Effet à long terme du zolédronate sur la santé osseuse des hommes séropositifs
Depuis deux décennies, on a recours à une famille de médicaments appelés bisphosphonates pour améliorer la densité minérale osseuse et réduire le risque de fractures. Conçus originalement à l'intention des femmes, ces médicaments ont surtout été mis à l'épreuve auprès de celles-ci.
L'un des bisphosphonates s'appelle le zolédronate. Ce médicament peut être administré une fois par année par une perfusion intraveineuse qui dure 15 minutes. Lors d'essais cliniques menés auprès de personnes séronégatives, le zolédronate s'est montré efficace pour la prévention des fractures de la hanche et de la colonne vertébrale chez des femmes postménopausées atteintes d'ostéoporose. Le médicament peut accroître la densité minérale osseuse chez les hommes, en plus de réduire le risque de mortalité pour les personnes ayant subi une fracture de la hanche, celle-ci étant une blessure débilitante.
On est censé prendre le zolédronate une fois par année, mais des données émergentes laissent croire qu'une posologie moins fréquente pourrait être sûre, efficace et moins coûteuse.
Comme le risque d'amincissement osseux est plus élevé pour les personnes vivant avec le VIH, il est important que les bisphosphonates soient mis à l'épreuve auprès de cette population. Des chercheurs de la Nouvelle-Zélande ont donc recruté des hommes pour une étude sur le zolédronate. Ils ont trouvé que deux doses annuelles de ce médicament procuraient des bienfaits prolongés et considérables en ce qui a trait à la densité minérale osseuse.
Détails de l'étude
Les chercheurs ont recruté 43 hommes séropositifs sous multithérapie antirétrovirale qui avaient une densité minérale osseuse réduite. On a réparti les hommes au hasard pour recevoir l’une des interventions suivantes :
- 21 hommes – zolédronate 4 mg par perfusion intraveineuse de 15 minutes une fois par année pendant deux années consécutives; la dose de 4 mg de zolédronate était utilisée parce que la formulation à 5 mg qui est maintenant d'usage courant n'était pas disponible durant la période où l'étude se déroulait
- 22 hommes – zolédronate factice (placebo), donné aussi par perfusion intraveineuse une fois par année pendant deux années consécutives
Tous les participants recevaient aussi un supplément quotidien de calcium de 400 mg, ainsi que 50 000 UI de vitamine D3 une fois par mois.
On a utilisé des examens DEXA pour évaluer la densité minérale des os tous les six mois pendant les deux premières années de l'étude. Après cette période, l'étude a été prolongée et la majorité des participants ont continué d'être suivis pendant une période allant jusqu'à six ans durant laquelle les examens DEXA étaient moins fréquents.
On n'a détecté aucune dysfonction importante des organes ou glandes suivants (dysfonctions qui pourraient nuire à la santé des os) :
- reins
- foie
- thyroïde
De plus, aucun des hommes ne prenait de corticostéroïdes durant l'étude, lesquels peuvent causer l'amincissement des os.
Le profil moyen des participants au début de l'étude était le suivant :
- âge – 49 ans
- poids – 75 kg (165 livres)
- durée de la séropositivité – 8 ans
- compte de CD4+ – 550 cellules
- proportion ayant une charge virale de moins de 50 copies/ml – 80 %
- durée de la multithérapie – 2 ans
- apport quotidien total de calcium – 900 mg
Résultats – renouvellement et densité des os
Bien que les tissus osseux semblent épais et durs au toucher, ils sont en fait très dynamiques au niveau cellulaire, car des fragments minuscules d'os sont constamment réabsorbés pour être réparés. On donne à ce processus de dégradation et de réparation le nom de renouvellement des os.
Lors de l'étude en question ici, les chercheurs ont analysé des échantillons de sang pour mesurer les taux de signaux chimiques associés au renouvellement des os. Ils ont découvert un déséquilibre dans les signaux chimiques favorables à l'absorption des os chez tous les participants. Cependant, chez les participants recevant du zolédronate, les taux de renouvellement osseux ont chuté considérablement comparativement au placebo. Cette différence s'est maintenue pendant six ans.
L'impact du zolédronate sur la densité minérale osseuse était considérable et a duré six ans. Voici quelques précisions concernant la densité minérale osseuse des personnes utilisant le zolédronate comparativement au placebo et selon les différents endroits évalués :
- colonne : + 4 %
- hanche : + 2 %
- ossature entière : + 3 %
Résultats – vitamine D
Au début de l'étude, les participants avaient un taux sous-optimal de vitamine D dans leur sang. De fait, environ 25 % d'entre eux souffraient d'une carence grave. Malgré la prise de suppléments par tous les participants, à raison de 1 700 UI par jour (50 000 UI/mois) en moyenne, la densité minérale osseuse des participants du groupe placebo n'a pas augmenté significativement au cours de l'étude.
Fractures
Deux participants qui recevaient le placebo ont subi des fractures, le premier dans sa colonne vertébrale et l'autre dans l'os de la partie supérieure du bras.
Exposition au ténofovir
L'usage de ténofovir (Viread et dans le Truvada, l'Atripla et le Complera) a été associé à une diminution de la densité osseuse lors de certaines études. Au cours de la présente étude, sept personnes du groupe zolédronate et quatre du groupe placebo prenaient aussi une combinaison de médicaments comportant du ténofovir. L'exposition au ténofovir n'a toutefois pas influencé les résultats de l'étude.
Abandons et décès
Le nombre suivant de participants sont restés dans l'étude pendant six ans :
- zolédronate – 17 hommes
- placebo – 14 hommes
Dans l'ensemble, environ 28 % des participants ont quitté prématurément l'étude, principalement parce qu'ils ont émigré de la Nouvelle-Zélande.
Deux participants du groupe zolédronate sont morts, le premier d'un cancer du poumon et l'autre d'une cause inconnue (Mark Bolland, MD, communiqué écrit). Ces décès n'avaient rien à voir avec le médicament étudié.
Innocuité
Les bisphosphonates administrés par perfusion intraveineuse causent parfois des effets secondaires temporaires, notamment un syndrome pseudogrippal qui disparaît habituellement dans les deux jours mais qui peut durer jusqu'à une semaine après la perfusion. Deux participants ont éprouvé les symptômes d'un syndrome pseudogrippal après leur perfusion de zolédronate, y compris une fièvre élevée et des douleurs musculaires et osseuses qui les ont poussés à quitter l'étude.
Points clés
1. Il suffisait de deux doses de zolédronate administrées annuellement sur une période de deux ans pour avoir un impact favorable considérable et durable sur la densité minérale osseuse des hommes sous multithérapie, comparativement au placebo.
2. L'effet qu'avait le zolédronate sur la densité minérale osseuse lors de cette étude se compare à celui observé chez des hommes et des femmes séronégatifs qui ont pris les médicaments suivants :
- alendronate 10 mg par jour
- alendronate 70 mg une fois par semaine
- zolédronate 5 mg une fois par année pendant deux années consécutives
Les chercheurs néo-zélandais ont également mené une étude de cinq ans pour observer l'impact d'une seule dose de zolédronate sur des femmes séronégatives. Lors de l'étude ne question, on a constaté des changements favorables dans la densité minérale osseuse, changements qui se comparent à ceux observés lors de cette étude menée auprès d'hommes séropositifs.
3. Comme il suffit de prendre le zolédronate une seule fois par année, les patients pourraient faire preuve d'une meilleure observance thérapeutique que lorsqu'ils doivent prendre des médicaments quotidiennement ou une fois par semaine.
4. Un autre avantage apparent du zolédronate réside dans le fait qu'une seule dose annuelle pendant deux années consécutives a donné lieu à une augmentation considérable de la densité minérale osseuse qui s'est maintenue pendant jusqu'à six ans. Or, lorsqu'on cesse l'usage d'autres médicaments administrés pour accroître la densité minérale osseuse, les os s'amincissent rapidement, comme c'est le cas des médicaments suivants :
- estrogène
- dénosumab
- ondanacatib
- tériparatide
5. Cette étude néo-zélandaise était un essai randomisé, contrôlé contre placebo, et le suivi des participants a duré jusqu'à six ans, ce qui témoigne de la fiabilité des résultats. Au nombre des désavantages de l'étude, mentionnons le nombre relativement faible de participants et le taux d'abandons. Comme la majorité des abandons était attribuable à l'émigration, ce phénomène semblait être réparti aléatoirement et de façon égale entre les deux groupes, alors il n'avait vraisemblablement pas un grand impact sur les résultats.
6. Comme les participants inscrits à cette étude néo-zélandaise souffraient d'un amincissement osseux léger — sans ostéoporose — les résultats pourraient ne pas s'appliquer aux personnes séropositives ayant subi des pertes osseuses plus sévères.
7. Des études de plus grande envergure sont nécessaires pour explorer l'effet à long terme du zolédronate chez les hommes et femmes séropositifs, qu'il soit administré en deux doses ou une seule.
— Sean R. Hosein
RÉFÉRENCES :
- Bolland MJ, Grey A, Horne AM, et al. Effects of intravenous zoledronate on bone turnover and bone density persist for at least five years in HIV-infected men. Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism. 2012; in press.
- Reid IR, Gamble GD, Mesenbrink P, et al. Characterization of and risk factors for the acute-phase response after zoledronic acid. Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism. 2010 Sep;95(9):4380-7.