Le sirolimus (rapamycine) — applications potentielles contre l’infection au VIH

À l’heure actuelle, le sirolimus (rapamycine, Rapamune) est utilisé comme médicament immunosuppresseur auprès des patients ayant reçu une greffe d’organe. Cependant, des recherches menées depuis plusieurs années laissent croire que le sirolimus possède aussi des propriétés qui méritent d’être étudiées chez des personnes vivant avec le VIH.

À propos du sirolimus

Le sirolimus exerce son effet immunosuppresseur en inhibant une protéine appelée mTOR (cible de la rapamycine chez les mammifères). Cette action sert à désactiver les cellules immunitaires, de sorte qu’elles sont incapables de répondre adéquatement au signal chimique interleukine-2 (IL-2). Les cellules T exposées au sirolimus ne peuvent pas s’activer et mettre au point leurs capacités anti-infectieuses.

Co-récepteurs

Outre le récepteur CD4, le VIH a besoin de s’attacher à l’un de deux co-récepteurs pour entrer dans une cellule et l’infecter. On appelle ces co-récepteurs le CCR5 et le CXCR4. Certaines souches du VIH préfèrent cibler le CD4 et le CCR5, alors que d’autres préfèrent le CD4 et le CXCR4. Il existe d’autres souches encore qui peuvent utiliser le CD4 et soit le CCR5, soit le CXCR4.

Dans le laboratoire

Des expériences de laboratoire sur des cellules ont permis de découvrir une conséquence inattendue du blocage du signal IL-2 causé par le sirolimus, à savoir que les cellules T et d’autres cellules immunitaires sont incapables d’exprimer (ou de présenter) un grand nombre de co-récepteurs CCR5 à leur surface. On a même observé cet effet en présence de très faibles concentrations de sirolimus, c’est-à-dire des concentrations plus faibles que celles utilisées aux fins d’immunosuppression chez les greffés d’organes. De plus, le sirolimus semble contribuer modestement à protéger les cellules contre des souches du VIH qui ciblent le CXCR4; le mécanisme précis de cet effet du sirolimus n’est pas clair.

D’autres études de laboratoire ont permis de constater que le sirolimus affaiblissait la capacité de réplication des cellules infectées par le VIH.

Études sur des singes

Des expériences menées sur quelques singes en bonne santé ont révélé que le sirolimus réduisait grandement l’expression de co-récepteurs CCR5 sur les cellules du système immunitaire et du vagin. Cette action vaginale laisse croire qu’on aurait intérêt à créer une crème ou un gel de sirolimus afin d’évaluer son potentiel pour la prévention de la transmission sexuelle du VIS (virus de l’immunodéficience simienne) chez les singes.

VIH

Des études de faible envergure sur le sirolimus ont été menées auprès de personnes vivant avec le VIH. Lors de ces études, le médicament était utilisé à des fins d’immunosuppression à la suite d’une greffe d’organe. Selon des experts ayant évalué ces études, le sirolimus semblait rehausser les effets antiviraux de la trithérapie sur le VIH, mais aucune augmentation du compte de CD4+ n’a été constatée. Une de ces études fait l’objet d’un compte rendu détaillé dans la section suivante de ce numéro de TraitementSida.

Considérations futures

Le sirolimus est prescrit à raison de 2 à 5 mg par jour aux personnes ayant reçu une greffe rénale. À ces doses, le sirolimus atteint des concentrations allant de 4 à 19 nM dans le sang. Lors d’expériences de laboratoire sur des cellules exposées au VIH, une concentration de sirolimus d’à peine 1 nM a réduit considérablement la production de VIH par les cellules infectées. Les souches du VIH utilisées lors de ces expériences ciblaient de préférence le co-récepteur le CCR5. Ainsi, on aurait peut-être intérêt à tester une dose de sirolimus plus faible que celle utilisée après une greffe d’organe dans le cadre d’une étude pilote menée chez des PVVIH. D’autres études sont nécessaires pour déterminer s’il est possible de renforcer l’activité anti-VIH du sirolimus en l’associant à d’autres médicaments comme le maraviroc (Celsentri); rappelons que celui-ci peut masquer le CCR5 et protéger les cellules contre l’infection par le VIH.

Il reste à résoudre une question très importante : de quelle façon le sirolimus interagit-il avec les médicaments utilisés contre l’infection au VIH? Les équipes de transplantation ont souvent trouvé qu’il fallait ajuster la dose d’immunosuppresseurs comme la cyclosporine, le sirolimus et le tacrolimus lorsque ces médicaments étaient donnés à des personnes séropositives recevant des inhibiteurs de la protéase.

Il se pourrait bien que le sirolimus soit utilisé dans le cadre d’expériences futures conçues pour évaluer son effet sur la prévention et le traitement du VIS chez les singes. On aurait aussi intérêt à évaluer son activité anti-VIH chez des PVVIH, et plus particulièrement celles ayant reçu une greffe d’organe. Idéalement, ce potentiel du sirolimus serait exploré dans le cadre d’études rigoureusement conçues où les participants seraient suivis de très près.

RÉFÉRENCES :

  1. Donia M, McCubrey JA, Bendtzen K, et al. Potential use of rapamycin in HIV infection. British Journal of Clinical Pharmacology. 2010 Dec;70(6):784-93.
  2. Heredia A, Latinovic O, Gallo RC, et al. Reduction of CCR5 with low-dose rapamycin enhances the antiviral activity of vicriviroc against both sensitive and drug-resistant HIV-1. Proceedings of the National Academy of Sciences USA. 2008 Dec 23;105(51):20476-81.
  3. Gilliam BL, Heredia A, Devico A, et al. Rapamycin reduces CCR5 mRNA levels in macaques: potential applications in HIV-1 prevention and treatment. AIDS. 2007 Oct 1;21(15):2108-10.