Le lénacapavir très efficace pour la prévention du VIH chez les femmes
Des scientifiques d’Afrique du Sud et de l’Ouganda ont mené une étude sur la prophylaxie pré-exposition (PrEP) portant le nom de Purpose 1. Étaient inscrites à cette dernière 5 338 adolescentes et jeunes femmes, toutes cisgenres. Toutes étaient séronégatives au début de l’étude.
L’équipe de recherche a réparti les participantes au hasard pour faire l’objet de l’une des interventions suivantes en matière de PrEP :
- lénacapavir : administré par injection sous-cutanée (juste en dessous de la peau) tous les six mois après une période d’induction
- Truvada : pris sous forme de comprimé tous les jours
- Descovy : pris sous forme de comprimé tous les jours
Conçue de manière rigoureuse mais complexe, cette étude était un essai clinique à double insu, contrôlé contre placebo. Toutes les participantes recevaient un placebo (médicament factice). Autrement dit, les personnes sous Truvada ou Descovy recevaient également une injection de lénacapavir factice tous les six mois. Quant aux personnes recevant le lénacapavir véritable, on leur donnait également un placebo de Truvada ou de Descovy sous forme de comprimé tous les jours. Les faux comprimés et la fausse solution injectable étaient fabriqués de sorte à ressembler aux médicaments véritables. La plupart du personnel affilié à cette étude ignoraient quelles participantes recevaient quel médicament jusqu’à la levée du double insu.
L’équipe a sélectionné des personnes au hasard pour recevoir les médicaments à l’étude dans un rapport de 2 : 2 : 1, soit le lénacapavir : Truvada : Descovy.
L’étude comportait plusieurs éléments, dont un suivi régulier, des rendez-vous en clinique et un counseling régulier sur l’observance thérapeutique. Les participantes recevaient condoms et lubrifiants et passaient régulièrement des tests de dépistage du VIH et d’autres infections transmissibles sexuellement (ITS).
Les femmes et les filles qui tombaient enceintes durant l’étude recevaient des documents additionnels se rapportant au consentement éclairé. Si elles signaient ceux-ci, elles pouvaient rester dans l’étude.
Schéma thérapeutique à base de lénacapavir
Les participantes affectées au groupe lénacapavir ont reçu deux injections sous-cutanées dans l’abdomen le jour 1. Elles ont également pris une forme orale du médicament les jours 1 et 2. L’équipe a demandé aux participantes de revenir à la clinique dans les 26 et 28 semaines suivant leur dernière injection. Si elles rataient cette période fenêtre et souhaitaient reprendre le lénacapavir, elles devaient d’abord passer des tests de dépistage se rapportant au VIH (charge virale et détection de l’antigène anti-VIH). Si ces tests s’avéraient négatifs, les participantes pouvaient recommencer à prendre le lénacapavir sous forme orale pendant deux jours consécutifs, suivi d’injections.
Schémas thérapeutiques à base de ténofovir
L’observance des traitements par Truvada et Descovy a été évaluée auprès d’un groupe de personnes choisies au hasard, soit environ 10 % de l’ensemble des participantes. L’équipe de recherche a analysé une petite quantité de sang prélevée chez chaque personne à cette fin.
Participantes
Au début de l’étude, les participantes étaient généralement en bonne santé et âgées en moyenne de 21 ans (seulement 2 % d’entre elles avaient moins de 18 ans), et la plupart (85 %) venaient d’Afrique du Sud.
Résultats
L’analyse dont il est question ici porte principalement sur la première année de l’étude. En juillet 2024, le double insu a été levé, et l’équipe de recherche a commencé à dire aux participantes quel médicament elles recevaient. Elle a ensuite offert à celles-ci l’option de passer au lénacapavir ou de continuer à prendre le médicament qu’elles recevaient jusqu’alors.
De nouvelles infections par le VIH se sont produites comme suit :
- lénacapavir : 0 infection parmi 2 134 participantes
- Truvada : 39 infections parmi 2 136 participantes
- Descovy : 16 infections parmi 1 068 participantes
L’équipe de recherche a associé le lénacapavir à une réduction significative du risque de contracter le VIH. Ce médicament a également réduit davantage le risque d’infection par le VIH que les traitements à base de ténofovir. La plupart des participantes qui ont contracté l’infection avaient un faible taux de ténofovir dans le sang, ce qui laisse soupçonner fortement une mauvaise observance thérapeutique.
Selon l’équipe de recherche, la différence entre Truvada et Descovy quant à la réduction du risque d’infection par le VIH n’était pas « significative ».
Les tests de dépistage d’ITS effectués toutes les 26 semaines ont révélé des taux élevés de chlamydiose, de gonorrhée et de syphilis, quel que soit le genre de PrEP utilisé.
Rétention dans l’étude
Lors de tout essai clinique, peu importe la maladie en question, il est normal qu’un certain nombre de personnes s’en retirent prématurément pour diverses raisons.
Lors de cette étude, les taux de rétention furent les suivants à différents moments dans le temps :
- semaine 26 : 97 % des participantes restaient
- semaine 52 : 93 %
- semaine 104 : 91 %
Les taux de rétention n’ont pas varié selon les différents médicaments utilisés, soit le lénacapavir, Truvada ou Descovy.
Innocuité
Le terme effets indésirables est utilisé pour décrire n’importe quel évènement malheureux qui survient durant un essai clinique. Certains effets indésirables peuvent être causés par les médicaments à l’étude, d’autres par un processus pathologique sous-jacent et d’autres encore n’ont rien à voir avec l’étude, tel un accident.
Les effets indésirables incluaient des maux de tête qualifiés de légers ou modérés qui se sont produits dans les proportions suivantes :
- lénacapavir : 13 %
- Truvada : 15 %
- Descovy : 17 %
En général, les effets indésirables étaient semblables dans les différents groupes, à l’exception des nausées et vomissements, lesquels étaient plus courants chez les personnes recevant un traitement fondé sur le ténofovir.
Lénacapavir
- nausées : 7 %
- vomissements : 6 %
Truvada
- nausées : 13 %
- vomissements : 10 %
Descovy
- nausées : 11 %
- vomissements : 11 %
Comme nous l’avons mentionné, la plupart des effets indésirables étaient légers ou modérés. Certaines participantes ont toutefois éprouvé des symptômes plus graves dans les proportions suivantes :
- lénacapavir : 4 %
- Truvada : 5 %
- Descovy : 4 %
Voici les proportions de départs prématurés des participantes pour cause d’effets indésirables :
- lénacapavir : 0,2 %
- Truvada : 0
- Descovy : 0,1 %
Réactions aux sites d’injection
Les réactions aux sites d’injections étaient plus courantes chez les personnes recevant le lénacapavir que chez celles recevant un traitement à base de ténofovir (incluant des injections de lénacapavir factice). Notons cependant que les réactions chez les personnes traitées par lénacapavir étaient généralement légères ou modérées et s’atténuaient au fur et à mesure que les injections se répétaient.
Voici les proportions de réactions aux sites d’injection selon le médicament utilisé :
- lénacapavir : 69 %
- Truvada : 35 %
- Descovy : 35 %
Chez de nombreuses personnes, les réactions aux sites d’injection prenaient la forme de bosses que l’équipe de recherche appelaient des « nodules ». Des nodules se sont produits chez 64 % des personnes recevant le lénacapavir et chez 17 % des personnes recevant des injections du placebo. Les nodules ont généralement rapetissé avec le temps, et le risque de nodules a diminué lors des injections subséquentes de lénacapavir.
La plupart des réactions aux sites d’injections étaient légères ou modérées. Il n’empêche que quatre personnes ont quitté prématurément l’étude à cause de réactions attribuables au lénacapavir. Aucun départ prématuré pour cause de réactions aux sites d’injection n’a été signalé parmi les personnes recevant des injections du placebo.
Anomalies dans les tests de laboratoire
À un moment ou à un autre de l’étude, l’équipe de recherche a constaté une anomalie dans les résultats des tests sanguins chez 91 % des participantes. Il s’agissait généralement d’anomalies légères ou modérées. Aucune participante n’a semblé subir de dommages permanents associés à des anomalies de laboratoire graves; les anomalies de ce genre étaient extrêmement rares.
Décès
Six personnes sont décédées durant l’étude, dont chacune prenait Descovy. Trois d’entre elles furent victimes de violence, et les autres ont succombé à des complications liées aux évènements suivants :
- accident de la route
- maladie cardiovasculaire (confirmée par autopsie)
- cancer de l’ovaire
Aucun de ces décès n’était associé à Descovy.
Grossesse et anomalies congénitales
Un total de 510 grossesses se sont produites durant l’étude, dans les proportions suivantes :
- lénacapavir : 193 personnes
- Truvada : 98 personnes
- Descovy : 219 personnes
Au moment de l’analyse des résultats, l’équipe ne disposait que de données limitées sur l’issue de ces grossesses, que voici :
- 121 naissances
- 66 fausses couches
- 90 avortements
Même si le lénacapavir est approuvé pour le traitement du VIH dans des pays à revenu élevé, il est rarement utilisé à cette fin jusqu’à ce jour. Le médicament est réservé au traitement des personnes dont le VIH est résistant à de nombreux antirétroviraux Par conséquent, l’expérience des médecins de son usage en dehors d’essais cliniques est limitée, et l’on comprend mal ses effets sur le fœtus et l’évolution de la grossesse.
Cette étude est la première à fournir une masse importante de données obtenues auprès d’un grand nombre de femmes traitées à long terme par lénacapavir et auprès de femmes enceintes. Ces données doivent être analysées plus en profondeur.
Une femme du groupe lénacapavir a accouché d’un enfant présentant un doigt ou un orteil de trop. Cependant, comme il y avait des antécédents de cette anomalie dans la famille de la femme en question (sans que le lénacapavir ne soit utilisé), l’équipe de recherche a jugé que le doigt ou l’orteil additionnel était attribuable à une prédisposition génétique et non au lénacapavir.
À retenir
Cette étude menée auprès de femmes et d’adolescentes cisgenres a produit des résultats enthousiasmants. Lorsqu’il est administré par injection sous-cutanée tous les six mois, le lénacapavir est associé à un degré élevé de protection contre le VIH, bien plus élevé en fait que l’usage quotidien de Truvada ou de Descovy. Selon cette équipe de recherche, cette différence était attribuable à une « mauvaise observance thérapeutique » de la part des personnes utilisant la PrEP orale.
Selon l’équipe de recherche, les facteurs contribuant à la mauvaise observance de la PrEP orale incluraient « la stigmatisation, l’aversion ou le manque d’expérience à l’égard de la prise quotidienne de comprimés et une perception erronnée de la probabilité de contracter l’infection par le VIH ».
Le lénacapavir deux fois par an pourrait aider de nombreuses femmes faisant face à ces problèmes.
—Sean R. Hosein
RÉFÉRENCE :
Bekker LG, Das M, Abdool Karim Q et al. Twice-yearly lenacapavir or daily F/TAF for HIV prevention in cisgender women. New England Journal of Medicine. 2024; sous presse.