Pourquoi certaines personnes séropositives prennent-elles du poids?

Comme nous l’avons rapporté plus tôt dans ce numéro de TraitementActualités, l’amorce d’un traitement du VIH (TAR) est généralement associée à une prise de poids. Dans la section qui suit, nous proposons quelques explications.

Recevez TraitementActualités dans votre boîte de réception :

Comme les sections précédentes l’ont indiqué, certains facteurs de risque de prise de poids sont présents avant l’amorce du TAR et sont d’ordre immunologique (faible compte de CD4+) ou virologique (charge virale élevée). Les résultats obtenus à cet égard font écho à des études antérieures et soulignent un bienfait additionnel associé au fait de commencer le TAR longtemps avant que l’immunodéficience se produise.

Historique

Lorsqu’on examine l’histoire du traitement du VIH, on constate que la plupart des premiers essais cliniques pivots sur le TAR ont porté sur des hommes blancs vivant dans des pays à revenu élevé. Les études en question ont inscrit généralement un nombre insuffisant de femmes et de personnes de couleur pour permettre de faire des comparaisons statistiques pertinentes entre les sexes et les groupes ethnoraciaux en ce qui concerne le poids. De plus, la plupart sinon toutes ces études n’étaient pas conçues principalement pour évaluer les changements dans le poids et l’indice de masse corporelle (IMC) en fonction du régime utilisé. Depuis quelques années, les essais cliniques de phase III incluent davantage de femmes et de personnes de couleur.

La bonne nouvelle

Il est important de souligner que la plupart des personnes qui ont suivi un TAR dans un essai clinique pivot ne sont pas devenues obèses. Cependant, à en juger par les résultats d’études récentes sur l’amorce du TAR où le poids a été évalué, les professionnels de la santé et les patients doivent devenir plus vigilants à l’égard du suivi du poids et apprendre à intervenir rapidement lorsqu’une prise de poids excessive se produit.

Choix de régime

En général, les régimes de traitement anti-VIH plus récents sont mieux tolérés et plus efficaces que les régimes plus anciens. Les médicaments plus récents, et plus particulièrement les inhibiteurs de l’intégrase, ont tendance à provoquer le moins d’interactions médicamenteuses. Il est donc très improbable que les médecins et les patients recommencent à utiliser les régimes plus anciens à cause du problème de la prise de poids.

Non seulement les médicaments plus anciens sont moins puissants, mais ils présentent aussi des inconvénients distincts. L’utilisation à long terme d’AZT a été associée à un risque accru de pertes musculaires et de changements anormaux dans la forme corporelle (syndrome de lipodystrophie). L’éfavirenz est associé à un risque accru d’effets neuropsychiatriques, dont les étourdissements, la dépression et la paranoïa, et ce, autant à court qu’à long terme. On associe également ce médicament à un risque accru de pensées suicidaires et de tentatives de suicide. Malgré ces problèmes, certaines personnes qui ont commencé un traitement à base d’éfavirenz il y a plusieurs années semblent bien le tolérer.

Au lieu d’éviter l’usage d’inhibiteurs de l’intégrase (tels que le bictégravir, le dolutégravir, l’elvitégravir et le raltégravir) et d’analogues nucléotidiques comme TAF à cause des seules préoccupations concernant le risque de prise de poids, il pourrait être utile aux professionnels de la santé et aux patients de rester à l’affût des variations du poids qui se produisent avant et après avoir commencé ou changé de régime. Il leur serait peut-être utile aussi de discuter des facteurs susceptibles d’influencer la prise de poids, tels les suivants :

Activité physique

Est-ce que les personnes vivant avec le VIH font assez d’activité physique, y compris la marche et la montée d’escaliers? Sont-elles en état de commencer un programme d’exercices? Lisez l’article suivant dans TraitementActualités 234 pour en savoir plus sur les différentes sortes d’activité physique : L’exercice comme médecine

Problèmes de sommeil

Le repos et la qualité du sommeil sont parfois négligés comme aspects de la santé. Une grande étude par observation menée auprès de personnes séronégatives a révélé que les personnes qui éprouvaient des problèmes de sommeil avaient tendance à prendre du poids. Il pourrait donc être utile d’évaluer les problèmes de sommeil chez les personnes qui prennent du poids de façon inattendue.

Santé émotionnelle et mentale

Existe-t-il des facteurs dans la vie d’une personne qui ont un impact sur sa façon de répondre aux événements stressants? Notons à titre d’exemple que, sous l’effet du stress, certaines personnes mangent davantage d’aliments riches en matières grasses et en glucides comme une source de réconfort. Lorsqu’elle se répète souvent, la consommation excessive de glucides et de matières grasses peut causer la prise de poids au fil du temps. Pour sa part, la dépression peut avoir un impact sur l’appétit, de sorte que certaines personnes prennent du poids alors que d’autres en perdent. La personne qui prend du poids souffre-t-elle de dépression et/ou d’anxiété?

Affections métaboliques, hormones et arthrite

Plusieurs affections médicales et phases de la vie sont associées à la prise de poids, dont les suivantes :

  • diabète
  • problèmes liés à la glande thyroïde et à ses hormones
  • post-ménopause
  • arthrite

Alimentation

Tout le monde ne suit pas nécessairement un régime alimentaire qui se conforme aux lignes directrices diététiques. Si l’accès subventionné à un counseling nutritionnel est offert (c’est parfois le cas dans les grands hôpitaux et cliniques), la consultation d’un diététiste agréé pourrait porter ses fruits. Les diététistes agréés peuvent évaluer la qualité et la quantité des repas et, si nécessaire, offrir des conseils utiles sur les modifications alimentaires saines.

Consommation de substances

L’alcool contient des calories. Les excès d’alcool sont-ils un problème pour la personne? Notons que la consommation excessive d’alcool peut suggérer la présence de problèmes de santé mentale et émotionnelle non résolus.

Les professionnels de la santé, y compris les pharmaciens, peuvent passer en revue les médicaments non liés au VIH que prennent leurs patients afin d’en évaluer l’impact éventuel sur le poids.

Accent sur le traitement du VIH et la prise de poids

Quel rôle le TAR pourrait-il jouer dans la prise de poids excessive chez certaines personnes? Nous ne pouvons offrir aucune réponse définitive à l’heure actuelle, mais certains chercheurs ont avancé des théories se rapportant aux questions et aux médicaments suivants :

Inhibiteurs de l’intégrase

Selon une théorie, le dolutégravir (et possiblement le bictégravir et d’autres inhibiteurs de l’intégrase) interagit avec un récepteur appelé MC4R (récepteur de la mélanocortine 4). Ce récepteur se trouve sur des cellules cérébrales et joue un rôle dans le maintien de l’équilibre énergétique. Le MC4R peut avoir un impact sur l’appétit et le poids. Il est possible que les inhibiteurs de l’intégrase interagissent avec le MC4R d’une manière qui stimule l’appétit et provoque une prise de poids. Notons cependant qu’aucune recherche sur le MC4R et les personnes séropositives n’a été entreprise. S’ils en faisaient, il est probable que les chercheurs commenceraient par des expériences sur des cellules, le VIH, les inhibiteurs de l’intégrase et cette hormone. S’ils découvraient un signe que les inhibiteurs de l’intégrase avaient un impact sur le MC4R, la prochaine étape pourrait consister à effectuer des expériences sur des singes infectés par le VIS (virus de l’immunodéficience simienne). Étroitement apparenté au VIH, ce virus cause une maladie semblable au sida chez les singes vulnérables.

Setmelanotide

Des études menées auprès de personnes séronégatives ont permis de constater que certains médicaments expérimentaux qui interfèrent avec le MC4R pouvaient causer une diminution de l’appétit et une perte de poids.

L’un des médicaments candidats qui interfèrent avec le MC4R s’appelle la setmelanotide. Celle-ci a fait l’objet d’essais cliniques pivots menés auprès de personnes dont l’obésité était liée à des gènes particuliers. Des réductions significatives de l’appétit et du poids se sont produites durant les essais en question. Les résultats préliminaires portent à croire que ce médicament est généralement sans danger, mais un assombrissement de la peau et des cheveux peut se produire. La FDA examine actuellement une demande d’approbation de la setmelanotide soumise par la compagnie Rhythm Pharmaceuticals, et l’on peut espérer que ce médicament sera approuvé en 2020. Il reste que la setmelanotide doit être testée contre les cas généraux de surpoids et d’obésité. La FDA a accordé la désignation de médicament orphelin à la setmelatonide. Cette désignation est donnée à des médicaments qui sont utilisés auprès d’un marché relativement restreint. Les médicaments qui portent cette désignation coûtent habituellement très cher, mais le prix de la setmelanotide n’a pas encore été rendu public.

Les observations suivantes vont à l’encontre de la théorie voulant que l’interaction entre les inhibiteurs de l’intégrase et le MC4R soit la seule cause de la prise de poids éprouvée par certaines personnes séropositives qui utilisent cette classe de médicaments :

  • Comme nous l’avons mentionné plus tôt dans ce numéro de TraitementActualités, des études ont révélé que certaines personnes séropositives semblaient prendre du poids même avant d’avoir commencé à suivre un TAR.
  • Des cas de prise de poids ont été signalés en lien avec diverses classes de TAR, mais l’association semble être la plus forte avec les médicaments anti-VIH plus récents comme le bictégravir et TAF.

Microorganismes intestinaux

Les scientifiques utilisent le terme microbiome pour décrire la population de bactéries, de champignons et de virus qui vivent dans le corps humain. Il existe dans les intestins des personnes séropositives des déséquilibres dans les populations de bactéries et de virus qui s’y trouvent naturellement. L’amorce du TAR et la prise continue du traitement ne corrigent ces déséquilibres que partiellement, et des essais cliniques sont en cours pour tester des suppléments de bactéries intestinales bénéfiques. Ces essais cliniques pourraient évaluer les changements de poids éventuels.

Inflammation

L’infection au VIH est associée à des niveaux excessifs d’inflammation et d’activation du système immunitaire. L’amorce du TAR et l’atteinte et le maintien d’une charge virale indétectable aident à réduire l’inflammation et l’activation immunitaire excessives associées au VIH, mais sans pour autant les éliminer. Des études menées auprès de personnes séronégatives portent à croire que l’inflammation chronique peut contribuer à la prise de poids excessive. Il est donc possible que l’inflammation et l’activation immunitaire chroniques causées par le VIH contribuent à la prise de poids chez certaines personnes séropositives.

Autres raisons

Il pourrait y avoir d’autres raisons, pour le moment inconnues, pour lesquelles le TAR est associé à une prise de poids substantielle chez certaines personnes. Un point important à souligner réside dans le fait que les personnes séronégatives prennent généralement du poids aussi, sans que les raisons soient claires. Les facteurs provoquant la prise de poids chez les personnes séronégatives jouent vraisemblablement un rôle chez les personnes séropositives aussi. Selon nombre de chercheurs, les gens mangeraient généralement davantage de nos jours, y compris plus d’aliments hautement transformés, et feraient moins d’activité physique qu’il y a quelques décennies dans certains cas. Lors de l’étude italienne dont nous avons rendu compte plus tôt dans ce numéro de TraitementActualités, on a trouvé que près de 50 % des 2 600 participants séropositifs ne faisaient aucune activité physique quotidienne ou encore une quantité minimale seulement. Cela révèle que le manque d’activité physique est un problème important chez certaines personnes. D’autres chercheurs soupçonnent que des contaminants environnementaux contribuent au risque de prise de poids. Quoi qu’il en soit, il reste à faire beaucoup de recherche sur la prise de poids en général et sur la prise de poids dans le contexte du TAR en particulier. Cette recherche prendra du temps.

À l’avenir

La médecin Sara Bares du Nebraska Medical Center a examiné l’analyse des essais cliniques randomisés menés par Gilead Sciences. Elle a soulevé les questions suivantes auxquelles la recherche future devra répondre :

  • « Que devons-nous faire pour les patients qui connaissent une prise de poids grave à la suite de l’amorce du TAR? »
  • « Pendant combien de temps la prise pondérale persiste-t-elle? »
  • « Est-ce qu’un changement de régime peut corriger ou atténuer partiellement la prise de poids? Si oui, quel régime faudrait-il choisir? »
  • « Est-il nécessaire d’ajuster à la fois la colonne vertébrale et l’agent “ancre”? » Le terme ancre (de l’anglais anchor) désigne habituellement le médicament le plus puissant d’un régime. Les analogues nucléosidiques (INTI) qui figurent habituellement dans un régime sont surnommés la colonne vertébrale (de l’anglais backbone) par les médecins et chercheurs.
  • « L’ajustement de la voie d’administration pourra-t-il modifier le profil d’effets secondaires (p. ex., les traitements injectables à action prolongée seront-ils associés à des prises de poids semblables)? »

Ces questions pourront aider à orienter les recherches futures sur la prise de poids chez les personnes séropositives.

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCES :

  1. Bares SH. Is modern antiretroviral therapy causing weight gain? Clinical Infectious Diseases. 2020; en voie d’impression.
  2. Sax PE, Erlandson KM, Lake JE, et al. Weight gain following initiation of antiretroviral therapy: Risk factors in randomized comparative clinical trials. Clinical Infectious Diseases. 2020; en voie d’impression.
  3. Kühnen P, Krude H, Biebermann H. Melanocortin-4 Receptor Signalling: Importance for weight regulation and obesity treatment. Trends in Molecular Medicine. 2019 Feb;25(2):136-148.
  4. Hall KD, Ayuketah A, Brychta R, et al. Ultra-processed diets cause excess calorie intake and weight gain: An inpatient randomized controlled trial of ad libitum food intake. Cell Metabolism. 2019 Jul 2;30(1):67-77.e3.
  5. Moubarac JC, Batal M, Louzada ML, et al. Consumption of ultra-processed foods predicts diet quality in Canada. Appetite. 2017 Jan 1;108:512-520.
  6. Gimeno-Ferrer F, Albuquerque D, García Banacloy A, et al. Genetic screening for MC4R gene identifies three novel mutations associated with severe familiar obesity in a cohort of Spanish individuals. Gene. 2019 Jul 1;704:74-79.
  7. Lucas N, Legrand R, Bôle-Feysot C, et al. Immunoglobulin G modulation of the melanocortin 4 receptor signaling in obesity and eating disorders. Translational Psychiatry. 2019 Feb 12;9(1):87
  8. Clément K, Biebermann H, Farooqi IS, et al. MC4R agonism promotes durable weight loss in patients with leptin receptor deficiency. Nature Medicine. 2018 May;24(5):551-555.
  9. Kappel BA, Federici M. Gut microbiome and cardiometabolic risk. Reviews in Endocrine & Metabolic Disorders. 2020; en voie d’impression.
  10. Moyle G. Toxicity of antiretroviral nucleoside and nucleotide analogues: is mitochondrial toxicity the only mechanism? Drug Safety. 2000 Dec;23(6):467-481.
  11. Moyle GJ, Sabin CA, Cartledge J, et al. A randomized comparative trial of tenofovir DF or abacavir as replacement for a thymidine analogue in persons with lipoatrophy. AIDS. 2006 Oct 24;20(16):2043-2050.
  12. Lapadula G, Bernasconi DP, Bai F, et al. Switching from efavirenz to rilpivirine improves sleep quality and self-perceived cognition but has no impact on neurocognitive performances. AIDS. 2020 Jan 1;34(1):53-61.
  13. Fumaz CR, Muñoz-Moreno JA, Moltó J, et al. Long-term neuropsychiatric disorders on efavirenz-based approaches: quality of life, psychologic issues, and adherence. Journal of Acquired Immune Deficiency Syndromes. 2005 Apr 15;38(5):560-565.
  14. Arenas-Pinto A, Grund B, Sharma S, et al. Risk of suicidal behavior with use of efavirenz: Results from the Strategic Timing of Antiretroviral Treatment Trial. Clinical Infectious Diseases. 2018 Jul 18;67(3):420-429.
  15. Mollan KR, Smurzynski M, Eron JJ, et al. Association between efavirenz as initial therapy for HIV-1 infection and increased risk for suicidal ideation or attempted or completed suicide: an analysis of trial data. Annals of Internal Medicine. 2014 Jul 1;161(1):1-10.
  16. Ma Q, Vaida F, Wong J, et al. Long-term efavirenz use is associated with worse neurocognitive functioning in HIV-infected patients. Journal of NeuroVirology. 2016 Apr;22(2):170-178.
  17. Kapoor E, Collazo-Clavell ML, Faubion SS. Weight gain in women at midlife: A concise review of the pathophysiology and strategies for management. Mayo Clinic Proceedings. 2017 Oct;92(10):1552-1558.