La transplantation du rein et le VIH — l’expérience américaine
Des chercheurs œuvrant dans des centres de transplantation un peu partout aux États-Unis ont effectué des greffes rénales chez des personnes séropositives, puis les ont suivies pendant trois ans. Au bout de cette période, le taux de survie était d’environ 88 %. Ce taux est relativement élevé, et aucune augmentation du nombre de maladies liées au sida n’a été rapportée. Toutefois, on a constaté un nombre de rejets – le système immunitaire du receveur s’attaque au nouvel organe – plus élevé qu’escompté.
Détails de l’étude
Entre 2003 et 2009, des chercheurs affiliés à 19 cliniques ont recruté 150 PVVIH pour subir une greffe du rein. Pour être admissibles à la transplantation, les participants devaient répondre aux critères suivants :
- besoin réel d’une greffe rénale
- compte de CD4+ de 200 ou plus
- charge virale en VIH de 75 copies/ml ou moins sous l’effet d’une trithérapie commencée au moins 16 semaines avant la greffe
Certains centres de transplantation imposaient des critères additionnels aux participants qui souhaitaient se faire greffer un rein. Les participants qui avaient eu une des infections potentiellement mortelles suivantes dans le passé ont été exclus de l’étude :
- LMP (leucoencéphalopathie multifocale progressive)
- crypto (cryptosporidiose)
- lymphome du cerveau ou de la moelle épinière
- sarcome de Kaposi touchant les organes internes
Au début de l’étude, le profil de base des participants était le suivant :
- 78 % d’hommes, 22 % de femmes
- causes courantes de lésions rénales – hypertension, infection au VIH, diabète
- compte de CD4+ – 524 cellules
- co-infection par le VHC – 19 %
- co-infection par le VHB – 3 %
Résultats
La première semaine suivant la greffe, les participants recevaient une combinaison de deux médicaments ou plus dans le cadre d’un traitement immunosuppresseur intensif :
- mycophénolate (CellCept) – 87 % des participants
- tacrolimus (Prograf) – 66 %
- basiliximab (Simulect) ou daclizumab (Zenapax) – 51 %
- anticorps anti-cellule-T – 32 %
- cyclosporine (Neoral, Sandimmune) – 22 %
Survie
La transplantation est une chirurgie lourde qui se pratique souvent chez des personnes très malades; ainsi, il y a toujours un risque de complications sérieuses, et la survie ne peut être garantie à tous. Il n’est donc pas surprenant que certains receveurs d’organes séropositifs soient morts dans le cadre de cette étude. Voici les taux de survie post-transplantation :
- après un an – 95 % vivaient encore
- après trois ans – 88 % vivaient encore
Selon les chercheurs, ces taux de survie se situaient « généralement entre ceux des greffés [séronégatifs] du rein âgés [65 ans et plus] et ceux de l’ensemble des greffés du rein, sur une période semblable. »
Causes de décès
Onze personnes sont mortes des causes suivantes :
- complications cardiovasculaires – trois personnes
- empoisonnement du sang dû à des infections sérieuses – deux personnes
- infections pulmonaires – deux personnes
- cancer du rein (dans les reins originaux du receveur) – deux personnes
- cause(s) indéterminée(s) – deux personnes
Les chercheurs ont souligné que les organes greffés fonctionnaient encore lors de la mort de huit personnes sur 11.
Greffons
On appelle greffons les organes et les tissus transplantés. Chez 13 personnes, les greffons sont morts, surtout à cause des attaques continues lancées par le système immunitaire contre le nouveau rein. L’analyse de plusieurs facteurs a permis de croire que les facteurs suivants ont joué un rôle dans la mort des greffons :
- nécessité de traiter le receveur pour un épisode de rejet
- utilisation d’anticorps anti-cellule-T lors de l’immunosuppression initiale suivant la greffe
Notons que les greffons avaient plus de chances de survivre s’ils provenaient de donneurs vivants.
Rejet
Les centres de transplantation font de leur mieux pour trouver des donneurs et des receveurs qui se ressemblent sur le plan immunologique. Il n’empêche que le système immunitaire est toujours susceptible de s’attaquer au nouvel organe, en l’occurrence le rein. Lorsqu’une attaque de ce genre se produit, on parle de rejet.
Un rejet qui se produit dans les trois mois suivant la greffe est un rejet aigu (bien que certains cas de rejet aigu se produisent plus tard). Trente-trois pour cent (33 %) des receveurs ont vécu des épisodes de rejet.
Un seul épisode de rejet n’entraîne pas habituellement la perte de l’organe transplanté. Cependant, en l’absence d’immunosuppresseurs efficaces, le rejet aigu peut se reproduire et se transformer en rejet chronique.
Des cas de rejet se sont produits dans les proportions suivantes :
- dans l’année suivant la greffe – 31 %
- dans les trois ans suivant la greffe – 41 %
Ces taux de rejet ont laissé les chercheurs perplexes, car ils sont plus élevés que les taux observés chez les personnes séronégatives âgées.
Compte tenu de plusieurs facteurs, les seuls événements statistiquement significatifs associés à un risque accru de rejet étaient les suivants :
- greffon rénal provenant d’un donneur décédé
- prise de cyclosporine
Retard de fonctionnement du greffon
Même si le nouveau rein est bien transplanté et relié à des vaisseaux sanguins, il risque de ne pas commencer tout de suite à fonctionner; on parle alors de retard de fonctionnement du greffon. Ce problème s’est produit durant la première semaine suivant la greffe chez 15 % des personnes ayant reçu l’organe d’un donneur vivant et chez 46 % des personnes ayant reçu l’organe d’un donneur mort. Dans les cas de retard de fonctionnement du greffon, le recours temporaire à la dialyse s’est avéré nécessaire.
Maladies liées au VIH et tests de laboratoire
À la suite de la greffe, quelques personnes ont présenté des maladies liées au VIH à cause des médicaments immunosuppresseurs, comme suit :
- sarcome de Kaposi (KS) de la peau – deux personnes
- infections à levures de la gorge – une personne
- PPC (pneumonie à Pneumocystis) – une personne
- crypto (cryptosporidiose) – une personne
Les chercheurs ont constaté que les changements dans le nombre de cellules CD4+ étaient « significativement plus importants chez les patients ayant reçu un traitement précoce par [anticorps anti-cellule-T], comparativement aux personnes n’ayant pas reçu un tel traitement ». Dans l’ensemble, trois ans après la greffe, on n’a remarqué aucune différence cliniquement significative entre ces deux groupes. De plus, les comptes de CD4+ avaient chuté d’environ 50 cellules trois ans après la greffe, sans égard à l’exposition aux anticorps anti-cellule-T.
La charge virale demeurait supprimée chez la plupart des participants; chez 48 personnes, elle est redevenue détectable, mais une seule fois ou deux dans la majorité des cas. Une seule personne avait une charge virale détectable trois ans après sa greffe.
Infections sérieuses
Sur les 150 receveurs d’organes, près de 40 % ont vécu 140 épisodes d’infection pour lesquels il a fallu les hospitaliser. Les infections en question appartenaient aux catégories suivantes :
- bactériennes – 69 % des cas
- fongiques – 9 % des cas
- virales – 6 % des cas
- parasitaires – 1 % des cas
Dans les autres cas, les chercheurs n’ont pas réussi à déterminer avec certitude la cause ou les causes de l’infection.
Les parties du corps les plus touchées par des infections sérieuses comprenaient les suivantes :
- appareil génito-urinaire
- poumons et gorge
- sang
La majorité des infections sérieuses se sont produites dans les six mois suivant la transplantation.
Les infections étaient plus courantes chez les personnes co-infectées par le virus de l’hépatite C.
Cancers
Neuf cancers ont été signalés :
- SK – deux cas
- cancer du rein – deux cas
- cancer de la bouche – deux cas
- carcinome à cellules squameuses de la peau – un cas
- carcinome basocellulaire de la peau – un cas
- cancer de la thyroïde – un cas
Résumé
L’équipe responsable de cette étude de relativement grande envergure a affirmé que ses résultats favorables étaient influencés par les facteurs suivants :
- sélection rigoureuse des participants
- adhésion aux protocoles de prise en charge clinique
- coordination étroite d’équipes de soins réunissant chirurgiens, néphrologues, coordinateurs d’infirmiers, pharmacologistes, travailleurs sociaux, experts du VIH et médecins de soins primaires
Selon l’équipe, son plus grand défi consistait à supprimer suffisamment le système immunitaire pour assurer la survie du greffon sans causer de toxicité. Ce défi est né de ce que les chercheurs appelaient l’interaction « complexe » entre les immunosuppresseurs et certains médicaments anti-VIH, soit les inhibiteurs de la protéase. À l’avenir, cette équipe de transplantation mènera peut-être des expériences sur des médicaments anti-VIH relativement récents comme l’inhibiteur de l’intégrase raltégravir (Isentress), parce que ce dernier pose un très faible risque d’interactions médicamenteuses.
Même si l’on peut substituer le tacrolimus à la cyclosporine pour maintenir l’immunosuppression et réduire le risque de rejet, l’équipe fait valoir que la cyclosporine possède une activité modeste contre le VIH et le VHC et pourrait donc être utile dans les cas de co-infection.
Rejet
Les chercheurs se préoccupaient des « taux de rejet étonnamment plus élevés chez les receveurs d’un rein séropositifs, comparativement aux personnes n’ayant pas l’infection au VIH ».
Environ 50 % des épisodes de rejet se sont produits malgré la prise de corticostéroïdes. Une telle résistance aux propriétés immunosuppressives des stéroïdes est une caractéristique d’un rejet agressif. De plus, des rejets de ce genre se sont souvent produits malgré la présence d’un compte de CD4+ faible, situation courante à la suite d’une greffe. Les chercheurs ne peuvent préciser les causes des rejets agressifs observés, mais plusieurs études sont en cours pour explorer l’origine possible de ce problème.
À l’avenir, il est probable que les PVVIH qui auront besoin d’une greffe d’organe seront très malades et auront un compte de CD4+ plus faible et une charge virale plus élevée que les participants à la présente étude. Espérons que les protocoles de transplantation évolueront de sorte à les inclure.
RÉFÉRENCE :
- Stock PG, Barin B, Murphy B, et al. Outcomes of kidney transplantation in HIV-infected recipients. New England Journal of Medicine. 2010 Nov 18;363(21):2004-14.