Études sur le TAR intermittent

Lorsque les traitements puissants contre le VIH (traitements antirétroviraux ou TAR) ont vu le jour en 1996, ils ont commencé à sauver des vies et à prévenir le sida. Ce fut la première fois que les traitements d’association se révélaient capables de faire cela de manière soutenue. Il reste que l’enthousiasme suscité par les premiers traitements se voyait tempérer par leur complexité. À l’époque, la plupart des schémas thérapeutiques nécessitaient deux ou même trois prises de comprimés par jour. Dans certains cas, il fallait respecter des consignes strictes concernant la consommation de nourriture et d’eau, et certaines personnes devaient prendre une poignée de comprimés plusieurs fois par jour. De plus, les schémas thérapeutiques de la première heure pouvaient provoquer des effets secondaires très troublants, dont des altérations de l’apparence et de la forme corporelle des personnes traitées. Tous ces facteurs rendaient l’observance thérapeutique difficile.

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Études françaises

Depuis au moins une décennie, des médecins en France mènent des études sur le TAR intermittent. Pour les patient·e·s, il s’agit d’ordinaire de prendre le traitement pendant quatre ou cinq jours consécutifs puis de prendre deux ou trois jours de congé. En 2022, une équipe a publié les résultats obtenus après une année de TAR intermittent, comparativement à une année de traitement continu. Dans cette étude nommée Quatuor, les participant·e·s, dont la charge virale était inhibée depuis plusieurs années grâce à un TAR quotidien, ont été réparti·e·s au hasard pour suivre un des traitements suivants : 

  • TAR quotidien continu
  • TAR intermittent : quatre jours de TAR suivis de trois jours sans TAR, suivis de quatre jours de TAR, et ainsi de suite 

Une analyse de 636 participant·e·s (318 personnes par groupe) a révélé que la charge virale était inhibée dans les proportions suivantes : 

  • TAR quotidien continu : 97 %
  • TAR intermittent : 96 %

Cette différence n’est pas significative. Elle indique en outre que le TAR intermittent n’était ni plus efficace ni moins efficace que le TAR quotidien continu sur le plan statistique. (Dans le langage technique, on parle dans un tel cas d’efficacité non inférieure.)

Des sondages ont révélé que les personnes suivant un TAR intermittent avaient une qualité de vie améliorée.

L’équipe de recherche a constaté un résultat rassurant, soit aucune augmentation de l’inflammation et aucun risque excessif de caillots sanguins (problèmes observés lors d’études antérieures sur le TAR intermittent). Notons que lors de ces études antérieures, les périodes sans TAR étaient de plus longue durée, soit quelques semaines ou mois. 

Dix cas d’échec virologique sont survenus durant l’étude, comme suit : 

  • TAR quotidien continu : 4 personnes (1 %)
  • TAR intermittent : 6 personnes (2 %)

Selon l’équipe de recherche, le VIH des personnes sous TAR intermittent qui ont subi un échec virologique était plus susceptible d’avoir acquis une résistance au traitement (trois personnes sur six contre une personne sur quatre dans le groupe recevant le TAR de façon continue).

Réservoirs

Même si une bonne observance thérapeutique aide à maintenir l’inhibition virale, une faible proportion de cellules immunitaires contiennent encore du VIH. Les scientifiques appellent ce bassin de cellules infectées un « réservoir ». Des cellules infectées peuvent se loger dans les régions profondes des ganglions et tissus lymphatiques, de la rate, du cerveau et des testicules, entre autres. 

L’équipe française a analysé des échantillons de sang et de sperme pour déterminer l’ampleur des bassins de cellules infectées. Dans l’ensemble, elle n’a pas trouvé de différence significative à cet égard entre les deux groupes. Ce résultat est rassurant et porte à croire que le réservoir de VIH n’a pas pris de l’ampleur chez les personnes recevant l’un ou l’autre des traitements à l’étude.

À noter

Au moment de mettre sous presse, les principales lignes directrices thérapeutiques des États-Unis et de l’European AIDS Clinical Society ne recommandent pas le genre de TAR intermittent utilisé dans cette étude française, Quatuor. Notons que ces lignes directrices guident les habitudes de prescription des médecins du Canada et d’autres pays à revenu élevé. 

Malgré l’absence de recommandation dans les lignes directrices, le TAR intermittent a suscité l’enthousiasme de nombre de médecins en France (et celui de leurs patient·e·s).

Il importe de noter que les participant·e·s avaient le profil moyen suivant au moment de leur admission à l’étude : 

  • excellente observance du schéma thérapeutique précédent
  • compte de CD4+ n’ayant jamais baissé de façon significative sous la barre des 300 cellules/mm3 
  • rapport CD4/CD8 d’au moins 1,0, ce qui indique une normalisation du système immunitaire
  • compte de CD4+ actuel de près de 700 cellules/mm3
  • VIH sensible à tous les médicaments du TAR en cours dans les échantillons de sang
  • absence d’infection active ou chronique par le virus de l’hépatite B (VHB) ou le virus de l’hépatite C (VHC)
  • cohorte composée majoritairement (85 %) d’hommes

En guise de conclusion générale, notons que les participant·e·s à l’étude Quatuor ne représentent pas nécessairement la personne moyenne vivant avec le VIH, et le TAR intermittent pourrait ne pas convenir à de nombreuses personnes. 

Au-delà de Quatuor

Les personnes inscrites à l’étude Quatuor en 2017 et 2018 recevaient des classes de médicaments contre le VIH qui ne sont plus utilisées couramment de nos jours, tels les inhibiteurs de la protéase et les inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse. De plus, les inhibiteurs de l’intégrase qu’elles prenaient sont utilisés moins souvent de nos jours, tel le raltégravir (Isentress) et l’elvitégravir (ingrédient de Genvoya et de Stribild).  

De nos jours, les associations de médicaments suivantes sont fréquemment utilisées ou recommandées pour le traitement du VIH dans les lignes directrices thérapeutiques des États-Unis : 

  • bictégravir (ingrédient de Biktarvy, association de bictégravir + TAF + FTC)
  • dolutégravir (ingrédient de Dovato, association de dolutégravir + 3TC)
  • cabotégravir (ingrédient de Cabenuva, association de cabotégravir + rilpivirine administrée par injection tous les deux mois après une période d’induction)
  • doravirine (Delstrigo, Pifeltro)

Ces médicaments sont généralement bien tolérés et très efficaces.

Pour les médecins qui s’inquiètent à l’idée que leurs patient·e·s prennent de nombreux médicaments contre le VIH, les traitements associant deux médicaments (voir ci-dessus) pourraient être une option. Pour ceux et celles dont les patient·e·s éprouvent des problèmes d’observance, un traitement comme Cabenuva, qui est injecté tous les deux mois après une période d’induction, pourrait s’avérer une bonne option. Notons que des études se poursuivent pour déterminer s’il est possible d’espacer davantage les injections de Cabenuva. 

Des compagnies pharmaceutiques mettent au point d’autres traitements complets associant deux médicaments, ainsi que des associations à longue durée d’action nécessitant des prises peu fréquentes. Ainsi, le paysage des traitements oraux quotidiens, seule option lors des débuts du TAR intermittent, a évolué. Et d’autres options verront le jour à l’avenir. 

Cette équipe de recherche française mérite d’être louée pour avoir étudié et mis à l’épreuve des schémas thérapeutiques plus simples pour les patient·e·s. On peut s’attendre à connaître les résultats d’essais cliniques du TAR intermittent à l’avenir. Espérons que des études de longue durée seront menées auprès de centaines de participant·e·s afin que les médecins puissent comprendre le potentiel à long terme de ce genre de traitement.

Biktarvy intermittent

Les études menées en France ont inspiré des médecins à Taïwan. Une étude pilote y a été menée auprès de 60 personnes qui ont reçu Biktarvy de façon intermittente ou quotidiennement pendant un an. Une analyse préliminaire de cet essai, dont le volet intermittent consistait en cinq jours de TAR suivis de deux jours sans TAR, a révélé que ces deux schémas posologiques avaient une efficacité semblable. Selon les médecins de Taïwan, leurs résultats pourront servir de fondement à la conception d’une étude de bien plus grande envergure et, espérons-le, de plus longue durée. 

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCES :

  1. Landman R, de Truchis P, Assoumou L et al. A 4-days-on and 3-days-off maintenance treatment strategy for adults with HIV-1 (ANRS 170 QUATUOR): a randomised, open-label, multicentre, parallel, non-inferiority trial. Lancet HIV. 2022 Feb;9(2):e79-e90.
  2. Lambert-Niclot S, Abdi B, Bellet J et al. Four days/week antiretroviral maintenance strategy (ANRS 170 QUATUOR): substudies of reservoirs and ultrasensitive drug resistance. Journal of Antimicrobial Chemotherapy. 2023 Jun 1;78(6):1510-1521. 
  3. Abe E, Landman R, Assoumou L et al. Plasma concentrations of antiretroviral drugs in a successful 4-days-a-week maintenance treatment strategy in HIV-1 patients (ANRS 170-Quatuor trial). Journal of Antimicrobial Chemotherapy. 2024 Jun 3;79(6):1380-1384. 
  4. Sun HY, Lin YT, Liu WC et al. Five-day-on-two-day-off (FOTO) vs daily BIC/FTC/TAF: a proof-of-concept randomized clinical trial. 25e Conférence internationale sur le sida, Munich, Allemagne22 au 26 juillet 2024. Résumé WEPEB107.