinaison avec l’antidépresseur fluvoxamine (Luvox). Des rapports sur ce dernier apparaissent plus loin dans ce numéro de TraitementActualités.
Étant donné la publicité favorable à l’égard de l’efficacité du molnupiravir, ainsi que sa facilité d’utilisation, il est probable que la demande pour ce médicament sera importante dans de nombreux pays. Merck s’est engagé à fabriquer des millions de doses de ce médicament à court terme. Cependant, face à la forte demande, il est possible que des pénuries se produisent au cours des prochains mois. Il est donc probable que l’accès au molnupiravir sera rationné durant cette période.
—Sean R. Hosein
RÉFÉRENCES :
- Merck. Le molnupiravir, un antiviral oral expérimental mis au point par Merck et Ridgeback, a réduit d’environ 50 % le risque d’hospitalisation ou de décès par rapport au placebo chez des patients atteints d’une forme légère ou modérée de la COVID-19, d’après une analyse provisoire positive des résultats d’une étude de phase III. Communiqué de presse. 1er octobre 2021.
- Sing S, Kumar Mitra A, Arora N. Two Indian drug makers to end trials of generic Merck pill for moderate COVID-19. Reuters. 8 October 2021.
- Kabinger F, Stiller C, Schmitzová J, et al. Mechanism of molnupiravir-induced SARS-CoV-2 mutagenesis. Nature Structural and Molecular Biology. 2021 Sep;28(9):740-746.
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- Painter WP, Holman W, Bush JA, et al. Human safety, tolerability, and pharmacokinetics of molnupiravir, a novel broad-spectrum oral antiviral agent with activity against SARS-CoV-2. Antimicrobial Agents and Chemotherapy. 2021 Mar 1;65(5):e02428-20.
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- Agostini ML, Pruijssers AJ, Chappell JD, et al. Small-molecule antiviral β-d-N4-Hydroxycytidine inhibits a proofreading-intact coronavirus with a high genetic barrier to resistance. Journal of Virology. 2019 Nov 26;93(24):e01348-19.
- Merck. Merck Canada entreprend des démarches auprès de Santé Canada en vue de l’examen continu du molnupiravir, un agent thérapeutique oral expérimental pour le traitement de la COVID-19. Communiqué de presse. 13 août 2021.
- Merck. Merck and Ridgeback announce initiation of a rolling review by the European Medicines Agency for molnupiravir, an investigational oral antiviral medicine, for the treatment of COVID-19 in adults. Communiqué de presse. 25 octobre 2021.
- Austin D. Why do placebos work? Scientists identify key brain pathway. Science. 27 October 2021
- Merck and Ridgeback Biotherapeutics Provide Update on Results from MOVe-OUT Study of Molnupiravir, an Investigational Oral Antiviral Medicine, in At Risk Adults With Mild-to-Moderate COVID-19. Communiqué de presse. 26 novembre 2021.