Un essai clinique contourne le traitement d’induction par voie orale par Cabenuva

Lorsque l’essai clinique des formulations à longue durée d’action du cabotégravir et de la rilpivirine a débuté en 2014, l’équipe de recherche a commencé par donner des versions orales de ces médicaments aux participant·e·s pour une période minimale de 20 semaines. Cette phase d’induction relativement longue avait pour but de permettre à l’équipe d’en savoir plus sur la tolérance des participant·e·s au traitement oral, notamment en ce qui avait trait au cabotégravir. À l’époque en question, ce dernier était un médicament relativement nouveau, alors que la rilpivirine était déjà utilisée depuis huit ans et que les données à son sujet étaient beaucoup plus nombreuses. Depuis cet essai en 2014, des formulations orales et à longue durée d’action du cabotégravir en association avec la rilpivirine ont été mises à l’épreuve chez au moins 1 500 personnes séropositives. Ces médicaments se sont généralement révélés sûrs et efficaces. On appelle Cabenuva l’association des formulations à longue durée d’action de ces deux médicaments, et ce dernier est approuvé au Canada et dans d’autres pays à revenu élevé.

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Grâce à l’expérience acquise lors des essais cliniques récents de Cabenuva, la phase d’induction orale a été écourtée à quatre semaines à la suite de l’homologation du médicament.

Comme Cabenuva est bien toléré et n’a été associé à aucun effet secondaire dangereux, nombre de scientifiques ont remis en question la nécessité de la phase d’induction orale. Le fabricant, ViiV Healthcare, a lancé des essais cliniques afin d’explorer les conséquences éventuelles de l’élimination du traitement d’induction par voie orale.

Pour un essai clinique du nom de Flair qui se poursuit, une équipe de recherche a voulu recruter des volontaires qui n’avaient jamais suivi de traitement anti-VIH (TAR) auparavant. L’équipe leur a donné des formulations orales de l’association dolutégravir + abacavir + 3TC pendant 20 semaines consécutives. Ensuite, les participant·e·s dont la charge virale était supprimée (moins de 50 copies/ml) ont été réparti·e·s au hasard dans les deux groupes suivants :

  • administration d’injections intramusculaires de cabotégravir + rilpivirine toutes les quatre semaines
  • continuation du traitement oral

Après 96 semaines, les participant·e·s qui recevaient le traitement oral avaient l’option de changer ce dernier pour un traitement injectable ou de se retirer de l’étude.

Ensuite, les personnes qui ont choisi de recevoir le traitement injectable avaient le choix entre les deux options suivantes :

  • phase d’induction de l’association cabotégravir + rilpivirine par voie orale (prise de comprimés pendant quatre semaines)
  • après avoir consulté et obtenu l’accord d’un·e médecin de l’étude, les participant·e·s pouvaient contourner la phase d’induction et passer directement aux injections intramusculaires de cabotégravir + rilpivirine toutes les quatre semaines (l’équipe a qualifié cette option de « directement au traitement injectable »)

La vaste majorité des participant·e·s (92 %; 232 personnes sur 253) qui avaient suivi un TAR oral pendant au moins 96 semaines ont choisi de commencer ensuite un traitement injectable; les autres personnes se sont retirées de l’étude.

Les personnes qui ont opté pour le traitement injectable ont choisi les interventions particulières suivantes dans les proportions indiquées :

  • 52 % (121 personnes) ont choisi une phase d’induction orale de quatre semaines
  • 48 % (111 personnes) ont choisi l’option « directement au traitement injectable » utilisant les formulations à longue durée d’action

L’équipe de recherche a constaté que Cabenuva était sans danger, que les participant·e·s aient choisi une phase d’induction orale ou pas.

L’évaluation des échantillons de sang des personnes recevant le traitement injectable a révélé que les concentrations de cabotégravir et de rilpivirine étaient semblables, que les participant·e·s aient suivi précédemment un traitement d’induction oral ou pas.

Ces résultats favorables ont incité l’agence de réglementation de l’Union européenne à déclarer facultative la phase d’induction orale (cabotégravir + rilpivirine sous forme de comprimés). Il n’empêche que l’accès au traitement injectable est encore limité aux personnes dont le VIH a d’abord été supprimé par un traitement oral. Cependant, dans l’Union européenne, on a maintenant l’option de laisser tomber la transition entre un traitement par cabotégravir et rilpivirine sous forme de comprimés et l’amorce d’un traitement injectable utilisant des formulations à longue durée d’action de ces médicaments.

À retenir

Il importe de souligner que les personnes inscrites à l’essai Flair suivaient initialement un traitement oral comportant le dolutégravir (en association avec d’autres médicaments oraux). Comme le dolutégravir a une forme (ou structure) semblable à celle du cabotégravir, il n’est pas surprenant que ce dernier ait été bien toléré par ces gens. Il n’est pas clair si les résultats de Flair auraient été différents si les personnes se faisant injecter directement des formulations à longue durée d’action du cabotégravir et de la rilpivirine avaient reçu des médicaments oraux différents dans un premier temps. Est-ce que les effets secondaires auraient été minimes chez ces personnes? Des essais cliniques sont prévus ou en cours pour explorer cette question et confirmer l’innocuité de l’abandon de la phase d’induction orale auprès d’un plus grand nombre de personnes.

Détails de l’étude

L’essai Flair s’est déroulé dans les pays suivants :

  • Afrique du Sud
  • Allemagne
  • Canada
  • Espagne
  • États-Unis
  • France
  • Italie
  • Japon
  • Pays-Bas
  • Royaume-Uni
  • Russie

Les participant·e·s avaient le profil moyen suivant :

  • âge : 37 ans; 14 % avaient 50 ans ou plus
  • 82 % d’hommes, 12 % de femmes
  • principaux groupes ethnoraciaux : Blanc·he·s – 74 %; Noir·e·s – 19 %
  • compte de CD4+ : 735 cellules/mm3

Résultats

Comme nous l’avons mentionné plus haut, les personnes qui avaient suivi un traitement oral pendant au moins 96 semaines ont choisi subséquemment une des interventions suivantes :

  • 52 % (121 personnes) ont choisi une phase d’induction orale de quatre semaines, suivie d’injections régulières des formulations à longue durée d’action
  • 48 % (111 personnes) ont décidé de commencer directement à se faire injecter les formulations à longue durée d’action

Vingt-quatre semaines après le début des interventions ci-dessus, les participant·e·s avaient une charge virale indétectable dans les proportions suivantes :

  • phase d’induction par voie orale suivie du traitement injectable : 93 %
  • directement au traitement injectable : 99 %

La proportion de personnes ayant atteint la suppression virale était plus faible dans le groupe ayant choisi la phase d’induction orale parce que plus de personnes ont quitté ce groupe (et l’étude), et l’on n’avait pas de données à leur sujet. Les raisons pour ces abandons étaient les suivantes :

  • douleur aux sites d’injection : une personne
  • prise de poids excessive (8 kg) : une personne

Ces abandons étaient attribuables aux médicaments à l’étude. Cinq autres personnes ont cependant quitté le groupe affecté au traitement d’induction par voie orale, et par conséquent l’étude, pour des raisons non liées aux médicaments, que voici :

  • nature embêtante des déplacements à la clinique de l’étude
  • obligation à prendre un médicament non autorisé durant l’étude
  • déménagement
  • difficulté à suivre les procédures de l’étude
  • grossesse

Parmi les personnes qui avaient commencé un traitement à longue durée d’action tôt dans le cours de l’étude, 80 % avaient une charge virale indétectable après 126 semaines de Cabenuva. Un échec virologique a fini par se produire chez quatre personnes sur 283 (2 %), dans tous les cas avant la 48e semaine du traitement injectable. Huit autres personnes ont quitté l’étude à cause d’un « manque d’efficacité », mais aucune explication n’a été donnée à cet égard. Notons que ces cas étaient considérés comme différents des échecs virologiques.

Si d’autres personnes dans ce groupe n’avaient pas de charge virale détectable (ni d’échantillons de sang à analyser à la fin de l’étude), c’est que l’équipe n’avait pas de données à leur sujet. Cette absence de données était attribuable au départ prématuré de certaines personnes, dont la plupart à cause d’effets indésirables (dont certains sont expliqués plus loin), mais certaines autres pour des raisons non spécifiées que l’équipe a qualifiées simplement de « autres raisons ».

Chez une personne, l’échec virologique s’est produit après la 48e semaine. Ce participant avait le sous-type A6 du VIH. Ce dernier est relativement courant dans les pays de l’ex-Union soviétique. Comme nous l’avons mentionné plus tôt dans ce numéro de TraitementActualités, le sous-type A6 est associé à un risque accru d’échec virologique chez les personnes recevant Cabenuva. L’homme en question n’avait pas acquis de résistance au cabotégravir ou à la rilpivirine avant le début de l’étude. Au moment où l’effet de Cabenuva commençait à diminuer, sa charge virale était de 887 copies/ml, et un test de sang effectué peu après a révélé qu’elle s’était élevée à 1 112 copies/ml. Des analyses de sang effectuées pendant que la charge virale était détectable ont révélé que le VIH dont l’homme était infecté avait acquis une très forte résistance au cabotégravir et à la rilpivirine. Cette résistance s’est produite malgré les concentrations relativement élevées qu’il avait des deux médicaments dans le sang.

Les personnes dont le VIH a acquis une résistance au traitement injectable durant l’étude ont pu remplacer ce dernier par une association de médicaments (oraux) différente qui a fini par supprimer de nouveau leur charge virale.

Effets indésirables

Les effets indésirables courants du traitement injectable incluaient les suivants :

  • douleur aux sites d’injection : comme lors des études précédentes sur Cabenuva, cette douleur était temporaire et généralement d’intensité légère ou modérée et se résorbait après quelques jours chez la vaste majorité

Les réactions aux sites d’injection se produisaient plus fréquemment chez les personnes qui avaient choisi de procéder « directement au traitement injectable ». À titre d’exemple, notons que les taux de réactions aux sites d’injection étaient les suivants après la première injection : 

  • directement au traitement injectable : 71 %
  • traitement d’induction par voie orale : 56 %

La sensation désagréable, la douleur et l’enflure associées aux réactions aux sites d’injection étaient semblables, que les participant·e·s aient suivi le traitement d’induction par voie orale ou pas.

Au cours de l’étude, les participant·e·s ont signalé une baisse de l’intensité des réactions aux sites d’injection (principalement une réduction de la douleur), et ce, indépendamment du fait d’avoir suivi un traitement d’induction par voie orale ou pas.

Autres effets indésirables

Chez quatre personnes, les taux d’enzymes hépatiques ont augmenté au cours de l’étude. Ce problème s’est résolu sans traitement chez trois d’entre elles. En ce qui concerne la quatrième, l’équipe de recherche a décidé d’interrompre ses injections de Cabenuva pendant qu’elle investiguait la cause de son état. L’équipe a diagnostiqué subséquemment une inflammation du foie causée par la syphilis. Un traitement à la pénicilline a restauré les taux d’enzymes hépatiques normaux du patient, et il a recommencé son traitement par Cabenuva.

Chez le groupe qui a procédé directement au traitement injectable, un seul participant s’est retiré prématurément de l’étude à cause d’un effet indésirable grave, soit un cas de lymphome hodgkinien. Le médecin responsable de l’étude ne pouvait écarter la possibilité que Cabenuva ait contribué à ce problème. Les commanditaires de l’étude, les compagnies pharmaceutiques ViiV Healthcare et Janssen, contestent toutefois tout lien causal entre les deux. Il importe de noter à cet égard que, depuis 1996, année de l’introduction des associations de traitements puissants contre le VIH, il n’y a jamais eu de preuve que le TAR causait le cancer, et ce, de quelque façon que ce soit. Notons toutefois que des recherches antérieures ont trouvé un lien entre le VIH lui-même (ainsi que le virus herpétique Epstein-Barr) et une augmentation du risque de lymphome.        

Personne n’a eu de réaction d’hypersensibilité aux médicaments dans cette étude.

À l’avenir

Certain·e·s patient·e·s et leurs médecins pourraient trouver bien pratique l’idée de contourner la phase d’induction orale avant de commencer à utiliser Cabenuva. D’autres pourraient cependant considérer la phase d’induction de quatre semaines comme une étape rassurante avant de passer au traitement injectable.

Dans l’Union européenne, la phase d’induction orale est maintenant facultative. Les agences de réglementation de l’Amérique du Nord examinent actuellement les données de l’essai Flair, notamment en ce qui concerne les effets indésirables survenus avec ou sans une phase d’induction orale, et il est possible qu’elles décident de rendre celle-ci facultative pour certaines personnes aussi.

D’autres essais cliniques se poursuivent pour évaluer les conséquences éventuelles de l’élimination de la phase d’induction orale par Cabenuva. Espérons que les essais futurs feront preuve de plus de diversité quant au recrutement des participant·e·s.

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCES :

  1. Orkin C, Morell EB, Tan DHS et al. Initiation of long-acting cabotegravir plus rilpivirine as direct-to-injection or with an oral lead-in in adults with HIV-1 infection: week 124 results of the open-label phase 3 Flair study. Lancet HIV. 2021;8:e668-78.
  2. Llibre JM, Sax PE. Reassessing oral lead-in for injectable long-acting HIV therapy. Lancet HIV. 2021;8: e660-1.
  3. Isaguliants M, Bayurova E, Avdoshina D et al. Oncogenic Effects of HIV-1 Proteins, Mechanisms Behind. Cancers (Basel). 2021 Jan 15;13(2):305.
  4. Giagulli C, D’Ursi P, He W et al. A single amino acid substitution confers B-cell clonogenic activity to the HIV-1 matrix protein p17. Scientific Reports. 2017 Jul 26;7(1):6555. 
  5. Carroll VA, Lafferty MK, Marchionni L et al. Expression of HIV-1 matrix protein p17 and association with B-cell lymphoma in HIV-1 transgenic mice. Proceedings of the National Academy of Sciences USA. 2016 Nov 15;113(46):13168-13173.