Une étude néerlandaise sur le VIH montre que le dépistage et le traitement du cancer anal sauvent des vies
Certaines souches du virus du papillome humain (VPH) se transmettent par voie sexuelle et peuvent provoquer la croissance anormale de cellules dans les sites suivants :
- anus
- col utérin
- lèvres
- bouche ou gorge
- pénis
- vulve
Dans certains cas, les cellules anormales évoluent de manière à se transformer en états précancéreux ou en cancers.
Comme elles sont sujettes à l’infection au VPH chronique et à une certaine faiblesse immunitaire, les personnes vivant avec le VIH sont plus à risque de présenter une croissance cellulaire anormale ou un cancer liés au VPH. Il est donc nécessaire que cette population fasse l’objet de dépistages réguliers pour détecter des états précancéreux ou des cancers dans les parties du corps mentionnées ci-dessus.
Dans le cadre d’une étude menée aux Pays-Bas, une équipe de recherche a suivi l’état de santé de plus de 28 000 personnes vivant avec le VIH. L’équipe a recueilli des données de 1996 à 2020. Notons que les Pays-Bas ont commencé à élargir graduellement la portée des programmes de dépistage des états précancéreux et du cancer de l’anus en 2007. Lorsqu’un état précancéreux ou un cancer anal est détecté, les personnes atteintes sont dirigées vers un service de traitement.
Lors de son analyse la plus récente, l’équipe néerlandaise a constaté que 227 nouveaux cas de cancer anal avaient été diagnostiqués au cours de la période de son étude. Au fil du temps, les taux de cancer anal ont baissé chez un sous-groupe particulier, soit les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HARSAH), mais le risque de cancer anal est demeuré plus élevé chez ce groupe que chez les personnes séronégatives. De plus, chez les HARSAH qui passaient des tests de dépistage du cancer anal, on avait tendance à diagnostiquer le cancer dès un stade précoce, avant l’apparition et la propagation de tumeurs multiples. Des décès attribuables aux complications du cancer anal se sont produits chez 4 % des hommes ayant passé des tests de dépistage et chez 24 % des hommes non testés.
Les résultats de cette étude néerlandaise confirment l’importance des programmes de dépistage et de traitement des états précancéreux et du cancer anal pour les personnes vivant avec le VIH.
Détails de l’étude
Pour cette étude nommée Athena, l’équipe de recherche a recruté des personnes séropositives dans 28 cliniques situées un peu partout aux Pays-Bas.
À partir de décembre 2007, le dépistage du cancer anal par anuscopie à haute résolution (AHR) a graduellement été mis à la disposition des personnes vivant avec le VIH. Dans le cadre du dépistage, les cellules anormales détectées dans l’anus font l’objet de biopsies. Si un état précancéreux ou un cancer est détecté, un traitement est proposé (chirurgie, radiothérapie ou chimiothérapie). Dans cette étude, la plupart des personnes ciblées pour être testées étaient des HARSAH.
En général, un test de dépistage était offert tous les deux ans. Cependant, si des cellules anormales étaient détectées, les tests de dépistage pouvaient avoir lieu plus fréquemment. Après avoir été traitées pour un état précancéreux ou un cancer, les personnes touchées étaient réévaluées six mois plus tard pour confirmer l’efficacité du traitement.
Au cours de la période de l’étude, on a recruté 28 175 personnes séropositives appartenant aux catégories suivantes (notons qu’il s’agit ci-dessous du sexe à la naissance et de l’orientation sexuelle déclarée par les participant·e·s. Il est donc possible que la catégorie des HARSAH inclue des femmes trans ou des personnes non binaires) :
- HARSAH : 60 %
- non-HARSAH : 22 %
- femmes : 19 %
Notons que la somme des pourcentages dans cet article n’est pas toujours 100 parce que les chiffres ont été arrondis.
Pendant l’étude, 227 cas de cancer anal ont été diagnostiqués. Voici un bref profil moyen des participant·e·s en question au moment du diagnostic de cancer :
- âge : 52 ans
- temps écoulé depuis le diagnostic de VIH : 14 ans
- compte de CD4+ : 480 cellules/mm3
- compte de CD4+ le plus faible depuis toujours : 110 cellules/mm3
- 74 % avaient une charge virale indétectable (moins de 40 copies/ml dans ce cas)
- durée du TAR : 10 ans
- 13 % des participant·e·s étaient inscrit·e·s au programme de dépistage du cancer anal au moment où leur cancer a été diagnostiqué
L’analyse des tumeurs anales a révélé un carcinome épidermoïde dans la vaste majorité des cas (99 %).
Résultats
Le risque de cancer anal a baissé considérablement au fil du temps chez les HARSAH, mais pas chez les autres groupes. Cela mérite d’être souligné parce que les HARSAH en question vieillissaient et la capacité de leur système immunitaire de détecter et de détruire les cellules précancéreuses et cancéreuses se serait affaiblie lentement avec l’âge.
Pour déterminer pourquoi le risque de cancer anal a baissé chez les HARSAH relativement aux autres groupes, l’équipe de recherche a effectué d’autres analyses. Elle a constaté que, en tant que groupe, les HARSAH avaient tendance à présenter les caractéristiques suivantes :
- Ils étaient moins susceptibles de fumer au fil du temps; autrement dit, les nouveaux participants qui s’inscrivaient à l’étude avaient moins tendance à être des fumeurs, et ceux qui fumaient au début de l’étude étaient plus susceptibles d’arrêter par la suite.
- Ils étaient moins susceptibles d’avoir eu un faible compte de CD4+ et une charge virale élevée, sans doute en raison de l’amorce précoce d’un TAR.
- Ils étaient moins susceptibles d’avoir une charge virale supérieure à 1 000 copies grâce au TAR et à une bonne observance thérapeutique.
Dépistage
Quatorze pour cent de l’ensemble des participant·e·s ont passé un test de dépistage du cancer anal au moins une fois durant l’étude.
Sur les 227 personnes ayant reçu un diagnostic de cancer anal, 81 % (184 personnes) n’avaient jamais été testées; en voici la répartition :
- HARSAH : 142
- non-HARSAH : 34
- femmes : 8
Les personnes qui ont passé un test de dépistage étaient plus susceptibles de se faire diagnostiquer un cancer anal. Il ne faut toutefois pas interpréter ce résultat comme un indice que le dépistage causait le cancer. Comme les médecins cherchaient activement des cancers, ils et elles étaient plus susceptibles d’en détecter chez les personnes faisant l’objet de tests de dépistage.
Notons aussi que les tests de dépistage permettaient de découvrir des cancers anaux plus tôt dans l’évolution de la maladie, comparativement à ce qui se produisait chez les personnes non testées.
Survie
Sur les 227 personnes ayant reçu un diagnostic de cancer anal, 38 % ont fini par mourir. Dans 31 % des cas, le décès (toutes causes confondues) s’est produit dans les cinq ans suivant le diagnostic de cancer anal, comme suit :
- HARSAH : 31 %
- non-HARSAH : 38 %
- femmes : 63 %
En général, on a détecté davantage de tumeurs au moment du diagnostic de cancer anal chez les non-HARSAH que chez les HARSAH.
Lorsque l’équipe de recherche a analysé les décès survenus dans les cinq ans suivant le diagnostic, elle a constaté les liens suivants entre le dépistage et la survie :
- 4 % des personnes qui avaient été testées pour le cancer anal et qui avaient reçu un diagnostic sont décédées de complications associées au cancer anal;
- 24 % des personnes qui n’avaient pas été testées pour le cancer anal et qui avaient reçu un diagnostic sont décédées de complications associées au cancer anal.
Cette différence met en évidence l’importance du dépistage et son impact sur la survie.
À retenir
Selon l’équipe de recherche néerlandaise, les nouveaux cas de cancer anal chez les HARSAH ont atteint un sommet en 2004 puis ont baissé lentement par la suite. Il reste toutefois que le risque de cancer anal demeure relativement élevé chez cette population.
L’équipe de recherche a précisé que la baisse du risque de cancer anal chez les HARSAH était attribuable à la diminution des taux de tabagisme et à l’amorce précoce du TAR. Le fait de minimiser la période durant laquelle les gens avaient un faible compte de CD4+ et une charge virale élevée s’est révélé efficace pour réduire subséquemment le risque de cancer anal.
Les personnes inscrites au programme de dépistage du cancer anal étaient plus susceptibles d’être diagnostiquées tôt, comparativement aux personnes ne faisant pas partie du programme chez qui on a diagnostiqué un cancer anal. De plus, les personnes inscrites au programme de dépistage étaient beaucoup moins susceptibles de mourir de complications liées au cancer anal que les personnes non testées.
Cette étude néerlandaise a permis de constater un risque accru de cancer anal chez certains non-HARSAH et certaines femmes vivant avec le VIH, comparativement aux personnes séronégatives. L’équipe de recherche n’a pas attribué cette différence à une faible réponse au TAR. Selon nombre de scientifiques aux Pays-Bas, le risque accru de cancer anal chez certains non-HARSAH serait en partie attribuable à des « contacts sexuels non dévoilés avec d’autres hommes ».
À l’avenir
L’usage répandu du TAR a fait augmenter énormément l’espérance de vie. Cependant, à mesure que les personnes sous traitement vieillissent, il faut qu’elles soient suivies de près afin que tout problème de santé soit détecté et traité tôt.
Dans cette étude, le dépistage du cancer anal a permis de sauver des vies. Il est important que l’accès à un tel programme de dépistage soit offert aux personnes séropositives vivant dans d’autres pays. Et des études sont nécessaires pour déterminer quels sous-groupes de personnes vivant avec le VIH ont le plus besoin de se faire tester.
Ressources
Cancer – Gouvernement du Canada
Cancer – Gouvernement du Québec
Risque de deuxième cancer chez les personnes séropositives ayant survécu à un lymphome hodgkinien – Nouvelles CATIE
Une équipe de recherche française étudie les deuxièmes cancers touchant des personnes séropositives ayant survécu à un premier – Nouvelles CATIE
Une étude ontarienne examine les tendances en matière de cancer chez les personnes vivant avec le VIH – Nouvelles CATIE
—Sean R. Hosein
RÉFÉRENCES :
- van der Zee RP, Wit FWNM, Richel O et al. Effect of the introduction of screening for cancer precursor lesions on anal cancer incidence over time in people living with HIV: a nationwide cohort study. Lancet HIV. 2023; sous presse.
- Stier EA. How do we prevent anal cancer in people living with HIV? Lancet HIV. 2023; sous presse.