Le traitement à longue durée d’action du VIH chez des personnes éprouvant des problèmes d’observance thérapeutique

Lorsque les traitements efficaces contre le VIH (TAR) ont vu le jour, ils consistaient d’abord en la prise d’une poignée de comprimés au moins deux fois par jour, et il fallait respecter des consignes relativement à la nourriture et à l’eau dans bien des cas. Même si ces traitements de la première heure sauvaient des vies, ils provoquaient de nombreux effets secondaires. Il y a 18 ans environ, des compagnies pharmaceutiques ont mis au point le premier schéma thérapeutique renfermé dans un seul comprimé vendu sous le nom d’Atripla. En plus de contenir un schéma complet dans un seul comprimé, il suffisait de prendre Atripla une seule fois par jour. D’autres comprimés contenant des schémas thérapeutiques uniquotidiens complets ont été créés subséquemment. Par conséquent, pour de nombreuses personnes vivant avec le VIH, le traitement consiste désormais en une seule prise de médicament par jour. Cette simplification du traitement a entraîné des améliorations importantes sur le plan de l’observance thérapeutique pour de nombreuses personnes.

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Pour être efficace, le TAR doit être pris tous les jours en suivant les consignes à la lettre. Selon une équipe de recherche de San Francisco, la prise quotidienne de médicaments est difficile pour certaines personnes pour les raisons suivantes, entre autres :

  • À long terme, la nécessité de prendre des médicaments peut causer de la frustration chez certaines personnes.
  • L’obligation de prendre des médicaments tous les jours rappelle aux gens qu’ils ont le VIH.
  • Si d’autres personnes sont témoins de la prise de médicaments, cela peut dévoiler involontairement le statut VIH de la personne séropositive.
  • Certaines personnes ne disposent pas d’endroit sûr pour entreposer les médicaments.

Premier traitement à longue durée d’action

En 2020, Santé Canada a approuvé une formulation de TAR à longue durée d’action. Elle s’appelle Cabenuva et consiste en deux médicaments : le cabotégravir et la rilpivirine. Cabenuva est conçu pour remplacer un schéma thérapeutique existant chez des personnes dont la charge virale est indétectable. Administré par un·e professionnel·le de la santé (d’ordinaire un·e infimier·ère), Cabenuva est injecté profondément dans chaque fesse (deux injections) une fois par mois pendant deux mois consécutifs. Après cette période initiale, les injections peuvent se faire aux deux mois ou une fois par mois encore.

Cabenuva a le potentiel de résoudre de nombreux problèmes éprouvés par des personnes séropositives en ce qui concerne la prise quotidienne de médicaments. Soulignons que Cabenuva est censé être utilisé par des personnes séropositives ne présentant aucune résistance à ses effets.

Cabenuva ne peut être utilisé pour traiter le virus de l’hépatite B (VHB); or, rappelons que certaines personnes sont co-infectées par le VIH et le VHB. Ces personnes doivent prendre un comprimé tous les jours pour assurer l’inhibition continue du VHB. De façon générale, les médecins utilisent un des médicaments suivants à cette fin :

  • ténofovir DF + FTC : vendu sous le nom de Truvada, ainsi qu’en formulations génériques
  • ténofovir alafénamide (TAF) + FTC : vendu sous le nom de Descovy

Dans le monde de tous les jours

Cabenuva a fait l’objet d’essais cliniques menés auprès de plus de 1 000 personnes séropositives. À l’instar de nombreuses autres études, les essais cliniques de Cabenuva employaient des critères de sélection rigoureux. Les personnes choisies n’éprouvaient pas de problèmes susceptibles de compromettre la prise de comprimés quotidienne. De plus, elles consentaient à subir les injections intramusculaires profondes nécessaires et étaient en mesure de respecter leurs rendez-vous en clinique, surtout pour recevoir des injections à répétition, ainsi que leurs rendez-vous au laboratoire pour passer des tests de sang.

Une équipe de recherche du San Francisco General Hospital a mené un projet de démonstration de faible envergure pour explorer l’effet de Cabenuva chez des personnes menant une vie complexe et éprouvant des problèmes d’observance thérapeutique. Elle a inscrit 39 personnes séropositives dont les problèmes d’observance étaient attribuables à une maladie mentale, à l’utilisation de stimulants et/ou à une situation de logement instable.

L’équipe a créé un « programme de prestation de soins [liés à Cabenuva] dans une clinique VIH universitaire servant des [patient·e·s] urbain·e·s présentant des niveaux élevés de vulnérabilité psychosociale et économique ». Certaines des personnes en question avaient une charge virale détectable avant de commencer à recevoir Cabenuva. Cependant, au cours d’une année, la majorité des 39 patient·e·s a atteint et maintenu une charge virale inhibée sous l’effet de Cabenuva.

Les résultats de cette étude sont prometteurs et devraient inciter d’autres équipes à mener des études de démonstration de plus grande envergure et de plus longue durée auprès de populations vulnérables. Il sera important que ces études soient financées suffisamment pour fournir la gamme complète de services nécessaires à ces populations.

Détails de l’étude

L’équipe de recherche a créé un programme pour soutenir les patient·e·s et leurs prestataires de soins et promouvoir l’observance du traitement reposant sur des injections de Cabenuva.

L’équipe n’a pas inscrit de patient·e·s présentant des mutations dans le matériel génétique du VIH qui permettraient au virus de résister à l’effet de la rilpivirine (ce médicament est un analogue non nucléosidique et l’un des ingrédients médicinaux de Cabenuva). Les personnes ne présentant aucune mutation, ou une seule, conférant la résistance aux inhibiteurs de l’intégrase (notons que l’autre ingrédient médicinal de Cabenuva, le cabotégravir, est un inhibiteur de l’intégrase) étaient autorisées à participer au programme. Cette décision était fondée sur le fait que les inhibiteurs de l’intégrase utilisés de nos jours sont tellement puissants que le VIH doit d’ordinaire accumuler plusieurs mutations avant qu’il puisse leur résister complètement.

Les personnes co-infectées par le VHB qui acceptaient de suivre un traitement contre ce dernier pouvaient être envisagées comme candidat·e·s au programme.

Les participant·e·s potentiel·le·s devaient consulter un·e pharmacien·ne de l’équipe pour faire évaluer leurs résultats aux analyses de laboratoire, notamment pour vérifier que leur VIH n’était pas résistant aux médicaments de Cabenuva. Le ou la pharmacien·ne passait également en revue les autres médicaments utilisés par les patient·e·s pour s’assurer du faible risque d’interactions défavorables avec les injections de Cabenuva. Le statut VHB des patient·e·s était vérifié en même temps, et l’amorce ou la continuation d’un traitement contre ce virus était recommandée si cela était nécessaire.

Directement aux injections

Lorsque Cabenuva a été approuvé en 2020, les patient·e·s devaient prendre d’abord des formulations orales du cabotégravir et de la rilpivirine (ingrédients de Cabenuva) pendant plusieurs semaines. Une fois cette période terminée et l’absence de problèmes confirmée, les patient·e·s pouvaient remplacer les formulations orales par la formulation injectable.

Depuis plusieurs années, ViiV Healthcare, créateur de Cabenuva, met à l’épreuve une approche différente appelée « directement aux injections ». En vertu de cette approche, des personnes dont la charge virale était supprimée sous l’effet de médicaments oraux (autres que le cabotégravir ou la rilpivirine) pouvaient remplacer directement leur schéma thérapeutique oral par des injections de Cabenuva. Cette approche directe s’est révélée un succès. Ainsi, les autorités de réglementation du Canada, des États-Unis et de l’Union européenne ont approuvé cette option pour les patient·e·s admissibles.

Le programme lancé à San Francisco a privilégié l’approche « directement aux injections ». L’équipe de recherche croyait cette approche nécessaire parce qu’elle redoutait la possibilité de problèmes d’observance liés au traitement oral.

L’équipe de recherche a créé des plans personnalisés pour faciliter le retour des patient·e·s à la clinique pour recevoir leurs injections futures de Cabenuva. Les plans incluaient les éléments suivants, entre autres :

  • Déterminer quels soutiens communautaires, tels les gestionnaires de cas et les services infirmiers, étaient disponibles pour les personnes qui souhaitent recevoir ces services à leur domicile ou pour les personnes en situation d’itinérance, ainsi que des sites de réduction des méfaits.
  • Offrir de modestes incitatifs financiers pour encourager les retours à la clinique ou au laboratoire.

Toutes les deux semaines, une équipe multidisciplinaire composée d’un·e médecin, d’un·e infirmier·ère et d’un·e pharmacien·ne se réunissait pour évaluer le progrès des patient·e·s inscrit·e·s au programme.

Durant la semaine suivant la première injection, le personnel de la pharmacie téléphonait aux patient·e·s pour faire le point sur leur santé et les effets secondaires éventuels qui se produisaient. Par la suite, le personnel communiquait des rappels concernant les prochains rendez-vous par texto ou téléphone.

Les personnes qui avaient une charge virale détectable lors de leur admission à l’étude passaient des tests de la charge virale toutes les quatre semaines jusqu’à l’atteinte d’une charge virale indétectable (on parle alors d’inhibition virale). Aux fins de cette étude, toute charge virale inférieure à 30 copies/ml était considérée comme indétectable. Dans les cas où la charge virale était encore détectable, des tests de résistance étaient effectués à la suite de la deuxième consultation en clinique.

Bien que les prestataires de soins aient dirigé 132 personnes vers le programme durant la première année, seulement 51 d’entre elles ont reçu des injections de Cabenuva. Dans de nombreux cas, ce faible nombre de patient·e·s était attribuable à une procédure d’aiguillage incomplète, ou encore les patient·e·s (ou leurs prestataires de soins) décidaient de reporter l’amorce du traitement par Cabenuva. Certaines des 51 personnes n’avaient reçu que deux injections de Cabenuva au moment de la rédaction du rapport de l’étude. Cela laissait à l’équipe de recherche des données se rapportant à 39 personnes qui avaient reçu plusieurs injections de Cabenuva. L’équipe a décidé de se concentrer sur ces 39 personnes parce qu’elles étaient en mesure de décrire plus complètement leur expérience d’injections multiples de Cabenuva.

Les personnes qui ont commencé à recevoir Cabenuva avaient le profil moyen suivant :

  • âge : 46 ans
  • 35 hommes cisgenres, trois femmes cisgenres, et une femme transgenre
  • principaux groupes ethnoraciaux : Blanc·he·s : 39 %; Hispaniques – 26 %; Noir·e·s : 21 %
  • 40 % étaient en situation de logement instable ou d’itinérance
  • 54 % utilisaient activement des stimulants
  • compte de CD4+ : chez les personnes ayant une charge virale détectable, le compte de CD4+ était de 99 cellules/mm3; chez les personnes ayant atteint la suppression virale, le compte de CD4+ était de 732 cellules/mm3
  • cinq personnes prenaient également des médicaments à longue durée d’action n’ayant aucun lien avec le VIH, notamment des antipsychotiques (quatre personnes) et la naltrexone (une personne)

Avant d’être remplacés par Cabenuva, les médicaments contre le VIH incluaient les suivants (par ordre décroissant de la fréquence d’utilisation) :

  • Biktarvy : bictégravir + TAF + FTC
  • darunavir + cobicistat + TAF + FTC
  • Triumeq : dolutégravir + 3TC + abacavir
  • Delstrigo : doravirine + TDF + 3TC

Résultats

Sur les 24 personnes ayant commencé le programme avec une charge virale indétectable (avant de recevoir Cabenuva), 19 (presque 80 %) ont maintenu leur charge virale indétectable après six injections en moyenne.

En tout, 15 personnes ont commencé le programme avec une charge virale détectable (quelque 50 000 copies/ml) et un très faible compte de CD4+ (près de 99 cellules/mm3). Dans ce groupe, 12 personnes sur 15 (80 %) ont atteint et maintenu une charge virale indétectable après six injections en moyenne. Chez les trois personnes qui n’ont pas atteint cet objectif, la charge virale a chuté par un facteur de cent 22 jours après l’amorce du traitement par Cabenuva. La collecte de données auprès de ces personnes se poursuit, et l’équipe de recherche s’attend à voir leur charge virale devenir indétectable avec le temps.

Effets secondaires

Les réactions aux points d’injection ont généralement été légères ou modérées. Aucune personne n’a cessé de recevoir Cabenuva à cause de telles réactions. Une personne a présenté une infection bactérienne à un point d’injection. Cette personne s’en est remise sous l’effet d’antibiotiques oraux.

Respect des rendez-vous en clinique

Pour toute personne recevant Cabenuva, il est important de retourner à sa clinique pour recevoir régulièrement ses injections afin que les taux de cabotégravir et de rilpivirine restent élevés dans le sang et qu’ils continuent à inhiber le VIH. Selon ViiV Healthcare, « la date de la première injection d’initiation devient désormais la date cible du traitement. La dose peut être donnée jusqu’à sept jours avant ou sept jours après cette date cible ».

Il existe alors une période fenêtre s’écoulant de sept jours avant le rendez-vous fixé pour les injections de Cabenuva jusqu’à sept jours après, et les injections doivent s’effectuer durant cette période. Sinon, les concentrations des médicaments risquent de chuter jusqu’à un niveau inacceptable. Si cette période fenêtre est ratée (on parle de rendez-vous en retard), les personnes en question doivent substituer des formulations orales pour assurer le maintien de concentrations thérapeutiques de leurs médicaments. Après quelques semaines de traitement oral, les injections peuvent recommencer. Il reste que les rendez-vous manqués à répétition pourraient signaler des problèmes nécessitant l’attention des patient·e·s et de leurs prestataires de soins.

L’équipe de recherche a désigné certains jours comme des « jours d’injection » où les patient·e·s pouvaient se présenter à la clinique à l’heure qui leur convenait pour recevoir leurs injections.

Trente-quatre personnes (87 %) ont respecté l’horaire de leurs rendez-vous en clinique. Une personne a reçu une injection en retard, et deux autres en ont reçu deux en retard.

Dans deux cas de retard des injections, les patient·e·s ont dû prendre temporairement des formulations orales de Cabenuva afin d’augmenter rapidement leurs taux sanguins de cabotégravir et de rilpivirine et de minimiser le risque que le VIH acquière des résistances.

Deux autres personnes en situation d’itinérance ont reçu de l’aide de la part d’infirmier·ère·s de rue, et leurs injections de Cabenuva ont été effectuées dans un service mobile de réduction des méfaits ou une clinique communautaire. Selon l’équipe de recherche, une personne a même pu faire vérifier sa charge virale par l’équipe du service mobile de réduction des méfaits.

À retenir

La présente étude a révélé qu’il était possible de déployer efficacement un programme de traitement par Cabenuva auprès d’une population de patient·e·s éprouvant divers problèmes d’observance. L’équipe de recherche a qualifié de « frappant » le fait que des personnes ayant une charge virale détectable puissent atteindre une charge virale indétectable grâce à Cabenuva. Dans certains cas, c’était la première fois de leur vie que cela se passait.

L’équipe de recherche a collaboré avec des organismes dans la communauté (services infirmiers, cliniques, sites de réduction des méfaits) afin que les injections de Cabenuva puissent se faire en dehors de la clinique principale de l’étude si cela était nécessaire. Une telle collaboration sera essentielle à l’avenir si l’on espère élargir l’accès à Cabenuva à des personnes qui utilisent des drogues ou à des personnes éprouvant des problèmes de santé mentale ou des situations d’itinérance. Des études sur Cabenuva seront également nécessaires dans des régions rurales.

Notons que cette étude n’a pas porté sur des personnes de moins de 30 ans, et seul un faible nombre de femmes y ont participé. L’étude elle-même était de faible envergure, mais cela est souvent le cas des projets de démonstration.

Quoi qu’il en soit, les résultats de cette étude sont prometteurs et jettent les assises de projets de démonstration futurs comptant plus de participant·e·s et se déroulant sur une plus longue période. De telles études seront importantes parce que les compagnies pharmaceutiques continuent de mettre au point des formulations de TAR à longue durée d’action.

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCES :

  1. Christopoulos KA, Grochowski J, Mayorga-Munoz F et al. First demonstration project of long-acting injectable antiretroviral therapy for persons with and without detectable HIV viremia in an urban HIV clinic. Clinical Infectious Diseases. 2022 Aug 1:ciac631. 
  2. ViiV Healthcare. Vocabria/Cabenuva. Monographie de produit. 15 juin 2022.