Une équipe albertaine mène une étude sur Biktarvy et des mutations du VIH
Le problème de la résistance aux médicaments contre le VIH est préoccupant pour les médecins qui soignent des personnes séropositives, surtout si celles-ci suivent un traitement (TAR) depuis des décennies. Au début de la pandémie, le traitement du VIH consistait typiquement en un seul médicament utilisé en monothérapie. Au début des années 1990, on a commencé à utiliser deux médicaments. Les médicaments d’usage courant à l’époque étaient des analogues nucléosidiques. Utilisés seuls ou même en association avec d’autres analogues nucléosidiques, les médicaments de cette classe étaient incapables d’inhiber longtemps le VIH. Par conséquent, certaines personnes présentaient des souches virales qui résistaient partiellement ou intégralement à d’autres médicaments anti-VIH (habituellement d’autres analogues nucléosidiques). Ce n’est qu’en 1996 où les schémas thérapeutiques sont devenus plus efficaces grâce à l’ajout d’autres classes de médicaments, notamment des inhibiteurs de la protéase et des analogues non nucléosidiques. De nos jours, les schémas thérapeutiques utilisés contre le VIH sont beaucoup plus costauds que ceux utilisés à la fin des années 1990 ou au début des années 2000. La puissance de ces traitements est d’ordinaire attribuable à la présence d’un inhibiteur de l’intégrase. Cette classe de médicaments inclut le bictégravir (Biktarvy), le dolutégravir (Tivicay et ingrédient de Dovato, de Juluca et de Triumeq) et le raltégravir (Isentress).
Retour aux analogues nucléosidiques
Voici quelques exemples d’analogues nucléosidiques utilisés de nos jours :
- 3TC
- abacavir
- FTC
- ténofovir; ce médicament existe en deux versions : le ténofovir DF et le ténofovir alafénamide (TAF)
Certains analogues nucléosidiques sont associés dans un seul comprimé (il s’agit de coformulations) :
- ténofovir DF + FTC : vendu sous le nom de Truvada et disponible également en versions génériques
- TAF + FTC : vendu sous le nom de Descovy
Il importe de rappeler que les analogues nucléosidiques ne suffisent pas à inhiber le VIH lorsqu’ils sont utilisés seuls. Pour cette raison, certains analogues nucléosidiques sont offerts sous forme de coformulations en association avec d’autres médicaments plus puissants, notamment des inhibiteurs de l’intégrase ou des analogues non nucléosidiques (telle la doravirine ou la rilpivirine), afin de créer un schéma thérapeutique complet dans un seul comprimé. En voici quelques exemples :
- bictégravir + TAF + FTC : vendu sous le nom de Biktarvy
- dolutégravir + 3TC : vendu sous le nom de Dovato
- dolutégravir + 3TC + abacavir : vendu sous le nom de Triumeq
- doravirine + ténofovir DF + 3TC : vendu sous le nom de Delstrigo
- rilpivirine + TAF + FTC : vendu sous le nom d’Odefsey
Étude albertaine
Aux fins d’une étude visant à déterminer la puissance de Biktarvy, une équipe de recherche de l’Université de l’Alberta à Edmonton a décortiqué les dossiers médicaux de personnes séropositives à la recherche de données se rapportant à des personnes recevant Biktarvy. L’équipe a trouvé 779 dossiers. Cinquante des personnes en question avaient passé des tests de pharmacorésistance à un moment donné dans le passé (avant de commencer à prendre Biktarvy), alors qu’elles avaient une charge virale détectable.
L’équipe de recherche albertaine s’est concentrée sur les tests de résistance qui permettaient de déceler dans le matériel génétique du VIH des mutations, ou changements, associées à la résistance aux analogues nucléosidiques. Aucune résistance du VIH aux inhibiteurs de l’intégrase n’a été détectée chez les participant·e·s (rappelons que Biktarvy contient l’inhibiteur de l’intégrase bictégravir). Les 50 participant·e·s présentaient cependant au moins une mutation associée à la résistance aux analogues nucléosidiques. Vingt-neuf personnes avaient une seule mutation de ce genre, alors que les 21 autres en avaient deux ou davantage. Malgré ce résultat, 48 personnes sur 50 avaient une charge virale inférieure à 50 copies/ml après une période moyenne de 18 mois suivant l’amorce du traitement par Biktarvy.
Cette étude albertaine confirme l’utilité des trithérapies fondées sur un inhibiteur de l’intégrase, dans ce cas le bictégravir.
Détails de l’étude
L’équipe de recherche a recueilli des données se rapportant à la santé de personnes séropositives entre mai 2020 et janvier 2022. Des tests de la charge virale avaient été effectués à un moment dans le passé où les participant·e·s avaient une charge virale détectable. Dans la plupart des cas, cela avait eu lieu avant que les participant·e·s aient changé de schéma thérapeutique, et bien avant le début du traitement subséquent par Biktarvy.
Avant de commencer à prendre Biktarvy, les participant·e·s avaient le profil moyen suivant :
- âge : 54 ans
- 64 % d’hommes, 36 % de femmes
- compte de CD4+ : 609 cellules/mm3
Résultats
Peu avant de commencer à prendre Biktarvy, quatre personnes avaient une charge virale détectable, comme suit :
- Deux personnes n’ayant jamais suivi de TAR dont le VIH était déjà résistant à certains analogues nucléosidiques lorsqu’elles l’ont contracté; l’une d’entre elles avait une charge virale de presque 1 800 copies/ml, alors qu’elle s’élevait à 62 000 copies/ml chez l’autre.
- Deux personnes qui avaient suivi un TAR auparavant; l’une d’entre elles a décidé d’arrêter son TAR deux mois avant de commencer à prendre Biktarvy. Elle avait une charge virale de 68 000 copies/ml, et son VIH avait subi des mutations associées à la résistance à certains analogues nucléosidiques et inhibiteurs de la protéase. L’autre personne avait une charge virale de presque 1 000 copies/ml; dans ce cas, les médecins soupçonnaient des problèmes d’observance thérapeutique.
Avant que les 50 personnes aient commencé à prendre Biktarvy, le schéma thérapeutique le plus utilisé était fondé sur un inhibiteur de la protéase potentialisé.
Répartition des mutations associées à la résistance aux analogues nucléosidiques
Vingt-neuf participant·e·s avaient une seule mutation associée à la résistance aux analogues nucléosidiques. Les 21 autres personnes avaient deux mutations de ce genre ou plus, dans les proportions suivantes :
- deux mutations : neuf personnes
- trois mutations : trois personnes
- quatre mutations : quatre personnes
- cinq mutations : deux personnes
- six mutations : une personne
- sept mutations : une personne
- huit mutations : une personne
Décès
Deux personnes sont décédées durant la période de l’étude, soit 10 mois après l’amorce du traitement par Biktarvy dans les deux cas. Une personne est décédée d’un traumatisme non spécifié, et l’autre a succombé aux complications de tumeurs propagées à partir du foie. Ces décès n’avaient pas de lien avec l’usage de Biktarvy.
Peu importe leurs antécédents de traitement, la vaste majorité des participant·e·s (48 sur 50) avaient une charge virale inférieure à 50 copies/ml 18 mois en moyenne après le début du traitement par Biktarvy. Une personne avait une charge virale entre 50 copies et 100 copies/ml. L’autre personne ne prenait pas Biktarvy comme il se devait.
Note technique
L’équipe de recherche a constaté qu’une mutation particulière appelée M184V était courante. Cette mutation est associée à la résistance aux analogues nucléosidiques 3TC et FTC, ainsi qu’à une résistance partielle à l’analogue nucléosidique abacavir.
À retenir
Bien que cette étude soit fondée sur l’analyse de données recueillies dans le passé à une fin différente, ses résultats correspondent à ceux d’autres études d’envergure.
D’affirmer l’équipe de recherche : « Nous avions un nombre limité de patient·e·s présentant au moins trois [mutations associées à la résistance aux analogues nucléosidiques], ce qui pourrait être dû à la faible prévalence de tels cas ou encore à des biais de sélection se rapportant au choix des patient·e·s ». Autrement dit, il est possible que des médecins dans le nord de l’Alberta hésitent à traiter ce genre de patient·e·s avec Biktarvy seulement, préférant à ce dernier des schémas plus complexes associant plusieurs comprimés.
L’évaluation d’autres études pertinentes a amené l’équipe de recherche à affirmer que, dans bien des cas, les mutations conférant la résistance aux analogues nucléosidiques « ne semblent pas perturber la réponse virologique aux trithérapies associant deux [analogues nucléosidiques] à un inhibiteur de la protéase potentialisé, au dolutégravir ou au bictégravir… pourvu qu’aucune résistance à l’inhibiteur de la protéase, au dolutégravir ou au bictégravir ne soit présente. Notre étude fournit des preuves additionnelles que cela est vrai dans le cas de [Biktarvy] spécifiquement ».
—Sean R. Hosein
RÉFÉRENCES :
- Shafran SD, Hughes CA. Bictegravir/emtricitabine/tenofovir alafenamide in patients with genotypic NRTI resistance. HIV Medicine. 2022; sous presse.
- Wensing AM, Calvez V, Ceccherini-Silberstein F et al. 2022 Update of the Drug Resistance Mutations in HIV-1. Topics in Antiviral Medicine. 2022;30(4). Disponible à l’adresse : https://www.iasusa.org/resources/hiv-drug-resistance-mutations/