Diverses pistes de recherche visant la guérison du VIH
Lorsqu’ils sont utilisés comme il se doit, les traitements contre le VIH d’aujourd’hui (traitements antirétroviraux ou TAR) inhibent très efficacement le virus. Lorsque le TAR réduit la quantité de VIH, le système immunitaire peut se rétablir presque complètement des dommages infligés par le virus. Pour cette raison, les scientifiques prévoient une espérance de vie quasi normale pour de nombreuses personnes suivant ce genre de traitement. Qui plus est, lors d’essais cliniques rigoureux de grande envergure, on a prouvé que les personnes dont le VIH est inhibé grâce au TAR ne transmettent pas le virus lors des relations sexuelles.
Il importe toutefois de souligner que le TAR ne peut empêcher le VIH de se cacher à l’intérieur de cellules immunitaires situées dans les régions profondes des ganglions lymphatiques, de la rate, du cerveau et probablement dans d’autres tissus aussi. Les scientifiques appellent ce bassin de cellules infectées le réservoir. Des études de longue durée ont révélé que le réservoir de virus semblait prendre de l’ampleur au fil des décennies, et ce, même chez les personnes faisant preuve d’une excellente observance du TAR. Dans le réservoir, le VIH demeure surtout dans un état tranquille ou latent. Il semble aussi que les cellules infectées par le VIH qui s’y trouvent ne soient pas décelées par le système immunitaire. Tout cela veut dire que, même si le TAR aide les gens à rester en bonne santé, il ne peut éradiquer le VIH tout seul.
Une autre préoccupation des scientifiques réside dans la présence d’un niveau élevé d’inflammation et d’activation du système immunitaire même lorsque l’infection par le VIH est traitée. Il est probable que ces deux facteurs accélèrent le déclin de systèmes organiques essentiels et augmentent le risque que des maladies liées à l’âge se déclarent plus tôt chez les personnes séropositives.
Dans un monde idéal, ce serait mieux d’avoir un traitement simple et sûr qui permettrait de guérir l’infection par le VIH. Il est toutefois extrêmement difficile (et dangereux) de guérir les personnes séropositives à l’aide des technologies existantes. Au lieu de celles-ci, la plupart des équipes de scientifiques se vouant à la recherche sur la guérison du VIH tentent de réussir quelque chose de plus pratique sur le moyen terme. Ces équipes élaborent des stratégies qui visent à aider le système immunitaire des personnes séropositives à mieux reconnaître et à détruire les cellules infectées afin de réduire le réservoir de virus. Le résultat souhaité de telles stratégies serait de permettre aux gens de cesser de prendre le TAR pendant certaines périodes et de laisser leur système immunitaire maintenir l’inhibition du virus. Certaines équipes décrivent l’atteinte de cet objectif comme une « guérison fonctionnelle », mais elles feraient peut-être mieux d’expliquer que cette stratégie aide à obtenir une maîtrise virologique sans qu’il soit nécessaire de prendre un TAR de façon régulière.
Avant d’explorer les différentes pistes de recherche visant la guérison du VIH, nous présentons ci-dessous quelques renseignements de base concernant certains des récepteurs utilisés par le VIH. Les scientifiques exploitent actuellement ces connaissances pour élaborer des stratégies de recherche susceptibles de conduire à la guérison du VIH.
Survol des corécepteurs
Afin d’infecter une cellule du système immunitaire, le VIH s’attache à un récepteur présent à la surface des cellules T et d’autres cellules immunitaires. Il s’agit du récepteur CD4. Après s’être lié au CD4, le VIH a besoin d’un corécepteur, soit le CCR5 ou le CXCR4. Dans le cas de la plupart des souches du VIH, c’est le corécepteur CCR5 qui est nécessaire pour que l’infection de la cellule cible ait lieu. Les gènes de certaines personnes sont dotés d’une mutation très rare appelée delta-32. Celle-ci se trouve chez environ 1 % des personnes d’ascendance nord-européenne. Les personnes porteuses de la mutation delta-32 n’ont pas de corécepteur CCR5 sur leurs cellules et résistent ainsi très efficacement à l’infection par le VIH. Certaines approches de recherche sur la guérison tentent de bloquer le corécepteur CCR5 ou d’empêcher les cellules immunitaires d’en fabriquer.
Explorons maintenant diverses pistes de recherche visant la guérison du VIH.
Greffes de cellules souches
La transplantation de cellules souches comporte des risques. En ce qui concerne les tentatives de guérison du VIH, les greffes de cellules souches sont réservées pour les cas où une personne séropositive est atteinte d’un cancer potentiellement mortel contre lequel une greffe pourrait être utile (comme une leucémie ou un lymphome). Lorsqu’un ou une médecin croit qu’une personne a des chances de survivre à une greffe de cellules souches, il ou elle lance la recherche d’un donneur ou d’une donneuse de moelle osseuse qui a la mutation delta-32 et dont les gènes sont semblables à ceux de la personne séropositive. Trouver une telle compatibilité n’est pas facile, alors les greffes de ce genre s’effectuent peu couramment dans le domaine du VIH. De plus, comme il s’agit d’une intervention dangereuse, les scientifiques réservent celle-ci pour des personnes ayant un diagnostic de cancer terminal.
Pour commencer le processus, la personne séropositive doit subir une radiothérapie ou une chimiothérapie intensive afin de détruire sa moelle osseuse (et son système immunitaire). Cette personne risque conséquemment de tomber gravement malade d’infections qui, sinon, seraient légères. Après la destruction de la moelle osseuse (et d’une bonne partie du système immunitaire), la personne séropositive peut recevoir une greffe d’un donneur ou d’une donneuse compatible. Si l’intervention réussit, les cellules transplantées repeupleront la moelle osseuse et créeront un nouveau système immunitaire. Ce dernier sera capable de résister au VIH parce que le corécepteur CCR5 aura été absent des cellules immunitaires du donneur ou de la donneuse.
Les greffes de cellules souches ne fonctionnent pas toutefois dans tous les cas parce que les cellules transplantées sont sujettes à des attaques de la part de cellules résiduelles de l’ancien système immunitaire. Des réactions inflammatoires intenses peuvent également se produire et rendre la personne en question très malade.
Il reste que, dans quelques cas, des greffes de cellules souches dotées de la mutation delta-32 ont réussi à guérir non seulement le VIH, mais aussi le cancer.
Des médecins ont récemment tenté de guérir des personnes du VIH en recrutant des donneur·se·s n’ayant pas la mutation delta-32.
Comme nous l’avons expliqué plus tôt, les greffes de cellules souches sont dangereuses et tentées dans certains cas seulement. Étant donné les risques nombreux, les greffes de cellules souches ne sont pas une option pratique pour la plupart des personnes séropositives. Ces interventions aident cependant les scientifiques à mieux comprendre le système immunitaire et les mécanismes qui lui permettent de résister au VIH. Pour l’avenir prévisible, les greffes de cellules souches visant la guérison du VIH resteront un outil de recherche.
Inhibiteurs des points de contrôle et d’autres protéines
Le système immunitaire est muni de mécanismes puissants qui lui permettent de s’attaquer aux cellules infectées et aux tumeurs. Comme ces attaques peuvent facilement se déchaîner, il arrive que le système immunitaire cible par inadvertance des tissus sains. Heureusement que le système immunitaire est également doté de mécanismes qui l’empêchent d’agir excessivement. Entre autres, la suractivité du système immunitaire est empêchée par des protéines appelées points de contrôle. En voici quelques exemples :
- PD-1 (protéine de mort cellulaire programmée 1)
- PD-L1 (ligand de mort cellulaire programmée 1)
- CTLA-4 (antigène 4 du lymphocyte T cytotoxique)
- TIGIT (immunorécepteur des cellules T avec domaines Ig et ITIM)
Il semble que les tumeurs et certaines infections virales chroniques (comme le VIH) libèrent des signaux chimiques qui incitent le système immunitaire à exprimer un nombre trop élevé de points de contrôle. Cette action entrave la capacité du système immunitaire à débarrasser l’organisme de tumeurs et de virus.
Des compagnies pharmaceutiques ont créé des inhibiteurs des points de contrôle destinés au traitement du cancer. L’inconvénient de ce genre de traitement réside dans le fait qu’il risque d’inciter le système immunitaire à s’attaquer à des tissus sains.
Pour minimiser ce problème, des compagnies pharmaceutiques comme AbbVie mettent à l’essai des doses faibles d’inhibiteurs des points de contrôle, dont un produit nommé budigalimab, qui réduisent la capacité du VIH d’affaiblir le système immunitaire tout en minimisant les attaques contre les tissus sains. Le budigalimab est un anticorps qui entrave l’activité d’un point de contrôle appelé PD-1.
AbbVie est également en train d’évaluer un traitement qui agit en se liant à une protéine située sur les cellules du système immunitaire. Il s’agit de l’alpha4bêta7 (a4b7). Des expériences de laboratoire sur des cellules immunitaires laissent croire que l’introduction d’anticorps qui bloquent l’a4b7 aide à protéger les cellules contre le VIH. En couvrant cette protéine d’un anticorps, on empêche le VIH de déceler les cellules cibles. L’inhibition de l’a4b7 offre aussi l’avantage que les cellules immunitaires semblent mieux reconnaître le VIH et peuvent donc s’y attaquer. AbbVie met à l’épreuve une approche associant l’inhibition à faible dose des points de contrôle à l’usage d’anticorps bloquant l’a4b7. Un essai préliminaire de cette approche a donné des résultats intéressants : certaines personnes ont pu s’abstenir de prendre leur TAR pendant plus d’un an sans compromettre le maintien de l’inhibition virologique du VIH.
Cette approche devra faire l’objet d’essais cliniques auprès d’un grand nombre de personnes afin de déterminer si elle peut aider le système immunitaire à maintenir l’inhibition du VIH afin que des périodes de longue durée sans TAR soient possibles.
Agents d’inversion de la latence
Comme nous l’avons déjà mentionné, une bonne observance thérapeutique du TAR aide à maintenir l’inhibition du VIH, mais elle ne peut empêcher le virus de se cacher dans un bassin de cellules déjà infectées. Le VIH demeure dans un état tranquille ou latent à l’intérieur de ces cellules, et il est difficile pour le système immunitaire de les déceler. Des scientifiques proposent une approche en deux étapes pour résoudre ce problème. En premier lieu, on fait sortir le VIH de sa latence à l’aide de médicaments appelés agents d’inversion de la latence. Ensuite, on stimule les capacités antivirales du système immunitaire à l’aide de certains traitements ou vaccins en cours de développement pour combattre le VIH. Des essais cliniques d’agents d’inversion de la latence se poursuivent.
Thérapie par cellules CAR-T
La thérapie par cellules CAR-T (lymphocyte T à récepteur antigénique chimérique) est fondée sur l’usage de cellules T génétiquement modifiées en laboratoire pour s’attaquer à une cible particulière. La thérapie par cellules CAR-T a été mise au point initialement pour le traitement de certaines formes de cancer. Comme elle s’est révélée efficace à cette fin, des scientifiques souhaitent avoir recours aux cellules CAR-T contre une autre cible, soit les cellules infectées par le VIH.
Aux fins de la thérapie par cellules CAR-T, on prélève un échantillon de sang dont on extrait ensuite des cellules T. Ces cellules T sont ensuite modifiées de sorte à acquérir la capacité de s’attaquer uniquement au VIH. Les scientifiques sont également capables de rendre les cellules CAR-T résistantes à l’infection par le VIH. Les cellules se développent et se multiplient dans le laboratoire afin de former des milliards de cellules qui sont ensuite introduites chez une personne par perfusion intraveineuse.
Les études initiales sur la thérapie par cellules CAR-T se sont heurtées à un obstacle, soit le fait que les cellules T modifiées ne persistent pas longtemps. Notons toutefois que des tentatives pour surmonter ce problème sont en cours.
Des essais cliniques conçus pour mettre à l’épreuve diverses stratégies fondées sur les cellules CAR-T pour le traitement du VIH se poursuivent.
Superanticorps
Des scientifiques ont mis au point des molécules appelées bNAb (anticorps neutralisants à large spectre). Ces anticorps peuvent s’attaquer au VIH et l’empêcher d’infecter des cellules. Les bNAb ont également réduit la production de VIH dans le cadre d’essais cliniques. Si, toutefois, les bNAb étaient utilisés seuls (sans l’ajout de médicaments contre le VIH), le virus pourrait acquérir une résistance à ces anticorps. Des essais cliniques sont en cours où les bNAb sont utilisés en association avec d’autres traitements, et d’autres portent sur l’usage simultané de plusieurs bNAb différents. Les National Institutes of Health (NIH) des États-Unis mènent actuellement des essais cliniques d’associations de bNAb. Les NIH facilitent également la mise au point de formulations à longue durée d’action de ces anticorps.
Un inconvénient potentiel des bNAb réside dans la possibilité qu’ils soient incapables de pénétrer dans les profondeurs du cerveau et des ganglions lymphatiques, là où des cellules infectées par le VIH peuvent se loger. Des études où les bNAb seraient utilisés en association avec la metformine pourraient s’avérer utiles (voir ci-dessous).
Metformine
La metformine est un médicament qui sert depuis près de 60 ans au traitement du diabète. Comme le VIH provoque des changements dans le métabolisme des cellules T, des équipes de recherche d’universités de Montréal s’intéressaient à étudier les effets de la metformine sur les cellules T de personnes vivant avec le VIH.
Des expériences menées auprès de personnes séropositives recevant la metformine et un TAR ont permis de constater que la metformine aidait des cellules T particulières (appelées cellules CD8+) à mieux reconnaître les cellules infectées par le VIH. De plus, des expériences de laboratoire portent à croire que la metformine pourrait aider les bNAb à mieux reconnaître celles-ci.
Les équipes de Montréal ont recommandé la tenue d’un essai clinique randomisé et contrôlé de l’association metformine + bNAb chez des personnes séropositives sous TAR.
Dans cette association de médicaments, le rôle de la metformine consisterait à améliorer la capacité du système immunitaire à réduire le réservoir de cellules infectées par le VIH ou à rehausser l’activité des bNAb.
Importance des essais cliniques
Les approches décrites ci-dessus ne représentent que quelques-unes des pistes de recherche qu’explorent les scientifiques dans l’espoir de combattre le VIH et de permettre aux personnes séropositives de se passer de leur TAR pour de longues périodes. Il est important que des personnes séropositives s’inscrivent aux essais cliniques visant la guérison du VIH afin que ce domaine puisse avancer.
Un rapport sur une approche complètement différente visant l’inhibition du VIH a récemment été publié. Nous en parlons en détail dans la section suivante.
—Sean R. Hosein
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