Une grande étude française examine les effets secondaires neuropsychiatriques des inhibiteurs de l’intégrase

Les inhibiteurs de l’intégrase sont une classe de médicaments anti-VIH largement utilisés dans le cadre des combinaisons de traitements (TAR) au Canada et dans les autres pays à revenu élevé. Les inhibiteurs de l’intégrase sont utilisés pour les raisons suivantes :

  • En général, la quantité de VIH dans le sang chute relativement rapidement une fois le traitement commencé.
  • Ils sont généralement bien tolérés.
  • Ils ont tendance à avoir peu d’interactions avec les autres médicaments.

L’inhibiteur de l’intégrase le plus utilisé s’appelle le dolutégravir, qui se vend sous les noms de marque suivants :

  • Tivicay : dolutégravir seul
  • Juluca : dolutégravir + rilpivirine
  • Triumeq : dolutégravir + abacavir + 3TC

Le dolutégravir a été approuvé pour la première fois dans un pays à revenu élevé en 2013. À partir de 2016, des rapports faisant état de ses effets secondaires ont commencé à émerger, y compris les suivants :

  • problèmes de sommeil
  • anxiété
  • dépression
  • problèmes de concentration

Les chercheurs et les médecins décrivent généralement ce groupe de problèmes comme des effets secondaires « neuropsychiatriques ». Dans les premiers rapports signalant des problèmes associés au dolutégravir, les effets secondaires neuropsychiatriques semblaient relativement courants et, dans certains cas, il semblait qu’ils touchaient les femmes en particulier. Cependant, ces rapports étaient largement fondés sur des bases de données dans lesquelles l’absence de certains facteurs non mesurés aurait pu fausser par inadvertance les conclusions. Quoi qu’il en soit, il n’est pas étonnant que le dolutégravir puisse causer de tels effets secondaires chez une minorité de personnes car des effets secondaires semblables ont déjà été signalés en association avec d’autres inhibiteurs de l’intégrase.

En France

Une équipe de chercheurs français a mené la plus grande étude prospective jusqu’à présent sur l’utilisation des inhibiteurs de l’intégrase et la possibilité d’effets secondaires neuropsychiatriques. Les chercheurs ont examiné les données portant sur plus de 21 000 personnes séropositives suivies dans 18 cliniques importantes de France. L’équipe s’est concentrée sur les personnes qui suivaient pour la première fois un régime à base d’inhibiteur de l’intégrase. Les régimes en question avaient commencé entre 2006, année de l’homologation du premier inhibiteur de l’intégrase (raltegravir; Isentress), et la fin de 2016.

Voici la répartition des inhibiteurs de l’intégrase utilisés par les participants figurant dans cette étude :

  • dolutégravir : 6 274 personnes
  • elvitégravir (dans Genvoya et Stribild; la vaste majorité des personnes recevant l’elvitégravir prenaient la formulation Genvoya) : 3 421 personnes
  • raltégravir : 11 520 personnes

Les participants avaient le profil moyen suivant lors de leur admission à l’étude :

  • âge : 49 ans
  • 72 % d’hommes, 28 % de femmes
  • compte de cellules CD4+ : 500 cellules/mm3
  • charge virale : moins de 40 copies/ml

La plupart des participants qui prenaient le dolutégravir (66 %) prenaient également la combinaison abacavir + 3TC, car ces derniers sont associés au dolutégravir dans un seul comprimé portant le nom de Triumeq. Les personnes qui utilisaient d’autres inhibiteurs de l’intégrase les prenaient majoritairement en association avec la combinaison ténofovir DF + FTC (vendu sous le nom de Truvada et offert en versions génériques aussi).

Résultats

Les chercheurs français ont découvert que les proportions ci-dessous des participants avaient éprouvé des problèmes neuropsychiatriques avant d’utiliser les inhibiteurs de l’intégrase suivants :

  • dolutégravir : 5 %
  • elvitégravir : 3 %
  • raltégravir : 10 %

Comme il s’agit ici d’une étude de grande envergure, toutes les différences mentionnées ci-dessous sont significatives du point de vue statistique, c’est-à-dire non attribuables au seul hasard.

Dans l’ensemble, environ 35 % des participants ont arrêté de prendre un inhibiteur de l’intégrase. Voici les proportions des participants en question selon le régime utilisé :

  • dolutégravir : 13 %
  • elvitégravir : 20 %
  • raltégravir : 51 %

Il est important de se rappeler que le raltégravir est généralement bien toléré. Or, comme le raltégravir n’est pas offert en coformulation avec d’autres médicaments, de nombreux participants à la présente étude ont cessé d’utiliser ce médicament en faveur d’un régime à comprimé unique (Genvoya, Stribild ou Triumeq).

Voici les proportions de personnes qui ont cessé de prendre leur régime à cause d’effets neuropsychiatriques :

  • dolutégravir : 2,7 %
  • elvitégravir : 1,3 %
  • raltégravir : 1,7 %

Contrairement aux études de moins grande envergure menées dans le passé, cette étude française n’a révélé aucune augmentation du risque d’effets neuropsychiatriques associée aux facteurs suivants :

  • âge
  • sexe
  • utilisation de la combinaison abacavir + 3TC

Résultat inattendu

Les chercheurs ont trouvé que plus le compte de CD4+ était faible avant de commencer le TAR, plus le risque d’effets secondaires neuropsychiatriques augmentait. Bien que cette association soit statistiquement solide dans leur analyse, les chercheurs ne peuvent pas l’expliquer.

À retenir

Cette étude française n’est pas un essai clinique randomisé; un tel essai mené auprès de plus de 21 000 personnes aurait coûté très cher et n’aurait pas été possible. La randomisation est un moyen important de réduire le risque de tirer des conclusions faussées lorsqu’on interprète les résultats d’une étude. En raison de cette absence de randomisation, les chercheurs français ont souligné le fait que les personnes traitées par dolutégravir dans cette étude (et non par elvitégravir) étaient plus susceptibles de présenter les caractéristiques suivantes :

  • âge plus avancé
  • séropositives depuis plus longtemps
  • antécédents de TAR depuis longtemps
  • effets secondaires neuropsychiatriques antérieurs sous l’effet d’autres médicaments avant d’utiliser le dolutégravir

Points clés

  • Au cours des prochaines années, il est probable que cette étude française prospective menée auprès de 21 000 personnes traitées par inhibiteurs de l’intégrase deviendra l’étude repère en ce qui concerne le taux global d’effets neuropsychiatriques associés à cette classe de médicaments.
  • La proportion de participants ayant cessé de prendre des inhibiteurs de l’intégrase à cause d’effets secondaires neuropsychiatriques a généralement été très faible, soit entre 1 % et 3 %. En ce qui concerne l’innocuité des inhibiteurs de l’intégrase, ces chiffres sont rassurants pour les médecins, les infirmières, les pharmaciens et les patients.
  • Comme il s’agit ici d’une étude prospective non randomisée, il est important de souligner que cette étude ne peut pas prouver que des inhibiteurs de l’intégrase spécifiques mentionnés dans ce rapport ont causé des effets neuropsychiatriques.
  • Selon les chercheurs, dans l’ensemble, « la discontinuation à cause d’effets secondaires s’est produite moins fréquemment avec le dolutégravir qu’avec l’elvitégravir ». Ils ont toutefois souligné que « la discontinuation à cause d’effets secondaires neuropsychiatriques, quoique rare (2,7 %), a été plus fréquente avec le dolutégravir ».
  • Autre point important à souligner : avant de commencer le traitement par un régime à base d’inhibiteur de l’intégrase, entre 3 % et 10 % des participants avaient éprouvé précédemment des effets secondaires neuropsychiatriques.

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCES :

Cuzin L, Pugliese P, Katlama C, et al. Integrase strand transfer inhibitors and neuropsychiatric adverse events in a large prospective cohort. Journal of Antimicrobial Chemotherapy. 2019 Mar 1;74(3):754-760.